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CHAPITRE IX.

Du commerce des rois grecs après Alexandre.

LORSQUE Alexandre conquit l'Egypte, on connoissoit très peu la mer Rouge, et rien de cette partie de l'Océan qui se joint à cette mer, et qui baigne d'un côté la côte d'Afrique, et de l'autre celle de l'Arabie : on crut même depuis qu'il étoit impossible de faire le tour de la presqu'isle d'Arabie. Ceux qui l'avoient tenté de chaque côté avoient abandonné leur entreprise. On disoit (1): « Comment seroit-il possible de naviguer au midi des côtes de l'Ara«bie, puisque l'armée de Cambyse, qui la tra« versa du côté du nord, périt presque toute; « et que celle que Ptolomée, fils de Lagus, en« voya au secours de Séleucus Nicator à Baby<«<lone, souffrit des maux incroyables, et, à cause « de la chaleur, ne put marcher.que la nuit? >> Les Perses n'avoient aucune sorte de navigation. Quand ils conquirent l'Egypte, ils y apporterent le même esprit qu'ils avoient eu chez eux; et la négligence fut si extraordinaire, que les rois grecs trouverent que non seulement les navigations des Tyriens, des Iduméens, et des Juifs, dans l'Océan, étoient ignorées, mais que celles même de la mer Rouge l'étoient. Je crois que la destruction de la premiere Tyr par Nabuchodonosor, et celle de

(1) Voyez le livre Rerum indicarum.

plusieurs petites nations et villes voisines de la mer Rouge, firent perdre les connoissances que l'on avoit acquises.

L'Egypte, du temps des Perses, ne confinoit point à la mer Rouge: elle ne contenoit (1) que cette lisiere de terre longue et étroite que le Nil couvre par ses inondations, et qui est resserrée des deux côtés par des chaînes de montagnes. Il fallut donc découvrir la mer Rouge une seconde fois, et l'Océan une seconde fois; et cette découverte appartint à la curiosité des rois grecs.

On remonta le Nil; on fit la chasse des éléphants dans les pays qui sont entre le Nil et la mer; on découvrit les bords de cette mer par les terres et, comme cette découverte se fit sous les Grecs, les noms en sont grecs, et les temples sont consacrés (2) à des divinités grecques.

Les Grecs d'Egypte purent faire un commerce très étendu; ils étoient maîtres des ports de la mer Rouge: Tyr, rivale de toute nation commerçante, n'étoit plus ; ils n'étoient point gênés par les anciennes (3) superstitions du pays; l'Egypte étoit devenue le centre de

l'univers.

Les rois de Syrie laisserent à ceux d'Egypte le commerce méridional des Indes, et ne s'attacherent qu'à ce commerce septentrional qui

(1) Strabon, liv. XVI.—(2) Ibid.--(3) Elles leur donnoient de l'horreur pour les étrangers.

se faisoit par l'Oxus et la mer Caspienne. On croyoit, dans ces temps-là, que cette mer étoit une partie de l'Océan septentrional (1): et Alexandre, quelque temps avant sa mort, avoit fait construire (2) une flotte pour découvrirsielle communiquoit à l'Océan par le PontEuxin, ou par quelque autre mer orientale vers les Indes. Après lui, Séleucus et Antio chus eurent une attention particuliere à la reconnoitre: ils y entretinrent (3) des flottes. Ce que Séleucus reconnut fut appelé mer Séleucide; ce qu'Antiochus découvrit fut appelé mer Antiochide. Attentifs aux projets qu'ils pouvoient avoir de ce côté-là, ils négligerent les mers du midi; soit que les Ptolomées, par leurs flottes sur la mer Rouge, s'en fussent déja procuré l'empire, soit qu'ils eussent découvert dans les Perses un éloignement invincible pour la marine. La côte du midi de la Perse ne fournissoit point de matelots; on n'y en avoit vu que dans les derniers moments de la vie d'Alexandre. Mais les rois d'Egypte, maîtres de l'isle de Chypre, de la Phénicie, et d'un grand nombre de places sur les côtes de l'Asie mineure, avoient toutes sortes de moyens pour faire des entreprises de mer. Ils n'avoient

(1) Pline, liv. II, ch. LXVIII; et liv. VI, ch. IX et XII; Strabon, liv. XI; Arrien, de l'expéd. d'Alexandre, liv. III, page 74; et liv. V, page 104.(2) Arrien, de l'expéd. d'Alexandre, liv. VII. (3) Pline, Liv. II, ch. LXIV.

point à contraindre le génie de leurs sujets; ils n'avoient qu'à le suivre.

On a de la peine à comprendre l'obstination des anciens à croire que la mer Caspienne étoit une partie de l'Océan ; les expéditions d'Alexandre, des rois de Syrie, des Parthes, et des Romains, ne purent leur faire changer de pensée: c'est qu'on revient de ses erreurs le plus tard qu'on peut. D'abord on ne connut que le midi de la mer Caspienne, on la prit pour l'Océan; à mesure que l'on avança le long de ses bords du côté du nord, on crut encore que c'étoit l'Océan qui entroit dans les terres. En suivant les côtes, on n'avoit reconnu du côté de l'est que jusqu'au Jaxarte; et du côté de l'ouest, que jusqu'aux extrémités de l'Albanie. La mer du côté du nord étoit vaseuse (1), et par conséquent très peu propre à la navigation. Tout cela fit que l'on ne vit jamais que l'Océan.

L'armée d'Alexandre n'avoit été du côté de l'orient que jusqu'à l'Hypanis, qui est la derniere des rivieres qui se jettent dans l'Indus. Ainsi le premier commerce que les Grecs eurent aux Indes se fit dans une très petite partie du pays. Séleucus Nicator pénétra jusqu'au Gange (2); et par-là on découvrit la mer où ce fleuve se jette, c'est-à-dire le golfe de Bengale. Aujourd'hui l'on découvre les terres par les

(1) Voyez la carte du czar.--(2) Pline, liv. VI,

ch. XVII.

Voyages de mer: autrefois on découvroit les mers par la conquête des terres.

Strabon (1), malgré le témoignage d'Apollodore, paroît douter que les rois (2) grecs de Bactriane soient allés plus loin que Séleucus et Alexandre. Quand il seroit vrai qu'ils n'auroient pas été plus loin vers l'orient que Séleucus, ils allerent plus loin vers le midi : ils découvrirent (3) Siger et des ports dans le Malabar, qui donnerent lieu à la navigation dont je vais parler.

Pline (4) nous apprend qu'on prit successivement trois routes pour faire la navigation des Indes. D'abord on alla du promontoire de Siagre à l'isle de Patalene, qui est à l'embouchure de l'Indus on voit que c'étoit la route qu'avoit tenue la flotte d'Alexandre. On prit ensuite un chemin plus court (5) et plus sûr; et on alla du même promontoire à Siger: ce Siger nepeut être que le royaume de Siger dont parle Strabon (6), que les rois grecs de Bactriane découvrirent. Pline ne peut dire que ce chemin fût plus court que parcequ'on le faisoit en moins de temps; car Siger devoit être plus reculé que l'Indus; puisque les rois de Bactriane le découvrirent. Il falloit donc que

(1) Liv. XV.-(2) Les Macédoniens de la Bactriane, des Indes, et de l'Ariane, s'étant séparés du royaume de Syrie, formerent un grand état.(3) Apollonius Adramittin, dans Strabon, liv. XI. ~(4) Liv. VI, ch. XXIII.—(5) Pline, liv. VI, ch. XXIII. (6) Liv. XI, Sigertidis regnum.

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