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l'on évitât par-là le détour de certaines côtes, et que l'on profitât de certains vents. Enfin, les marchands prirent une troisieme route: ils se rendoient à Canes ou à Océlis, ports situés à l'embouchure de la mer Rouge, d'où par un vent d'ouest, on arrivoit à Muziris, premiere étape des Indes, et de là à d'autres ports.

On voit qu'au lieu d'aller de l'embouchure de la mer Rouge jusqu'à Siagre, en remontant la côte de l'Arabie heureuse au nord-est, on alla directement de l'ouest à l'est, d'un côté à l'autre, par le moyen des moussons, dont on découvrit les changements en naviguant dans ces parages. Les anciens ne quitterent les côtes que quand ils se servirent des moussons (1) et des vents alisés, qui étoient une espece de boussole pour eux.

Pline (2) dit qu'on partoit pour les Indes au milieu de l'été, et qu'on en revenoit vers la fin de décembre et au commencement de janvier. Ceci est entièrement conforme aux journaux de nos navigateurs. Dans cette partie de la mer des Indes qui est entre la presqu'isle d'Afrique et celle de deçà le Gange, il y a deux moussons la premiere, pendant laquelle les vents vont de l'ouest à l'est, commence au mois d'août et de septembre; la deuxieme, pendant laquelle les vents vont de l'est à l'ouest, commence en janvier. Ainsi nous partons d'Afrique

(1) Les moussons soufflent une partie de l'année d'un côté, et une partie de l'année de l'autre, et les vents alisés soufflent du même côté toute l'année.— 2) Liv. VI, ch. XXIII.

pour le Malabar dans le temps que partoient les flottes de Ptolomée, et nous en revenons dans le même temps.

La flotte d'Alexandre mit sept mois pour aller de Patale à Suse. Elle partit dans le mois de juillet, c'est-à-dire dans un temps où aujourd'hui aucun navire n'ose se mettre en mer pour revenir des Indes. Entre l'une et l'autre mousson, il y a un intervalle de temps pendant lequel les vents varient, et où un vent de nord, se mêlant avec les vents ordinaires, cause, sur-tout auprès des côtes, d'horribles tempêtes. Cela dure les mois de juin, de juillet et d'août. La flotte d'Alexandre partant de Patale au mois de juillet, essuya bien des tempêtes; et le voyage fut long parcequ'elle navigua dans une mousson contraire.

Pline dit qu'on partoit pour les Indes à la fin de l'été ainsi on employoit le temps de la variation de la mousson à faire le trajet d'Alexandrie à la mer Rouge.

Yoyez, je vous prie, comment on se perfec tionna peu à peu dans la navigation. Celle que Darius fit faire pour descendre l'Indus et aller à la mer Rouge fut de deux ans et demi (1). La flotte d'Alexandre (2), descendant l'Indus, arriva à Suse dix mois après, ayant navigué trois mois sur l'Indus et sept sur la mer des Indes: dans la suite, le trajet de la côte de Malabar à la mer Rouge se fit en quarante jours (3).

(1) Hérodote, in Melpomene.—(2) Pline, 1. VI, ch. XXIII.—(3) Ibid.

Strabon, qui rend raison de l'ignorance où l'on étoit des pays qui sont entre l'Hypanis et le Gange, dit que, parmi les navigateurs qui vont de l'Egypte aux Indes, il y en a peu quiaillent jusqu'au Gange. Effectivement on voit que les flottes n'y alloient pas; elles alloient, par les moussons de l'ouest à l'est, de l'embouchure de la mer Rouge à la côte de Malabar. Elles s'arrêtoient dans les étapes qui y étoient, et n'alloient point faire le tour de la presqu'isle deçà le Gange par le cap de Comorin et la côte de Coromandel : le plan de la navigation des rois d'Egypte et des Romains étoit de revenir la même année (1).

Ainsi il s'en faut bien que le commerce des Grecs et des Romains aux Indes ait été aussi étendu que le nôtre; nous qui connoissons des pays immenses qu'ils ne connoissoient pas; nous qui faisons notre commerce avec toutes les nations indiennes, et qui commerçons même pour elles, et naviguons pour elles.

Mais ils faisoient ce commerce avec plus de facilité que nous; et, si l'on ne négocioit aujourd'hui que sur la côte de Guzarat et du Malabar, et que, sans aller chercher les isles du midi, on se contentat des marchandises que les insulaires viendroient apporter, il faudroit préférer la route de l'Egypte à celle du cap de Bonne-Espérance. Strabon dit (2) que

(1) Pline, liv. VI, ch. XXIII.—(2) Liv. XV.

l'on négocioit ainsi avec les peuples de la Taprobane.

CHAPITRE X.

Du tour de l'Afrique.

On trouve dans l'histoire qu'avant la découverte de la boussole on tenta quatre fois de faire le tour de l'Afrique. Des Phéniciens, envoyés par Nécho (1) et Eudoxe (2), fuyant la colere de Ptolomée - Lature, partirent de la mer Rouge, et réussirent. Sataspe (3) sous Xerxès, et Hannon qui fut envoyé par les Carthaginois, sortirent des colonnes d'Hercule, et ne réussirent pas.

Le point capital, pour faire le tour de l'Afrique, étoit de découvrir et de doubler le cap de Bonne-Espérance. Mais, si l'on partoit de la mer Rouge, on trouvoit ce cap de la moitié de chemin plus près qu'en partant de la Méditerranée : la côte qui va de la mer Rouge au cap est plus saine que (4) celle qui va du cap aux colonnes d'Hercule. Pour que ceux qui partoient des colonnes d'Hercule aient pu découvrir le cap, il a fallu l'invention de la boussole, qui a fait que l'on a quitté la côte d'Afrique, et qu'on a navigué dans le vaste

(1) Hérodote, liv. IV. Il vouloit conquérir.— (2) Pline, liv. II, chap. LXVII; Pomponius Mela, liv. III, ch. IX.-(3) Hérodote, in Melpomene. (4) Joignez à ceci ce que je dis au chapitre XI de ce livre sur la navigation d'Hannon.

ESPR. DES LOIS. 3.

HIVERSIDAD CENTRE,

Océan (1) pour aller vers l'isle de Sainte-Hélene ou vers la côte du Brésil. Il étoit donc très possible qu'on fût allé de la mer Rouge dans la Méditerranée sans qu'on fût revenu de la Méditerranée à la mer Rouge.

Ainsi, sans faire ce grand circuit, après lequel on ne pouvoit plus revenir, il étoit plus naturel de faire le commerce de l'Afrique orientale par la mer Rouge, et celui de la côte occidentale par les colonnes d'Hercule.

Les rois grecs d'Egypte découvrirent d'abord dans la mer Rouge la partie de la côte d'Afrique qui va depuis le fond du golfe où est la cité d'Heroum jusqu'à Dira, c'est-à-dire jusqu'au détroit appelé aujourd'hui de Babelmandel. De là, jusqu'au promontoire des Aromates, situé à l'entrée de la mer Rouge (2), la côte n'avoit point été reconnue par les navigateurs ; et cela est clair par ce que nous dit Artémidore (3), que l'on connoissoit les lieux de cette côte, mais qu'on en ignoroit les distances; ce qui venoit de ce qu'on avoit successivement

(1) On trouve dans l'Océan Atlantique, aux mois d'octobre, novembre, décembre, et janvier, un tent de nord-est. On passe la ligne ; et, pour éluder le vent général d'est, ou dirige sa route vers le sud, ou bien on entre dans la zone torride, dans les lieux où le vent souffle de l'ouest à l'est.-(2) Ce golfe, auquel nous donnons aujourd'hui ce nom, étoit appelé par les anciens le sein arabique: ils appeloient mer Rouge la partie de l'Océan voisine de ce golfe.-(3) Strabon, liv. XVI.

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