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LIVRE XV.

Comment les loix de l'esclavage civil ont du rapport avec la nature du climat.

CHAPITRE PREMIER.

De l'esclavage civil.

L' ESCLAVAGE proprement dit est

l'établiffement d'un droit qui rend 本 un homme tellement propre à un

autre homme, qu'il eft le maître abfolu Il n'eft pas bon

de fa vie & de fes biens.

par fa nature: il n'eft utile ni au maître, ni à l'efclave; à celui-ci, parce qu'il ne peut rien faire par vertu ; à celui-là, parce qu'il contracte avec fes efclaves toutes for tes de mauvaises habitudes, qu'il s'acco 1tume infenfiblement à manquer à toutes

les

les vertus morales, qu'il devient fier, prompt, dur, colere, voluptueux, cruel.

Dans les pays defpotiques, où l'on eft déja fous l'esclavage politique, l'esclavage civil eft plus tolérable qu'ailleurs. Chacun y doit être affez content d'y avoir fa fubfiftance & la vie. Ainfi la condition de l'esclave n'y est guere plus à charge que la condition du fujet.

Mais, dans le gouvernement monarchique, où il eft fouverainement important de ne point abattre ou avilir la nature humaine, il ne faut point d'efclave. Dans la démocratie où tout le monde est égal, & dans l'ariftocratie où les loix doivent faire leurs efforts pour que tout le monde foit auffi égal que la nature du gouvernement peut le permettre, des efclaves font contre l'efprit de la conftitution; ils ne fervent qu'a donner aux citoyens une puisfance & un luxe qu'ils ne doivent point avoir.

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Origine du droit de l'esclavage chez les
Jurifconfultes Romains.

ON ne croiroit jamais que c'eût été la pitié qui eût établi l'efclavage, & que

pour

pour cela elle s'y fût prife de trois manieres (*).

Le droit des gens a voulu que les prifonniers fuffent efclaves, pour qu'on ne les tuât pas. Le droit civil des Romains permit à des débiteurs que leurs créanciers pouvoient maltraiter de fe vendre euxmêmes & le droit naturel a voulu que des enfans, qu'un pere efclave ne pouvoit plus nourrir, fuffent dans l'efclavage comme leur pere.

Ces raifons des jurifconfultes ne font point fenfées. Il eft faux qu'il foit permis de tuer dans la guerre autrement que dans le cas de néceffité: mais dès qu'un homme en a fait un autre efclave, on ne peut pas dire qu'il ait été dans la néceffité de le tuer, puifqu'il ne l'a pas fait. Tout le droit que la guerre peut donner fur les captifs, eft de s'affurer tellement de leur perfonne, qu'ils ne puiffent plus nuire (a). Les homicides faits de fang froid par les foldats, & après la chaleur de l'action, font rejettés de toutes les nations (†) du monde.

[*] Inftit. de Justinien, Liv. I.

2o. Il

[a] Et s'ils ne peuvent le faire qu'en rendant les vaincus efclaves? [R. d'un A.]

[+] Si l'on ne veut citer celles qui mangent leurs prifonniers.

2o. Il n'est pas vrai qu'un homme libre puiffe fe vendre. La vente fuppofe un prix: l'efclave fe vendant, tous fes biens entreroient dans la propriété du maître, le maître ne donneroit donc rien, & l'esclave ne recevroit rien. Il auroit un pécule, dira-t-on mais le pécule eft acceffoire à la perfonne. S'il n'eft pas permis de fe tuer, parce qu'on fe dérobe à fa patrie, il n'est pas plus permis de fe vendre (b). La liberté

[b] Tout ce raifonnement cloche il eft premiérement abfurde de dire que l'efclave fe vendant, le maître ne donneroit rien & l'efclave ne recevroit rien; l'acte d'un homme qui fe vend pour être efclave fuppofe un manquement de biens néceffaires pour fubfifter; & quand même il auroit des biens, & que ces biens entreroient dans la propriété du maître, encore ne s'enfuit-il pas que le maître ne donneroit rien: celui qui fe vendroit, & qui feroit par-là paffer fes biens dans la propriété de celui qui l'achette, ne manqueroit point fans-doute de faire entrer en ligne de compte dans le prix de vente la valeur de ces biens. Se. condement: c'est un pur paralogisme de dire: s'il n'eft pas permis de fe tuer, parce qu'on se dérobe à fa patrie, il n'eft pas plus permis de fe vendre. On confond ici ce qui eft établi par la loi naturelle avec ce qui eft ordonné par des loix civiles. Selon les principes du droit naturel, il eft défendu de fe tuer, parce qu'il ne nous eft pas permis de nous ôter à une fociété, dans laquelle Dieu nous a placé, afin d'y refter dans les différentes fitua

me.

berté de chaque citoyen eft une partie de la liberté publique. Cette qualité dans l'état populaire est même une partie de la fouveraineté. Vendre fa qualité de citoyen eft un (*) acte d'une telle extravagance, qu'on ne peut pas la fuppofer dans un hom Si la liberté a un prix pour celui qui l'achete, elle eft fans prix pour celui qui la vend. La loi civile, qui a permis aux hommes le partage des biens, n'a pu mettre au nombre des biens une partie des hommes qui devoient faire ce partage. La loi civile, qui reftitue fur les contrats qui contiennent quelque léfion, ne peut s'empêcher de reftituer contre un accord qui contient la léfion la plus énorme de

toutes.

La

tions dans lesquelles il plaira à fa providence de nous mettre, jufqu'au moment qu'il nous retire à foi les loix civiles au contraire permettent ou défendent quelquefois le fuicide fuivant les opi. nions de ceux qui les ont portées. Selon le droit naturel, c'eft un devoir de préférer à la perte de la vie tout moyen par lequel on peut la conferver, fans nuire aux droits d'un tiers. Si donc il ne nous refte que celui de l'efclavage, il eft non-feulement permis, mais on eft même tenu de fe fervir de cette derniere reffource. (R. d'un A.)

(*) Je parle de l'efclavage pris à la rigueur, tel qu'il étoit chez les Romains, & qu'il est établi dans nos colonies.

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