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Qu'est-ce que la liberté personnelle ?

Dans le sens auquel il faut restreindre ces termes, en la matière qui nous occupe, c'est le pouvoir de se mouvoir sans contrainte. (1)

Sans ce droit de se mouvoir où et quand il le voudra, il est clair que l'homme ne serait pas complètement libre et qu'il lui manquerait ce qui ne fait pas défaut même aux animaux.

Il est donc essentiellement nécessaire à l'homme qu'il jouisse sans entrave de cette faculté de se transporter là où il le voudra, si l'on veut dire de lui qu'il a l'exercice de sa pleine et entière liberté.

36. Mais Montesquieu, qu'il faut toujours citer quand on traite ces sortes de questions, déclare que l'homme est né dans la société et y demeure. Par suite, naissent, d'un côté et de l'autre, des droits et des obligations. Droits de la société vis-àvis de l'homme et obligations de ce dernier envers la société. Ces droits de la société sont le plus souvent rédigés dans les codes de lois criminelles ; il est défendu à l'homme de transgresser ces lois sous peine de châtiments.

S'il les transgresse, la société use de son droit de priver le coupable de sa liberté.

Il y a donc ici restriction à la liberté personnelle absolue de l'homme. Il n'est maître de ses mouvements qu'en autant qu'ils ne nuisent pas injustement à ceux des autres. C'est ainsi que, si je laisse ma maison dans le dessein de tuer mon ennemi, la société, par l'entremise de ses agents, aura le droit de m'arrêter et de me priver de ma liberté.

C'est, avons-nous dit, envisagé sous ce dernier point de vue que nous traiterons d'abord de l'Habeas Corpus.

37. Quelques auteurs rangent, dans la catégorie des restrictions à la liberté, qu'ils appellent restrictions d'une nature. publique, le devoir, par exemple, de défendre l'Etat. L'Etat,

(1) Personal liberty is the power of unrestrained locomotion. (Hurd Habeas Corpus, pag. 3).

qui me protège, a le droit d'exiger en retour mon aide et ma protection pour le défendre ; de même, dois-je à la société de témoigner pour elle si un crime a été commis et que j'en aie été témoin; je dois encore obéir aux sommations judiciaires. Dans ces différents cas, si je ne remplis pas les obligations que m'impose la société, représentée par le gouvernement, on peut me priver de ma liberté. On comprend que ces rigueurs sont d'absolue nécessité, autrement les lois resteraient sans sanction.

CHAPITRE TROISIEME

SOMMAIRE.

38. Restrictions à la liberté personnelle d'une nature privée.-39. Restrictions d'une nature mixte.-40. Droits qui naissent des relations conjugales, droits du père sur son enfant, du tuteur sur son pupille, du précepteur sur son élève, du maître sur son apprenti, du créancier sur son débiteur.

38. Outre ces restrictions à la liberté absolue de l'homme, qui sont, avons-nous dit, d'une nature publique, il y en a d'autres qui tiennent des relations d'homme à homme, et que, pour cette raison, on appelle de nature privée.

39. Nous ne mentionnons pas ces restrictions qu'on pourrait dire d'une nature mixte et qui ont trait aux devoirs qui sont dus aux malheureux qui ont perdu la raison. Nous disons que ces restrictions à la liberté personnelle sont d'une nature mixte parce qu'il appartient autant aux proches de l'aliéné qu'à l'Etat lui-même de prendre soin du malheureux. Il est clair que, dans ces cas, il est permis de priver de sa liberté le fou et l'idiot.

40. Mais, prenons le cas des relations et des droits civils qui naissent par le fait du mariage.

L'homme a-t-il le droit de priver sa femme de sa liberté ?

La même question se soulève pour le père quant à son enfant,

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le tuteur pour son pupille, le maître pour son serviteur ou son apprenti, le précepteur et son élève.

Les relations civiles, entre ces différentes classes de personnes, créent des droits et des obligations qui permettent, sous certaines réserves, à l'une de ces personnes de priver l'autre de sa liberté. Nous verrons à quelles conditions, et dans quels C'est ce que nous appelons les restrictions à la liberté personnelle d'ordre privé. En effet, ici, la société n'intervient pas directement; si on la voit agir, c'est pour faire sanctionner les droits respectifs des parties.

cas.

On peut aussi ranger, au nombre des restrictions à la liberté personnelle d'ordre privé, celles résultant des rapports entre débiteurs et créanciers.

Dans l'antiquité, on sait que le créancier avait un droit sur la personne même de son débiteur qui devenait sa propriété quand le débiteur ne payait pas sa dette.

La civilisation chrétienne a adouci ces rigueurs. Chez nous, dans certains cas spécifiés dans notre Code de Procédure Civile, la contrainte par corps existe encore.

CHAPITRE QUATRIEME

SOMMAIRE.

41. Qu'est-ce que le bref d'Habeas Corpus?-42. Son objet.-43. La contrainte morale suffit-elle?-44. Où se trouvent chez nous les dispositions concernant le bref d'Habeas Corpus.-45. Notre acte d'Habeas Corpus contient des dispositions qu'on retrouve dans notre Code Criminel.-46. Quelle qualité doit avoir le requérant sur Habeas Corpus?-47. 31 C. II. et Geo. III (Can.) ne réfèrent qu'aux emprisonnements en matière criminelle.-48. La Cour Supérieure et la Cour du Banç de la Reine ont juridiction concurrente. 49. Droit commun anglais au Canada en matière d'Habeas Corpus.-50. Le bref s'accorde-t-il de plein droit?-51. Le requérant n'est pas nécessairement obligé d'être en prison pour réclamer le privilège du bref.-52. Définition du "bref"

par Hurd.—53. D'où vient son nom; ce qu'il était à l'origine.— 54. A la fin du 15e siècle, on s'en sert contre le roi.-55. Une personne admise à caution est-elle restreinte dans sa liberté?

41. Qu'est-ce que le bref d'Habeas Corpus?

C'est un bref de haute prérogative, d'une nature sommaire dont l'objet est de délivrer d'une contrainte illégale. (1)

L'émanation du bref constitue un acte judiciel. (2)

La pratique chez nous, en matière non criminelle, est que ce bref émane comme "matter of course" du moment que les formalités requises sont remplies.

42. L'objet du bref ne peut être de punir le défendeur ou d'apporter au requérant une réparation ou dommage pour la détention illégale qu'il a subie.

43. La contrainte morale ne suffit pas comme cause d'émanation du bref, il doit y avoir emprisonnement "actuel”, ou bien les moyens présents de mettre en force cet emprisonnement.

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44. Les dispositions de la loi régissant le bref d'Habeas Corpus au Canada sont contenues au chapitre 95 des Statuts Refondus du Bas-Canada. Cet acte est intitulé : Acte concernant le bref d'Habeas Corpus, l'admission à caution et les autres dispositions de la loi pour garantir la liberté du sujet.”

Cet acte est divisé en deux parties: la première traite la question pour les cas où il s'agit de matières criminelles, et la seconde parle de l'Habeas Corpus en "matières civiles", appellation impropre comme nous le verrons plus loin.

45. Les dispositions de cet acte ne s'appliquent pas exclusive

(1) Church, (Habeas Corpus), donne du bref une définition plus compréhensive, mais non plus exacte. (Voir pag. 138).

(2) Nous voulons parler, bien entendu, de l'ordre même du juge ou de la cour, ordonnant l'émanation du bref. Le greffier ou le protonotaire sont chargés de rédiger et de préparer le bref, d'y apposer leur signature, procédures qui constituent des actes ministériels.

ment à la matière de l'Habeas Corpus; c'est ainsi que les sections 12 et 13 ont rapport à la translation des prisonniers d'une prison à une autre, dispositions qui ont été justement reproduites dans notre Code Criminel et dans nos lois provinciales. Toutefois, on ne peut pas dire que ces dispositions soient absolument étrangères à la matière de l'Habeas Corpus. N'oublions pas qu'au temps où fut passé 31 Charles II, qui sert de base à notre loi de l'Habeas Corpus, on prenait tous les détours possibles pour déjouer la justice. Un de ces détours, très fréquemment employé, c'était de transporter un prisonnier d'une prison à l'autre, en sorte que lorsqu'on signifiait le bref d'Habeas Corpus au geôlier, il pouvait répondre qu'il ne l'avait plus sous sa garde. Il était donc très important de légiférer sur ce sujet et de spécifier les cas et de quelle façon on pouvait transférer les détenus d'une prison à une autre.

46. Dans quels cas une personne privée de sa liberté pour un prétendu acte criminel a-t-elle le droit de demander un bref d'Habeas Corpus ?

Il n'est pas nécessaire d'être sujet britannique pour jouir du privilège du bref d'Habeas Corpus. En matière d'extradition, par exemple, la loi donne à l'accusé le droit de demander un bref d'Habeas Corpus. Les termes de la loi sont très larges : "toutes personnes emprisonnées"; "pour aucune offense criminelle ou supposée criminelle "; le premier article de la première partie de notre acte d'Habeas Corpus est calqué sur le préambule de l'acte anglais 31 Charles II, reproduit par notre premier acte 24 George III (1784).

47. Remarquons encore que 31 Charles II, de même que notre 24 George III, ne réfèrent qu'aux emprisonnements ou détentions en matière criminelle ou supposée criminelle; ce n'est que plus tard, comme nous le verrons, qu'on a étendu l'effet du bref d'Habeas Corpus pour des emprisonnements ou détentions autres que pour quelque matière criminelle ou supposée criminelle.

48. La Cour du Banc de la Reine et la Cour Supérieure dans

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