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IV.

Il nous faut donc, de toute nécessité, quitter le pur domaine de la politique et de l'histoire, pour chercher ailleurs, dans la philosophie, ce point solide qui nous est nécessaire.

Dieu est toujours notre base, la base où tous les êtres viennent prendre leur point d'appui; il est l'arc-boutant où toutes les forces viennent s'étayer pour soulever les obstacles qu'elles ont à

vaincre.

Dieu lui-même, c'est-à-dire Dieu en tant qu'il se communique à nous, c'est-à-dire, en d'autres termes, une certaine intuition de l'essence même de la vie, peut donc seul nous donner ce point d'appui que l'âme cherche pour savoir si elle doit s'attacher aux destins futurs de l'humanité, ou s'en distraire et s'en séparer.

Hors de la religion, en un mot, nous ne saurions trouver ce point solide qui nous est nécessaire, et sans lequel la force que nous sentons en nous n'est pas une force utilisable.

V.

Ce point solide, je le répète, ne doit être cherché que dans la religion.

Archimède, lui aussi, demandait un point fixe; et, avec une force, quelque faible qu'elle fût, et un levier, s'il avait ce point fixe, il se vantait qu'il remuerait le monde. Suivant qu'on comprend cette parole, on fait dire à Archimède une grande vérité ou une grande absurdité. Ne voit-on pas, en effet, que demander ce point fixe, c'était demander le monde lui-même? Car qui donnera ce point fixe, si ce n'est l'univers tout entier, avec la grâce de l'Être au sein duquel et par lequel vit l'univers ?

Il en est de même du point fixe que nous demandons. Ce n'est ni l'histoire, ni la politique, qui peuvent nous le donner. Ce n'est pas l'observation du passé, ce n'est pas l'observation du présent, qui le peuvent. Ce n'est rien de fini qui peut nous le donner, pas plus que rien de fini ne pouvait donner à Archimède son point fixe où il voulait poser son levier pour faire agir sa force. Ce qui peut nous le donner, c'est l'Être Infini manifesté dans nos consciences et dans son éternelle Révélation.

Il s'agit de voir s'il n'y a pas quelque point fixe, en Dieu et en nous, sur lequel nous puissions nous appuyer pour le perfectionnement de nousmêmes, de l'humanité, et du monde.

VI.

Une force, un levier, un point fixe: ne faut-il pas tout cela dans la mécanique ordinaire? Trouvera-t-on donc étrange qu'il faille aussi trois termes analogues dans la mécanique morale!

La force, c'est nous; le levier, c'est l'idée du progrès. Donnez-moi un axiome ontologique certain: ce sera le point fixe, le point résistant, où le sentiment et l'idée s'appuieront. L'effet, l'effet utile, suivra nécessairement.

Que nous soyons une force, qu'il y ait une force en nous, une force qui demande à s'utiliser, et qui, pour s'utiliser, c'est-à-dire pour vivre et produire un effet, demande à s'appuyer sur quelque vérité morale incontestable, cela est évident, cela se sent, cela est convenu pour tous.

Que l'étude du fini, l'observation du passé, l'attention à ce qui se fait actuellement dans le monde, fournissent à cette force un levier dans la notion du progrès, du perfectionnement possible de nos facultés, de l'accroissement possible de notre puissance sur la nature, de la possibilité d'une meilleure organisation des sociétés humaines, de la possibilité d'une science de plus en plus grande de l'homme relativement à tous

les mystères qui l'entourent, et qui cachent encore à ses yeux et les choses naturelles, et sa propre histoire, et lui-même; cela est encore aujourd'hui reconnu, généralement admis, consenti par tout homme qui réfléchit et qui pense.

Ce n'est, je le répète, ni la force, ni le levier, qui nous manquent. La force, c'est le besoin incessant que nous avons de vivre. Le levier, c'est l'industrie, l'art, la science, que chacun aujourd'hui croit incessamment perfectibles. Ce qui manque, c'est l'axiome ontologique dont je parle.

C'est un axiome sur la vie, sur l'être, qui nous manque. C'est un axiome religieux. Que sommesnous, qu'est chacun de nous en Dieu ? Quelle est la volonté du Créateur en nous donnant l'être à chaque moment de notre existence? Où est notre vie, quel est l'objet de notre vie?

On voit que par ce mot d'axiome ontologique j'entends quelque chose d'assez différent de cette science abstraite et tronquée qu'on appelle quelquefois dans les écoles actuelles ontologie. Il n'y a pas à faire de philosophie, si l'on ne brise à chaque instant les absurdes barrières que les psychologues modernes ont établies entre leurs élucubrations abstraites et la vie, c'est-à-dire la vie religieuse, morale et sociale à la fois.

Or donc, ce point fixe, que je crois démontrable autant que la vie peut se démontrer, autant que l'infini peut se prouver, et dont je vais essayer d'apporter une démonstration, c'est la communion du genre humain, ou, en d'autres termes, la solidarité mutuelle des hommes.

VII.

L'antique mythe de la Bible juive nous faisait tous solidaires en Adam.

Le Christianisme s'est enté sur cette solidarité. Jésus-Christ, sauveur de l'humanité par voie de réversibilité et de solidarité, est un mythe correspondant au mythe d'Adam, damnateur de sa race par solidarité aussi et réversibilité.

La vérité, c'est qu'en effet nous sommes tous solidaires, et vivons d'une vie commune, ou plutôt, comme dit Jésus, d'une vie une.

J'accepte donc l'idée qui est au fond de ces mythes, et je m'efforce d'en démontrer la vérité par des raisons philosophiques et de l'ordre naturel.

C'est là le lemme dont j'avais besoin; et ce n'est qu'après avoir trouvé cette vérité par mes propres

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