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troublent l'exercice, font de la nature de ceux qui choquent la tranquillité des citoyens ou leur fureté, & doivent être renvoyés à ces claffes.

Pour que la peine des facrileges fimples foit tirée de la nature (*) de la chofe, elle doit confifter dans la privation de tous les avantages que donne la religion; l'expulfion hors des temples; la privation de la fociété des fideles, pour un temps ou pour toujours; la fuite de leur préfenles exécrations, les déteftations, les

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conjurations.

Dans les chofes qui troublent la tranquillité ou la fureté de l'état, les actions cachées font du reffort de la justice hu maine. Mais, dans celles qui bleffent la divinité, là où il n'y a point d'action pu blique, il n'y a point de matiere de crime: tout s'y paffe entre l'homme & Dieu, qui fait la mefure & le temps de fes vengeances. Que fi, confondant les chofes, le magiftrat recherche auffi le facrilege caché, il porte une inquifition fur un genre d'action où elle n'eft point néceffaire: il détruit la liberté des citoyens, en armant

con

(*) Saint Louis ft des loix fi outrées contre ceux qui juroient, que le pape fe crut obligé de l'en avertir Ce prince todéra fon zele, & adoucit les loix. Voyeà fes ordonnances,

contr'eux le zele des confciences timides, & celui des confciences hardies.

Le mal eft venu de cette idée, qu'il faut venger la divinité. honorer la divinité, &

Mais il faut faire ne la venger jamais. En effet, fi l'on fe conduifoit par cette derniere idée, quelle feroit la fin des fupplices? Si les loix des hommes ont à venger un être infini, elles fe régleront fur fon infinité, & non pas fur les foiblesfes, fur les ignorances, fur les caprices de la nature humaine.

Un hiftorien (t) de Provence rapporte un fait, qui nous peint très-bien ce que peut produire fur des efprits foibles, cette idée de venger la divinité. Un Juif, accufé d'avoir blafphémé contre la fainte Vierge, fut condamné à être écorché. Des chevaliers mafqués, le couteau à la main, monterent fur l'échafaud, & en chafferent l'exécuteur, pour venger eux-mêmes l'honneur de la fainte Vierge... Je ne veux point prévenir les réflexions du lecteur.

La feconde claffe, eft des crimes qui font contre les mœurs. Telles font la violation de la continence publique ou particuliere, c'est-à-dire, de la police fur la maniere dont on doit jouir des plaifirs at

(†) Le pere Bougeret.

tachés

tachés à l'ufage des fens & à l'union des corps. Les peines de ces crimes doivent encore être tirées de la nature de la chofe. La privation des avantages que la fociété a attachés à la pureté des mœurs, les amendes, la honte, la contrainte de fe cacher, l'infamie publique, l'expulfion hors de la ville & de la fociété; enfin toutes les peines qui font de la jurifdiction correctionnelle, fuffifent pour réprimer la témérité des deux fexes. En effet, ces chofes font moins fondées fur la méchanceté que fur Foubli ou le mépris de foi- même.

Il n'eft ici queftion que des crimes qui intéreffent uniquement les mœurs, non de ceux qui choquent auffi la fureté publique, tels que l'enlévement & le viol, qui font de la quatrieme efpece.

Les crimes de la troifieme claffe, font ceux qui choquent la tranquillité des citoyens: & les peines en doivent être tirées de la nature de la chofe, & se rapporter à cette tranquillité; comme la privation, Pexil, les corrections, & autres peines qui ramenent les efprits inquiets, & les font rentrer dans l'ordre établi.

Je reftreins les crimes contre la tranquillité, aux chofes qui contiennent une fimple léfion de police: car celles qui, troublant la tranquillité, attaquent en même

temps

temps la fureté, doivent être mifes dans la quatrieme claffe.

Les peines de ces derniers crimes, font ce qu'on appelle des fupplices. C'eft une espece de talion, qui fait que la fociété refufe la fureté à un citoyen qui en a privé, ou qui a voulu en priver un autre. Cette peine eft tirée de la nature de la chofe, puifée dans la raison, & dans les fources du bien & du mal. Un citoyen mérite la mort, lorfqu'il a violé la fureté au point qu'il a ôté la vie, ou qu'il a entrepris de l'ôter. Cette peine de mort eft comme le remede de la fociété malade. Lorfqu'on viole la fureté à l'égard des biens, il peut y avoir des raifons pour que la peine foit capitale : mais il vaudroit peut-être mieux, & il feroit plus de la nature que la peine des crimes contre la fureté des biens, fût punie par la perte des biens; & cela devroit être ainfi, fi les fortunes étoient communes ou égales. Mais, comme ce font ceux qui n'ont point de biens qui attaquent plus volontiers celui des autres, il a fallu que la peine corporelle fuppléat à la pécuniaire.

Tout ce que je dis eft puifé dans la nature, & eft très - favorable à la liberté du citoyen.

CHA

CHAPITRE V.

De certaines accufations qui ont particuliérement befoin de modération & de prudence.

MAXIME importante: il faut être trèscirconfpect dans la pourfuite de la magie & de l'héréfie. L'accufation de ces deux crimes peut extrêmement choquer la liberté, & être la fource d'une infinité de tirannies, fi le législateur ne fait la borner. Car, comme elle ne porte pas directement fur les actions d'un citoyen, mais plutôt fur l'idée que l'on s'eft faite de fon caractere, elle devient dangereufe à proportion de l'ignorance du peuple; & pour lors un citoyen eft toujours en danger, parce que la meilleure conduite du monde, la morale la plus pure, la pratique de tous les devoirs, ne font pas des garans contre les foupçons de ces crimes.

Sous Manuel Comnene, le proteftator (*) fut accufé d'avoir confpiré contre l'empereur, & de s'ètre fervi pour cela de

cer

() Nicetas, vie de Manuel Comnene, liv. IV.

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