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fants: ils n'ont pas même leur nourriture; comment pourroient-ils songer à la partager? Ils ne peuvent se soigner dans leurs maladies; comment pourroient-ils élever des créatures qui sont dans une maladie continuelle, qui est l'enfance?

C'est la facilité de parler et l'impuissance d'examiner qui ont fait dire que plus les sujets étoient pauvres, plus les familles étoient nombreuses; que plus on étoit chargé d'impôts, plus on se mettoit en état de les payer: deux sophismes qui ont toujours perdú et qui perdront à jamais les monarchies.

La dureté du gouvernement peut aller jusqu'à détruire les sentiments naturels par les sentiments naturels mêmes. Les femmes de l'Amérique (1) ne se faisoient-elles pas avorter pour que leurs enfants n'eussent pas des maîtres aussi cruels?

CHAPITRE XII.

Du nombre de filles et de garçons dans différents pays.

J'Ar déja dit qu'en (2) Europe il naît un peu plus de garçons que de filles. On a remarqué qu'au Japon (3) il naissoit un peu plus de filles que de garçons: toutes choses égales, il y aura

(1) Relation de Thomas Gage, p. 58.—(2) Au liv. XVI, ch. IV.—(3) Voyez Kempfer, qui rapporte un dénombrement de Méaco.

plus de femmes fécondes au Japon qu'en Europe, et par conséquent plus de peuple.

Des relations (1) disent qu'à Bantam il y a dix filles pour un garçon: une disproportion pareille, qui feroit que le nombre des familles y seroit au nombre de celles des autres climats comme un est à cinq et demi, seroit excessive. Les familles y pourroient être plus grandes à la vérité; mais il y a peu de gens assez aisés pour pouvoir entretenir une si grande famille.

DANS

CHAPITRE XIII.

Des ports de mer.

ANS les ports de mer, où les hommes s'exposent à mille dangers et vont mourir ou vivre dans des climats reculés, il y a moins d'hommes que de femmes; cependant on y voit plus d'enfants qu'ailleurs: cela vient de la facilité de la subsistance. Peut-être même que les parties huileuses du poisson sont plus propres à fournir cette matiere qui sert à la génération. Ce seroit une des causes de ce nombre infini de peuple qui est au Japon (2) et à la Chine (3), où l'on ne vit presque que de poisson (4). Si

(1) Recueil des voyages qui ont servi à l'établissement de la compagnie des Indes, tome I, p. 347.(2) Le Japon est composé d'isles, il y a beaucoup de rivages, et la mer y est très poissonneuse.-(3) La Chine est pleine de ruisseaux.--(4) Voyez le P. du Halde, tome II, p. 139, 142, et suiv.

cela étoit, de certaines regles monastiques, qui obligent de vivre de poisson, seroient contraires à l'esprit du législateur même.

CHAPITRE XIV.

Des productions de la terre qui demandent plus ou moins d'hommes.

LES

Es pays de pâturages sont peu peuplés, parceque peu de gens y trouvent de l'occupation: les terres à bled occupent plus d'hommes, et les vignobles infiniment davantage.

En Angleterre (1), on s'est souvent plaint que l'augmentation des pâturages diminuoit les habitants; et on observe en France que la grande quantité de vignobles y est une des grandes causes de la multitude des hommes.

Les pays où les mines de charbon fournissent des matieres propres à brûler ont cet avantage sur les autres, qu'il ny faut point de forêts, et que toutes les terres peuvent être cultivées.

Dans les lieux où croit le riz, il faut de grands

(1) La plupart des propriétaires des fonds de terre, dit Burnet, trouvant plus de profit en la vente de leur laine que de leur bled, enfermerent leurs possessions. Les communes, qui mouroient de faim, se souleverent: on proposa une loi agraire ; le jeune roi écrivit même là-dessus : on fit des proclamations contre ceux qui avoient renfermé leurs terres. Abrégé de l'Histoire de la réforme, p. 44 et 83.

travaux pour ménager les eaux; beaucoup de gens y peuvent donc être occupés. Il y a plus, il y faut moins de terre pour fournir à la subsistance d'une famille que dans ceux qui produisent d'autres grains; enfin la terre qui est employée ailleurs à la nourriture des animaux y sert immédiatement à la subsistance des hommes: le travail que font ailleurs les animaux est fait là par les hommes; et la culture des terres devient pour les hommes une immense manufacture..

CHAPITRE XV.

Du nombre des habitants par rapport aux arts.

LORSQU'IL y a une loi agraire et que les terres sont également partagées, le pays peut être très peuplé, quoiqu'il y ait peu d'art, parceque chaque citoyen trouve dans le travail de sa terre précisément de quoi se nourrir, et que tous les citoyens ensemble consomment tous les fruits du pays. Cela étoit ainsi dans quelques anciennes républiques.

Mais, dans nos états d'aujourd'hui, les fonds de terre sont inégalement distribués; ils produisent plus de fruits que ceux qui les cultivent n'en peuvent consommer; et, si l'on y néglige les arts et qu'on ne s'attache qu'à l'agriculture, le pays ne peut être peuplé. Ceux qui cultivent ou font cultiver, ayant des fruits de reste, rien ne les engage à travailler l'année d'ensuite: les fruits ne seroient point consom

més par les gens oisifs, car les gens oisifs n'auroient pas de quoi les acheter. Il faut donc que les arts s'établissent pour que les fruits soient consommés par les laboureurs et les artisans. En un mot, ces états ont besoin que beaucoup de geus cultivent au-delà de ce qui leur est nécessaire pour cela il faut leur donner envie d'avoir le superflu; mais il n'y a que les artisans qui le donnent.

Ces machines dont l'objet est d'abréger l'art ne sont pas toujours utiles. Si un ouvrage est à un prix médiocre, et qui convienne également à celui qui l'achete et à l'ouvrier qui l'a fait, les machines qui en simplifieroient la manufacture, c'est-à-dire qui diminueroient le nombre des ouvriers, seroient pernicieuses; et si les moulins à eau n'étoient pas par-tout établis, je ne les croirois pas aussi utiles qu'on le dit, parcequ'ils ont fait reposer une infinité de bras, qu'ils ont privé bien des gens de l'usage des eaux, et ont fait perdre la fécondité à beaucoup de terres.

CHAPITRE XVI.

Des vues du législateur sur la propagation de l'espece,

LES Es réglements sur le nombre des citoyens dépendent beaucoup des circonstances. Il y a

des

pays où la nature a tout fait; le législateur n'y a donc rien à faire. A quoi bon engager par des lois à la propagation lorsque la fécondité du climat donne assez de peuple? Quelquefois

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