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No. 9. p. 157.

PERCEVAL.

PREMIEREMENT, dist la mere de Perceval, si vous trouvcs, ne pres, ne loin, Dame qui ait de vous besoing, ou pu selle desconseillé, ou qui de votre ayde ait metier, ne lui veuillez denier votre service. Car Je vous dy que tout honneur est a l'homme perdu, qui honneur a dame ne porte; et quiconque honoré veut etre, lui faut a pucelle et a Dame honneur referer. Ung autre enseignement retiendrez: S'il echiet que pucelle ayez gagnée, ou que pucelle de vous soit amie privée, si le baiser elle ne vous denie, le baiser pouvez prendre; mais le reste, Je vous le deffens fors que si en doigt elle a anneau, ou aumoniere a sa ceinture, si, par amour, anneau ou aumoniere vous donne, licitement le don vous pouvez, en la remerciant, prendre, et le don d'icelle emporter, Perceval prit congé de sa mere, et s'achemina vers la cour du Roy Artus. Le lendemain aux premiers rayons de soleil il decouvrit un riche pavillon.

Quant pres du pavillon fut arrivé, ouvert le trouva, dedans lequel vit un lict noblement accoutré, sur lequel etoit une pucelle seule endormie, laquelle avoient laissée ses demoyselles qui etoient allé cueiller des fleurs pour le pavillon jolier et parier, comme de se faire etoient accoutumées. Lors est Perceval du lict de la Pucele approché, courrant assez lourdement dessus son cheval; adonc s'est la pucelle assez effrayement eveillée. A laquelle, dit Perceval, "Pucelle, Je vous salue, comme ma mere m' a apprins, laquelle m' a commandé que jamais pucelle ne trouvasse, que humblement ne la saluasse.”

Aux paroles du jeune Perceval, se print la pucelle a trembler, car bien luy sembloit qu'il n'etoit gueres sage, comme le montroit assez son parler: et bien se reputoit folle, que ainsi seule l' avoil trouvée endormie. Puis elle lui dit: "Amy pense bien-tot d' icy te departir, de peur que mes amis ne t' y trouvent, car si icy te rencontroient, il t'en pourroit mal advenir." "Par ma foi," dit Perceval, "jamais d'icy ne partirai que, premier, baisée ne vous aye." A quoy repond la pucelle que non fasse, mais que bientot pense de departir, que ses amis là ne le treuvent.

"Pucelle (fait Perceval) pour votre parler, d' icy ne partirai tant que de vous aye eu ung baiser; car ma mere m' a à ce faire ainsi enseigné." Tant s'est Perceval de la Pucelle approché, qu' il l' a par force baisée; car pouvoir n'eut elle d' y resister, combien qu'elle se deffendit bien. Mais tant etoit lors Perceval lafre et lourd, que la defense d'icelle ne luy put profiter, qu' il ne luy prit baiser, voulsit elle ou non, voire, comme dit le conte, plus de vingt fois. Apres que Perceval eult par force prit de la pucelle baiser, advisa qu' en son doigt elle avoit ung anneau d'or, dedans lequel etoit une belle claire esmeraude enchassée, lequel pareillement par force lui ota comme le baiser avoit eu: puis le mit en son doigt oultre le gré de la pucelle, qui fort s' etoit defendue quand cet anneau luy a oté. Lors Perceval prenant l'anneau de la Pucelle, usa de telles parolles, comme il avoit fait au baiser, disant que sa mere l'avoit a ce faire enseigné, mais que plus avant ne ailleurs ne toucheroit, comme par sa mere luy avoit eté commandé. La pucelle se voyant ainsi despouillée et perforcée de son anneau et de son baiser, se print si fort a lamenter et gemir, que le cueur luy cuida partir. Puis dit a Perceval: 66 Amy, Je te prie, n' emporte point mon anneau; car par trop en serois blamée, et toy, possible, en perdrois la vie." Perceval ne prend a cueur ce que la pucelle luy dit; mais comme depuis qu'il fut de chez sa mere parti, n' avoit mangé ne bu, par quoy ne fut au pavillon de la pucelle sans grand appetit. Et luy, en ce desire de manger, comme tout affamé, advise d' aventure un boucal plein de vin, aupres duquel etoit un hanap d'argent. Puis regarde une touaille, fort blanche et assez fine, qu'il souleve et prend; et dessous icelle trouve trois patés froids, de chair de Chevreuil. Gueres n' arreta, quand les patés en sa main tint, de se mettre en debvoir d' en taster; car, comme ai dit grand faim avoit. Partant, si-tot qu'il les tint, en froissa un entre ses mains, et apres en avoir mangé non sobrement, souvent retournoit visiter le boucal. Puis dit a la pucelle: "Dame, Je vous prie, venez et faites comme moy; quand vous aurez ung pasté mangé, et moy ung autre, encore en restera t-il ung pour les survenants." La Pucelle voyant Perceval ainsi dereglement manger, s' en esbahit, et rien ne luy reponde; mais

d'autre chose ne se peut alleger, fors que de se prendre a pleurer et a gemir tendrement. Perceval, qui peu garde y prenoit, de la pucelle print congé, apres qu'il eut recouvert le reste des patés dessous la touaille.

No. 10. p. 166.

LANCELOT DU LAC.

Er quelle part cuydez vous aller beau Sire, dit Girflet. Le ne vous diray Je pas, dist le Roy, car Je ne puis: et quant Girflet veit qu'il n' en scauroit plus, il se partit tantost du Roy Artus. Et si-tost comme il fut departy commenca une piuye a cheoir grande et merveilleuse, qui lui dura jusques a ung tertre qui estoit loing du Roy environ demy lieue; et puis quant il fut venu au dit tertre il descendit, et s' arresta dessoubs ung arbre tant que la pluye fust passée, et commenca a regarder celle part ou il avoit laissé le Roy; si veit venir parmy la mer une Nef qui estoit toute plaine de dames et de damoyselles, et quant elles vindrent a la rive la dame d' elles qui estoit Seur au Roy Artus l' appella, et sitost que le Roy Artus veit Morgain sa seur il se leva incontinent, et Morgain le print par la main et luy dist qu'il entrast dedans la nef: si print son cheval et ses armes et entra dedans la nef.

Et quant Girflet, qui estoit au tertre eut veu comment le Roy estoit entré en la nef avecques les dames, il retourna vers la riviere tant qu'il peut du cheval courre: et quant il y fut revenu il veit le Roy Artus entre les dames. Si congneut bien Morgain la Faee, car plusieures foys l'avoil veue. Et la nef si estoit ja plus eslongnée que une arbalestre neust sceu tirer a deux foys.

No. 11. p. 172.

MELIADUS DE LEONNOYS.

BREHUS encontra ung Chevalier armé de toutes pieces, qui menoit en sa compagnie une damoyselle et deux escu

yers tant seullement. Et sachez que la damoyselle estoit bien vestue, et moult noblement, comme ce feust este une Royne; et estoit montee sus ung pallefroy blanc, et chevauchoient plaisamment parmy la forest, elle et le Chevalier errant. Le chevalier estoit sus ung grant cheval, et en faisoit mener ung autre en main. Le Chevalier alloit chantant une chanson nouvelle qu'avoit esté faicte nouvellement en la maison du Roy Artus; et estoit la chanson ainsi :

En grant joye m' a amour mis,
Et de grant douleur m' a osté,
Maulgré tous mes ennemys-
Je suis si haultement monté,
Que pour son ami m' a compté
Celle qui passe fleur de Lys;
Et quant pour son homme m' a pris,
Bien ay le monde surmonté.

No. 13. p. 191.

YSAIE LE TRISTE.

LES chevaliers avoyent tant d'envie sur luy qu'a merveilles. Lors' appensent comment ils pourront mettre Marc a mort, a leur honneur, et au moins de parolles: Si s'adviserent comment ce seroit fait.

“Bernard mon compaignon fait d'ivoirie a ceste ville a l'hostel d'ung Lombard, et y a une chambre en laquelle nul n' ose habiter qu'il ne sen repente trop grossement, especiallement si par nuyt y repose. Nous nous trairons pres de luy et luy prierons qu' il y voise, et il yra comme celuy qui de riens na paour. Et vous voirres qu'il luy mescherra en telle maniere que jamais ce ne luy pourra ayder." A ce se sont tous accordez. Une heure entre les autres estoyent les chevaliers avec Marc, et parloyent de plusieurs besongnes tant qu il advint que messire Bertrand dist a Marc-"Sire en ceste ville a ung hostel qui souloit estre a Isaac le Lombard; mais il n'est nul si hardy qu'en une chambre qui y est osast entrer, ne heberger une nuyt tant soit hardy."

"Par ma foy," fait Marc, "il seroit bien sot que pour telle chose y lairroit a aller. Je y seray en nuyt quoy

quil en adviengne." Et vers le vespre il fist faire ung grant feu en la chambre ou ces merveilles estoyent, et fist mettre les tables et allumer environ vingt torches, et y avoit bien a boire et a menger. Lors s'enferma dedans tout armé, et fist tout yssir hors, fors luy. Ceux et celles de la ville disoyent communement qu'il estoit allé a la mort; mais s' assist a table, et commenca a boire et a menger. Mais guieres neut eté a table quant table et tout versa; et puis ouyt ung si grant bruyt par l'hostel, que c'estoit merveilles a ouyr. Lors que Marc ouyt telle noise sault sus, et tire l'espee et commence a fuyr comme ung enraigé; mais il ny voit nully. A' tant vient vers le feu, et redresse sa table, et remet tout sus, et se rassiet; mais en l'heure fut tout a bas comme devant. Lors ressault sus si courroucé que plus ne peult.—" Se vous estes de bon pere ou de bonne mere passez avant de par dieu ou de par le dyable." Mais onceques plus tost ne eust dit ce mot que toute la lueur qui leans estoit fut estainte. Et fut Marc prins, et tant mal mené quil ne se peult ayder de membres qu il eust, et demoura tout coy estandu emmy la place.

Le lendemain on vint prendre garde de luy, mais on le trouva en tel estat que mieulx sembloit estre mort que vif. Dela fut emport. Et quant il fut guary feist mander ses armes et s'arma, et fist tant aincois que nul en fust adverty qu il fut en la salle, ou il avoit este si mallement atourné; et y beut et mengea, et y jeut. Vers mynuyt fut tant mal atourné que tous ses membres estoyent sans force, et perdit la parolle et le sens; mais touteffois il advint que gens vindrent leans pour veoir le lieu, et estoit jour, car de la nuyt ny eussent osé aller, et le trouverent ainsi que mort.

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Et quant il fut reguary, ung homme de religion, nommé Annas, alla avec Marc en une chambre. Et quant ils furent seul a seul: "Bel amy," fait Annas, "Je vous jure sur les saincts, que se voulez faire ce que Je vous conseilleray, vous yrez en la salle, aultrement non :" "Or dictes," fait Marc, "et sans doubte Je feray ce que me conseillerez;" "Certes," fait Annas, "Je le vueil."

"Il est vray," fait Annas, "que Je suis prebstre, et pource vous plaise me dire tous vos pechez." "Voulen

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