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LA

CHAPITRE II.

De la nature de la monnoie.

A monnoie eft un figne qui représente la valeur de toutes les marchandifes. On prend quelque métal pour que le figne foit durable (*); qu'il fe confomme peu par l'ufage; & que, fans fe détruire, il foit capable de beaucoup de divifions. On choifit un métal précieux, pour que le figne puiffe aifément fe transporter.

Un

métal eft très - propre à être une mefure commune, parce qu'on peut aifément le réduire au même titre. Chaque état y met fon empreinte, afin que la forme réponde du titre & du poids, & que l'on connoiffe l'un & l'autre par la feule infpection.

Les Athéniens n'ayant point l'ufage des métaux, fe fervirent de boeuf (†), & les Romains

(*) Le fel, dont on fe fert en AbyЛfinie, a ce défaut, qu'il fe confomme continuellement.

(t) Hérodote, in Cio, nous dit que les Lydiens trouverent l'art de battre la monnoie; les Grecs le prirent d'eux: les monnoies d'Athenes eurent pour empreinte leur ancien bœuf. J'ai vu une de ces monnoies dans le cabinet du Comte de Pen brocke.

Romains de brebis

mais un bœuf n'eft

qu'un autre bœuf,

pas la même chofe
comme une piece de métal peut être la
même qu'une autre.

Comme l'argent eft le figne des valeurs des marchandifes, le papier eft un figne de la valeur de l'argent ; & lorfqu'il eft bon (a), il le repréfente tellement, que, quant à l'effet, il n'y a point de différence.

De

(a) C'eft-à-dire, lorfqu'il eft tel qu'il représente un fondement affuré, fur lequel on puiffe compter: ce fondement eft pris de la bonne foi, ou du droit civil. Lorfque j'ai à faire à une perfen. ne, de la probité & des facultés de laquelle on eft pleinement perfuadé, un papier de fa part vaut autant que de l'argent, parce qu'on eft für de pouvoir retirer fon argent quand le terme en fera venu. C'eft-là le fondement de toutes les négo ciations publiques, qui ont pour objet un emprunt de la part du fouverain; parce que l'on fuppofe qu'un fouverain connoit trop la néceffité de la bonne foi, pour apprehender un manquement à cet égard: & l'on fuppofe de plus qu'un fouve. rain a des moyens pour rembourfer aux termes l'emprunt qu'il fait. Dès que l'on commence à douter à l'un de ces deux égards, le papier ceffe de repréfenter la valeur entiere de l'argent; fon prix diminue & il peut tomber à rien. Dans la fociété civile un papier eft cenfé bon, dès que par l'autorité des loix, il peut nous faire obtenir Îa valeur de l'argent qu'il repréfente: ce qui fuppofe un débiteur folvable, & un papier fait conformément aux loix établies dans l'Etat. Cela prou.

ve

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De même que l'argent est un figne d'une chofe, & la repréfente; chaque chofe eft un figne de l'argent, & le représente : & l'état eft dans la profpérité felon que d'un côté l'argent repréfente bien toutes chofes; & que d'un autre, toutes chofes repréfentent bien l'argent, & qu'ils font fignes les uns

des autres; c'est-à-dire que, dans leur valeur relative, on peut avoir l'un fi-tôt que l'on a l'autre. Cela n'arrive jamais que dans un gouvernement modéré, mais n'arrive pas toujours dans un gouvernement modéré: par exemple, fi les loix favorifent un débiteur injufte, les chofes qui lui appartiennent ne repréfentent point l'argent, & n'en font point un figne (b). A l'égard du gouvernement defpo

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ve que, quoiqu'un papier, lorfqu'il eft bon, repréfente tellement la valeur de l'argent que, quant à l'effet, il n'y a point de différence, il y refte toujours celle-ci favoir qu'un papier de bon peut devenir mauvais, par des changemens dans l'état de celui à la charge duquel le papier eft; d'où s'enfuit qu'un papier ne repréfente jamais tel tement la valeur de l'argent que quant à l'effet, il n'y AIT point de différence, qu'au moment qu'on retire en argent la valeur du papier. (R. d'un A.)`

(b) Savoir par rapport à ceux, qui lui auront donné crédit d'ailleurs les chofes qui appartiennent à un débiteur injufte y représenteront l'argent & en feront un figne, tout comme dans les pays

defpotique, ce feroit un prodige fi les chofes y repréfentoient leur figne: la tirannie & la méfiance font que tout le monde y enterre (4) fon argent: les chofes n'y repréfentent donc point l'argent.

Quelquefois les législateurs ont employé un tel art, que non feulement les chofes repréfentoient l'argent par leur nature, mais qu'elles devenoient monnoie comme l'argent même. Céfar ($) dictateur, permit aux débiteurs de donner en paiement à leurs créanciers des fonds de terre au prix qu'ils valoient avant la guerre civile. Tibere (**) ordonna que ceux qui voudroient de l'argent, en auroient du tréfor public, en obligeant des fonds pour le double. Sous Céfar, les fonds de terre furent la monnoie qui paya toutes les dettes; fous Tibere dix mille fefterces en

fonds

où ces loix n'auront pas lieu. Ces loix ôteront le crédit au négoce : celui qui n'aura point d'argent, fe verra obligé de vendre les chofes qui lui appar. tiennent, pour fe mettre en état d'en acquérir d'autres; & de cette façon les premieres feront toujours un figne de l'argent. (R. d'un A.)

(4) C'eft un ancien ufage à Alger, que chaque pere de famille ait un tréför enterré. Laugier de Taffy, hiftoire du royaume d'Alger.

[S] Voyez Céfar, de la guerre civile, liv. III. [**] Tacite, Liv. VI.

fonds devinrent une monnoie commune comme cinq mille fefterces en argent.

La grande chartre d'Angleterre défend de faifir les terres ou les revenus d'un débiteur, lorfque fes biens mobiliers ou perfonnels fuffifent pour le paiement, & qu'il offre de les donner pour lors tous les biens d'un Anglois repréfentoient de l'argent (c).

Les loix des Germains apprecierent en argent les fatisfactions pour les torts que l'on avoit faits, & pour les peines des crimes. Mais comme il y avoit très-peu d'argent dans le pays, elles réapprécierent l'argent en denrées ou en bétail. Ceci fe trouve fixé dans la loi des Saxons, avec de certaines différences fuivant l'aifance & la commodité des divers peuples.. D'a

bord

[c] Cette chartre n'empêche pas que les terres & les revenus d'un Anglois ne repréfentent l'argent de la même maniere que fes autres biens : elle tend à prévenir les vexations des Créanciers durs. L'équité fouffre lorfque la faifie paffe la fureté qu'on peut exiger; & fi certains biens fuffifent pour l'ac quit d'une dette, aucune raifon ne peut autoriser à fe faifir d'autres. Comme les terres & les reve nus répondent du paiement dès que les autres biens ne fuffifent pas, il paroit qu'on ne peut les exclure du nombre des fignes de l'argent, fuivant le langage de notre Auteur. (R. d'un A.)

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