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»Ah! je le crois, et mon cœur me l'assure, il >est du sang des dieux; toujours quelque crainte › décèle une âme dégénérée. Comme les destins » ont pris plaisir à tourmenter ce héros! combien › de fois n'a-t-il pas épuisé toutes les fureurs de la

D

Carthage, mais d'une autre manière : Quam fortis pectore et armis!

J'aime en Sertorius ce grand art de la guerre
Qui soutient un banni contre toute la terre ;

J'aime en lui ces cheveux tout couverts de lauriers,
Ce front qui fait trembler les plus braves guerriers,
Ce bras qui semble avoir la victoire en partage.

Sertorius, acte 11, scène ire.

L'Hermione de Racine est pleine du même enthousiasme que Didon et Médée, lorsqu'elle dit à sa confidente:

Sais-tu quel est Pyrrhus? t'es-tu fait raconter

Le nombre des exploits... Mais qui peut les compter?
Intrépide, partout suivi de la victoire,

Charmant, fidèle enfin ; rien ne manque à sa gloire.

Le même sentiment éclate dans le discours où Phèdre, entraînée par une passion fatale, s'emporte jusqu'à vanter la pudeur et la beauté d'Hippolyte devant lui-même :

Charmant, jeune, traînant tous les cœurs après soi,

Tel qu'on dépeint nos dieux, ou tel que je vous voi.

On peut encore rappeler ici le portrait de Thésée par Ariane, dans Thomas Corneille, et surtout ces beaux vers de Bérénice : De cette nuit, Phénice, as-tu vu la splendeur ? Tes yeux ne sont-ils pas tout pleins de sa grandeur ? Ces flambeaux, ce bûcher, cette nuit enflammée, Ces aigles, ces faisceaux, ce peuple, cette armée, Cette foule de rois, ces consuls, ce sénat,

» guerre! Si je n'avais pas formé le dessein irrévoca»ble de ne jamais renouer une autre chaîne, de» puis le jour fatal où la mort a déçu mon premier » amour et mes espérances de bonheur; si le lit de l'hymen et ses flambeaux ne m'étaient devenus » odieux, peut-être voici la seule erreur où j'au>> rais tomber. Oui, ma sœur, je l'avouerai, de» puis le cruel trépas du malheureux Sichée, de» puis le moment qui vit rejaillir sur nos dieux » pénates son sang versé par un frère impie, ce

pu

Qui tous de mon amant empruntaient leur éclat.

Ce port majestueux, cette douce présence.

Acte I, scène v.

On peut citer aussi les expressions suivantes, où respire l'enthousiasme de Zaïre pour Orosmane :

Mets-toi devant les yeux sa grace, ses exploits;

Songe à ce bras puissant, vainqueur de tant de rois,

A cet aimable front que la gloire environne.

Au quatrième acte, Zaire dit encore :

Acte I, scène iv.

Généreux, bienfaisant, juste, plein de vertus,

S'il était né chrétien, que serait-il de plus?

On trouve dans Shakespeare une admirable et naïve peinture des impressions profondes que fait sur un jeune cœur le héros qui raconte ses malheurs et ses exploits. Le duc de Venise demande à Othello s'il a › par des moyens iniques et

violents, soumis et empoisonné les affections de Desdémona. Le Maure, après avoir prié le duc de l'entendre elle-même, ajoute :

<«< Son père m'aimait; il m'invitait souvent, toujours il me ques

Troyen seul a ému mes sens, et entraîné vers lui > ma volonté chancelante. Je reconnais les traces » du feu dont j'ai brûlé; mais que la terre ouvre >ses abîmes sous mes pas, que le puissant maître > des dieux me précipite, avec sa foudre, dans le sé>jour des ombres, des pâles ombres de l'Érèbe et de la nuit profonde, avant, ô pudeur, que je > viole tes lois et mes serments. Le premier qui » m'unit à son cœur a emporté mes amours; qu'il » les garde avec lui et les conserve dans le tom

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tionnait sur l'histoire de ma vie, sur les batailles, les siéges où je m'étais trouvé, les hasards que j'avais courus... Pendant mes récits, Desdémona, sérieuse et attentive, se penchait pour m'écouter; et si elle était distraite par quelques soins domestiques, elle rentrait aussitôt, et, d'une oreille avide, dévorant mes discours, elle tâchait d'en reprendre le fil. Je profitai de cette remarque; je saisis un moment favorable, et je trouvai le moyen de disposer son cœur à me faire une prière : c'était de lui raconter tout mon pèlerinage dans l'univers. J'y consentis, et souvent je surpris des larmes dans ses yeux quand je rappelais quelque aventure malheureuse de ma jeunesse. Desdémona, profondément émue, s'écria que mon sort était digne de pitié, digne de la plus grande pitié. Elle souhaitait de ne l'avoir pas entendu;... et cependant elle souhaitait que le ciel l'eût fait naitre homme et mise à ma place. Elle me remercia, et me dit, « si j'avais un ami qui l'aimât, de lui apprendre seulement à raconter mon histoire, et qu'il saurait comment la rendre sensible.» A cette ouverture de son cœur, je parlai : elle m'aima pour les dangers que j'avais courus, je l'aimai pour la pitié qu'elle donnait à mes malheurs; voilà ma seule magie.

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beau.» Elle dit, et des larmes inondent son visage et son sein. »

Examinons en détail les beautés de ce morceau, tout dépouillé qu'il est du charme et de ia magie des vers du plus parfait des poëtes. D'abord, l'état d'un cœur profondément blessé, qui souffre et se plaît dans ses douleurs; cet aveuglement de la passion, qui ne se connaît pas elle-même : ensuite, les souvenirs qui lui servent d'aliment; ces souvenirs s'enflamment devant une image adorée qui obtient un culte de tous les moments. Virgile dit :

Hærent infixi pectore vultus

Verbaque.

En rejetant le mot verba à la fin du tableau, il observe la gradation des effets de l'amour : l'objet chéri nous apparaît dans l'absence avec tous ses charmes, et nous cause des ravissements; mais sa voix, dont l'impression nous reste, a pour notre oreille une mélodie qui touche notre âme par je ne sais quel rapport des paroles et de l'accent avec les sentiments qu'ils expriment ’.

Le moment de l'aveu est bien choisi: c'est à

Toute voix qui me parle de Roméo a pour moi un son céleste. SHAKESPEARE.

Dans la même pièce, les chants de l'alouette matinale parais

l'aube naissante que Didon, troublée, pâle, et portant sur son front tous les ennuis qui la dévorent, va chercher du secours auprès de sa sœur. Elise, en regardant Didon, sait déjà la moitié du secret que l'on vient déposer dans son sein.

A la première exclamation de la reine, on voit qu'elle a lu avec effroi dans son propre cœur '. D'où vient cet effroi? de l'étranger admis dans sa cour majestueux, plein de courage, il est du sang des dieux; Didon l'assure. L'enthousiasme d'une femme qui s'enivre d'amour par ses propres paroles ne peut aller plus loin. Tour à tour entraînée par l'admiration et la pitié pour un héros, la veuve de Sichée s'est dit en secret : « Quel hon>neur de s'unir à tant de gloire! quel plaisir à consoler de si cruelles infortunes! » Amante déclarée, Didon sent si bien l'ardeur de ses vœux, qu'elle cherche, dans ses résolutions passées, des armes contre elle-même. La femme qui vient de tracer un si brillant portrait du prince troyen, de plaindre hautement ses malheurs, prononce

sent discors et désagréables à Juliette, parcequ'ils annoncent le jour, qui force Roméo à s'éloigner.

Rousseau a dit : « Le chant si gai des bécassines, au lieu de m'égayer, m'attristait. »

On peut appliquer à Didon ce vers de Zaïre, que Lekain disait avec une si admirable expression:

Quelle lumière affreuse a passé dans mon cœur!

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