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unique en son genre. Mais qu'on ne nous dise pas qu'il faut reléguer ce témoignage parmi ceux des écoles indiennes, et que ce témoignage n'est pas compétent pour expliquer synthétiquement le sentiment des anciens sur cette question de la vie éternelle et de la vie future.

Je dirais plus volontiers que ce témoignage est de nature à nous expliquer radicalement et complètement tout le mystère de la philosophie grecque, et à dissiper ainsi les nuages qui couvrent encore cette philosophie. En effet, nous avons là la vérité même dont les Grecs ont fait un usage souvent admirable et souvent fort défectueux, et dont ils ont ainsi tiré soit la vérité, soit l'erreur.

Ils la possédaient, au fond, cette vérité, et néanmoins ils en ont souvent tiré l'erreur, et principalement l'espèce d'erreur où Spinoza, dans ces derniers temps, paraît s'être jeté à son tour, l'idée de la réfusion des âmes particulières dans l'âme du monde. « A peine, dit Gassendi (1), y a-t-il eu au«< cun philosophe (tel est l'aveuglement et la fai«< blesse de l'esprit humain!) qui ne soit tombé • dans l'erreur de croire la réfusion de l'âme hu« maine dans l'âme du monde. Préoccupés de « l'idée que les âmes étaient autant de particules « de l'âme du monde, renfermées dans les corps

(1) Animadvers, in decimum librum Diogenis Laertii.

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« comme de l'eau l'est dans un vase, ils s'imagi<< naient qu'il en était de chaque âme, à la dissolu<< tion du corps, comme dans le cas d'un vase qui « se brise, qu'elle s'écoulait et se réunissait à l'âme <<< du monde, dont elle avait été détachée; à moins qu'à cause des taches dont elle se serait souillée << dans un corps impur, cette union ne fût différée plus ou moins, jusqu'à ce que cette âme se fût << entièrement purifiée. » Le docte Gassendi croit résumer là d'une façon complète, absolue, et en se fondant sur l'évidence du fait, une foule de témoignages qui nous restent de l'ancienne philosophie grecque. Il se trompe néanmoins. On pourrait lui soutenir, avec solidité et en s'appuyant d'autant de témoignages, que les anciens philosophes n'ont pas cru à cette réfusion dans l'âme universelle. Pythagore (tous les monuments l'attestent) maintient à la fois l'Être universel et les êtres particuliers. Platon, vulgarisateur de la philosophie, fut obligé de se tromper, à cause de sa mission même, comme je l'ai montré ; et pourtant (je crois l'avoir prouvé) il n'erra pas foncièrement, et, au principe, il n'y a pas d'erreur chez lui. Apollonius, à son tour, répond à l'accusation portée par Gassendi; car, bien loin de briser le vase, il appelle l'être particulier un vase éternel.

Il faut distinguer. Quand Cicéron dit que «< nous «< tirons et puisons nos âmes en Dieu, » et que

<«< telle est l'opinion des plus sages et des plus << savants des hommes ( 1), » ni Cicéron ni les philosophes dont il invoque le témoignage ne se trompent. Quand ailleurs il dit que « l'esprit humain, « tiré de l'esprit divin, ne peut être justement <«< comparé qu'à Dieu (2), » il n'est pas non plus dans l'erreur, quoique son expression soit imparfaite. Quand il dit que « rien dans le monde vi<«<sible ne peut nous expliquer l'origine de cet <«< invisible qui est en nous, et que nous appelons esprit ou âme; que rien ne se montre dans les «< corps, tels que nous les considérons, qui ait <«< mémoire et pensée, qui retienne le passé, prévoie l'avenir, embrasse le présent; que ces facultés « sont divines; et que l'on ne trouvera jamais qu'elles puissent venir à l'homme autrement que « par Dieu; qu'ainsi, par conséquent, ce qui sent, « ce qui sait, ce qui veut, ce qui vit en un mot, « est céleste et divin; et que, pour cette raison « même, il est de toute nécessité que ce principe qui est en nous, et qui est nous, soit éternel (3);

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(1) « A natura Deorum, ut doctissimis sapientissimisque placuit, haustos animos et libatos habemus. (De Divin. lib. I, C. XLIX.) »

(2)«< Humanus autem animus, decerptus ex mente divina, cum alio

>> nullo nisi cum ipso Deo comparari potest. (Tusc. Disp. lib. V, c. xv.)» (3) « Animorum nulla in terris origo inveniri potest... His enim in

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<< naturis nihil inest, quod vim memoriæ, mentis cogitationes habeat, quod et præterita teneat, et futura provideat, et complecti possit præsen«tia; quæ sola divina sunt. Nec invenietur unquam unde ad hominem

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