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REMARQUES

SUR LA PREMIERE ECLOGUE.

CTAVE, après la Bataille de Philippes, où conjoin tement avec M. Antoine il avoit vaincu Brutus & Caffius, donna pour récompenfe à fes foldats vétérans toutes les terres situées autour de Crémone & de Mantoue, & par une injuftice criante, il en dépouilla les légitimes poffeffeurs. Le Pere de Virgile, dont le petit bien étoit situé près de Mantoue, fut enveloppé dans cette difgrace. Mais comme on avoit alors des égards pour le mérite & les talens, il y eut une exception en få faveur. Virgile le fils ayant par ses Vers mérité les bonnes graces de Pollion, qui commandoit quelques légions dans le pays, celui-ci lui donna une lettre de recommandation pour Mécéne qui étoit à Rome. Il s'y rendit avec son pere, & Mécéne les présenta l'un & l'autre à Octave, qui voulut bien leur conserver leurs terres. Ce fut pour en témoigner sa reconnoiffance que le Poëte compofa cette Eclogue, étant pour lors âgé de 29. ans. Il s'y représente lui-même sous le nom de Tityre. Quoique le pere de Virgile ne foit pas cenfé préfent, c'est cependant à lui que s'adreffent le 47° vers, qui commence par ces mots Fortunate fenex, & les vers suivans jufqu'au 19e. Il eft ridicule de fuppofer, comme le Pere Catrou, que Tityre représente le vieux pere de Virgile, jouant du chalumeau & chantant fes amours. Dans cette hypothéfe, l'amoureux Tityre eft un Berger à barbe blanche, qui a attendu jusqu'à la fin de fes jours à ceffer d'être amoureux de Galatée, pour aimer Amaryllis. Dire, comme ce Traducteur, qu'il ne s'agit que d'un amour allégorique, & que Galatée eft Mantoue, & Amaryllis Rome, c'eft une explication abfurde. Amaryllis, la nouvelle Maitreffe de Tityre, fait des vœux pour le retour de ce Berger qui était allé à Rome, & elle lui conferve fes fruits. Com

ment Rome feroit-elle cette prétendue amante? La fuppofition eft inconcevable. D'ailleurs une Ville, représentée comme une Maitreffe charmante, rappelle les beaux yeux de ma caffette de la Comédie de Moliere.

Le nom de la belle Amaryllis. Aucun des Interprétes & des Traducteurs n'a jufqu'ici compris que Mélibée commence par témoigner à Tityre, combien fa tranquillité l'étonne. Faute d'y faire attention, & de voir qu'il s'agit d'une espéce de reproche, ils ont rendu le commencement de cette Eclogue d'une maniére infipide. Le P. Catrou commence ainfi : Vous voilà donc, Tityre, &c.

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O Mélibée, c'cft à un Dieu, &c. Il y a dans le titre de Dieu, que Tityre donne ici à Octave, une flaterie poëtique. Le titre de Divus ne fut donné au Triumvir qu'après la derniére défaite de Sext. Pompeïus, l'an de Rome 718, fous le Confulat de Vipfanius Agrippa & de Cananius Gallus, Octave étant alors âgé de 27 à 28 ans. Or cette Eclogue n'a été compofée que l'an de Rome 713, fous le Confulat de P. Servilius, & de Lucius Antonius frere de Marc-Antoine. Ce fut cette même année 713 > que fe fit le partage célébre des terres, Tyrannie qui révolta les peuples, & donna lieu à la guerre de Pérouse ; parce que les anciens poffeffeurs eurent recours à Lucius Antonius, pour se venger de cette oppreffion, & confpirérent contre les Triumvirs.

3 Dont la barbe a blanchi dans la fervitude. Il eft manifefte que Tityre en cet endroit fe compare à un esclave, que l'on n'affranchit que fur la fin de les jours; Candidior poftquam, &c. Sans cela, ce qu'il dit feroit ridicule. Le peculium, dont il parle en ce même endroit, confirme cette idée, puifque peculium étoit l'argent que les efclaves amasfoient. Servius s'avife de rapporter candidior à libertas. Un autre (c'eft Pomponius) dit que candidior barba c'est le poil folet, lanugo. Virgile avoit alors 29 ans, & il n'y a plus de poil folet à cet âge.

↑ Ma main n'en revenoit jamais chargée d'argent. C'est que fa Maitresse Galatée lui prenoit tout ce qu'il pouvoit gagner.

50 Amaryllis, j'étois furpris, &c. Des Commentateurs, & le dernier Traducteur de Virgile ( l'Abbé de la Landelle de S. Remy) à l'exemple du P. Catrou, ne pouvant entendre le fil du dialogue de cette piéce, ont pris la liberté d'altérer le texte & de fubftituer Galatea au mot Amarylli, fans faire réfléxion que le manufcrit de Florence, & celui de la Bibliothèque du Roy, qui font les plus parfaits de l'aveu de tout le monde, portent Amarylli. En fuppofant Galatea au lieu d'Amarylli, les vers fuivans deviennent un vrai galimathias. Une amante abandonnée peut-elle avoir les fentimens qui y font exprimés?

Heureux vieillard, &c. Ces vers, qui s'adreffent au pere de Virgile, ne formoient point d'équivoque dans fon tems. On fçavoit que le jeune Poëte avoit un pere âgé, à qui les champs dont il s'agit appartenoient. On ne pouvoit s'y méprendre, comme on a fait depuis, ce qui a été la fource de plufieurs fauffes interprétations.

7 Le Bucheron qui émonde les arbres fur cette baute montagne. Parce que Servius a avancé, qu'il y avoit certains oifeaux toujours perchés fur les arbres, qu'on appelloit frondatores, l'Abbé de S. Remy s'eft avifé de traduire ici frondatores par les roffignols. Dans quel Auteur a-t-il vû le roffignol appellé frondator? Virgile ne fe feroit-il pas fervi du mot de Lufcinia ou de Philomela, s'il avoit eu en vûe de parler ici des roffignols?

१ Le Germain boira des eaux du Tigre. Sans égard à la Syntaxe, le même Traducteur rapporte le mot d'exul à la Saone & au Tigre, deux fleuves, dont le premier coule dans la Gaule & le fecond dans l'Affyrie & la Méfopotamie. Du refte les Commentateurs fe font beaucoup tourmentés pour expliquer géographiquement Aut Ararim Parthus bibet, aut Germania Tigrim; comme s'il étoit néceffaire pour le fens de ces vers, que la Saone fût dans la Germanie, & le Tigre dans la Parthie. L'Abbé de S. Remy, pour autorifer le contre-fens de fa Traduction, dit que les migrations des peuples étoient anciennement fort fréquentes. Mais s'agit-il ici d'une colonie de Parthes qui s'établiroit dans la Gaule, ou d'un effaim de Germains qui

fe tranfporteroit dans la Méfopotamie? Non, ce ne font pas ces fortes de migrations que Virgile regarde ici comme des chofes impoffibles. Il eft queftion de toute une nation, Parthus, Germania. Or il n'eft jamais arrivé qu'uné nation entiére, une nation nombreuse & étendue, telle que les Parthes & les Germains, abandonnât à la fois fon pays pour s'établir dans un autre. C'est ainsi que faute d'entendre un Auteur, tantôt on prend la liberté de corrompre fon texte, tantôt de n'avoir aucun égard à l'arrangement des termes, tantôt de lui fubftituer des fens ridicules. Ce que je dis ici des Traducteurs, doit auffi s'appliquer aux mauvais Commentateurs qui les ont guidés.

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Déja la fumée s'élève des toits de ces hameaux éloignés. La plupart des Traducteurs font fumer les cheminées de ces hameaux. Mais il n'y avoit pas alors de cheminées en Italie, fur-tout à la campagne, & il y en a encore fort peu aujourdui.

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ECLOGA II.

ALEXI S.

ORMOSUM paftor Corydon ardebat Alexim, Delicias domini, nec quid fperaret habebat. Tantum inter denfas, umbrofa cacumina, fagos Affidue veniebat: ibi hæc incondita folus 5 Montibus & fylvis studio jactabat inani.

O crudelis Alexi, nihil mea carmina curas, Nil noftri miferere: mori me denique cogis. Nunc etiam pecudes umbras & frigora captant ; Nunc virides etiam occultant fpineta lacertos: to Theftilis & rapido feffis mefforibus æftu

Allia ferpillumque herbas contundit olentes. At mecum raucis, tua dum veftigia luftro, Sole fub ardenti refonant arbufta cicadis. Nonne fuit fatius triftes Amaryllidis iras, 15 Atque fuperba pati faftidia? Nonne Menalcam ? Quamvis ille niger, quamvis tu candidus effes. O formofe puer, nimium ne crede colori. Alba liguftra cadunt, vaccinia nigra leguntur. Despectus tibi fum, nec qui fim quæris, Alexi, II, ECLO

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