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J'y

fonde une cité; je l'appelle Ilion: L'heureuse colonie applaudit à son nom. Je l'invite à chérir sa demeure nouvelle, A bâtir de ses mains sa haute citadelle.

La mer rend les vaisseaux à ces tranquilles bords;
L'hymen promet ses fruits, la terre ses trésors.

Je donne à tous des lois, des champs, des domiciles.
Mais notre sort nous suit dans ces nouveaux asiles:
Un air contagieux exhalant son poison,

Charge de ses vapeurs la brûlante saison;
L'eau tarit, l'herbe meurt, et la stérile année
Voit sur son front noirci sa guirlande fanée.
Chaque jour a son deuil; l'animal expirant

Perd la douce lumière, ou traîne un corps mourant:
Plus d'épis pour l'été, plus de fruits pour l'automne,
Et sur ces bords affreux la mort seule moissonne.
Mon père ordonne alors de repasser les flots,
D'aller interroger les trépieds de Délos,

D'apprendre dans quels lieux doivent finir nos peines,
Nos travaux renaissans, nos courses incertaines.

La nuit couvroit le ciel; tout dormoit, quand mes dieux,
Ravis dans Troie en cendre, à la fureur des feux,
Aux rayons de Phébé qui brilloit toute entière,
M'apparoissent en songe éclatans de lumière,
Consolent mes chagrins, et m'adressent ces mots :
<< Épargne-toi le soin de repasser les flots,

Tum sic affari, et curas his demere dictis:
Quod tibi delato Ortygiam dicturus Apollo est,
Hic canit; et tua nos en ultro ad limina mittit.
Nos te, Dardaniâ incensâ, tuaque arma secuti;
Nos tumidum sub te permensi classibus æquor;
Idem venturos tollemus in astra nepotes,
Imperiumque urbi dabimus: tu moenia magnis
Magna para, longumque fugæ ne linque laborem.
Mutandæ sedes; non hæc tibi littora suasit
Delius, aut Creta jussit considere, Apollo.
Est locus, Hesperiam Graii cognomine dicunt,
Terra antiqua, potens armis atque ubere glebæ;
OEnotri coluere viri: nunc fama minores
Italiam dixisse, ducis de nomine, gentem:
Hæ nobis propriæ sedes; Hinc Dardanus ortus,
Jasiusque pater, genus a quo principe nostrum
Surge age, et hæc lætus longævo dicta parenti
Haud dubitanda refer: Corytum terrasque require
Ausonias. Dictæa negat tibi Jupiter arva.

Talibus attonitus visis ac voce deorum

(Nec sopor illud erat; sed coràm agnoscere vultus, Velatasque comas, præsentiaque ora videbar:

» Apollon nous envoie; et, ce qu'eût fait entendre
» L'oracle de Délos, nous pouvons te l'apprendre.
» C'est nous qui, compagnons de périls, de travaux,
» Suivîmes ton exil, partageâmes tes maux;
» C'est nous qui, terminant ta course vagabonde,
» A ta race immortelle asservirons le monde.
» Ose donc mériter ta future splendeur:

» La Crète ne doit point renfermer ta grandeur.
» Il est des bords fameux que l'on nomme Hespérie,
» Qu'autrefois ont peuplés des enfans d'OEnotrie,
» Riche et puissant empire. Italus, nous dit-on,
» Augmenta sa splendeur, et lui donna son nom.
» Là, du grand Dardanus la race a pris naissance:
» Où fut votre berceau, sera votre puissance.
» Cours détromper Anchise, et guide les Troyens
» Des rivages de Crète aux bords Ausoniens. »
Ainsi parloient mes dieux : ce n'étoit point d'un songe
L'illusion nocturne et le grossier mensonge;

C'étoient leurs saints bandeaux, leurs regards, leurs accens,
Et tous mes sens émus me les montroient présens.
Tremblant, je me relève; et, d'une ardeur pieuse,
Je lève au ciel ma voix, ma main religieuse;
Aux dieux hospitaliers je rends un juste honneur,
Et je cours à mon père annoncer mon bonheur.
Egaré, mais soumis à cette voix divine,
A sa double famille, à sa double origine,

Tum gelidus toto manabat corpore sudor),
Corripio e stratis corpus, tendoque supinas
Ad coelum cum voce manus, et munera libo
Intemerata focis. Perfecto lætus honore,
Anchisen facio certum, remque ordine pando.
Agnovit prolem ambiguam geminosque parentes,
Seque novo veterum deceptum errore locorum.
Tum memorat: Nate, Iliacis exercite fatis,
Sola mihi tales casus Cassandra canebat.
Nunc repeto hæc generi portendere debita nostro,
Et sæpè Hesperiam, sæpè Itala regna, vocare.
Sed quis ad Hesperiæ venturos littora Teucros
Crederet? aut quem tum vates Cassandra moveret?
Cedamus Phoebo, et moniti meliora sequamur.
Sic ait: et cuncti dicto paremus ovantes.

Hanc

quoque deserimus sedem, paucisque relictis Vela damus, vastumque cavâ trabe currimus æquor. Postquam altum tenuere rates, nec jam ampliùs ullæ Apparent terræ, coelum undique, et undique pontus; Tum mihi cæruleus supra caput adstitit imber, Noctem hiememque ferens; et inhorruit unda tenebris. Continuò venti volvunt mare, magnaque surgunt

A

Il impute l'erreur de l'oracle douteux

Qui lui fit méconnoître et confondre ces lieux.
« O mon fils, que poursuit l'affreux destin de Troie!
» Cassandre, et mon esprit s'en souvient avec joie,
» Cassandre, me dit-il, par des avis certains

» M'a cent fois de ma race annoncé les destins,
» Et les champs d'Italus, et les bords d'Hespérie;
» Mais, qui pouvoit si loin attendre une patrie!

» Et qui croyoit Cassandre en ces temps malheureux!

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» Cédons aux lois du sort, obéissons aux Dieux. »
Il dit: on applaudit, on dépose au rivage

Tous ceux que retenoit ou leur sexe ou leur âge.
Le vent gonfle la voile; et, sur les vastes eaux,
Nous cherchons des périls et des climats nouveaux.
Le bord fuit : devant nous s'étend la mer profonde;
Partout les cieux, partout les noirs gouffres de l'onde.
Tout à coup la tempête apportant la terreur,
Sur l'onde au loin répand sa ténébreuse horreur;
Le vent tonne en courroux sur les mers qu'il tourmente;
Le flot monte et retombe en montagne écumante;
L'oeil ne distingue plus ni le jour, ni la nuit ;
Le pilote éperdu, que la frayeur conduit,
Abandonne au hasard sa course vagabonde.

Le ciel mugit sur nous; sous nos pieds la mer gronde;
Sur nous la foudre éclate; et, d'un ciel ténébreux,
Mille horribles éclairs sont les astres affreux.

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