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Luttant contre la terre, et redoublant de force,

D'un troisième arbrisseau ma main pressoit l'écorce, Quand du fond du tombeau (j'en tremble encor d'effroi!) Une voix lamentable arrive jusqu'à moi:

« Fils d'Anchise, pourquoi, souillant des mains si pures, » Viens-tu troubler mon ombre, et rouvrir mes blessures? » Hélas! respecte au moins l'asile du trépas :

» D'un insensible bois ce sang ne coule pas.
» Cette contrée a vu terminer ma misère;

» Mais celle où tu naquis ne m'est point étrangère:
» Épargne donc ma cendre, ô généreux Troyen!
» Ma patrie est la tienne, et ce sang est le mien.
» Ah! fuis ces lieux cruels, fuis cette terre avare:
» J'y péris immolé par un tyran barbare.
» Polydore est mon nom; ces arbustes sanglans
» Furent autant de traits qui percèrent mes flancs.
» La terre me reçut; et, dans mon sein plongée,
» Leur moisson homicide en arbres s'est changée. »
A ces mots, ma voix meurt, mes sens sont oppressés,
Et mes cheveux d'horreur sur mon front sont dressés.
Le malheureux Priam, dans ses tendres alarmes,
Pour ce malheureux fils craignant le sort des armes,
L'avoit au roi de Thrace, infidèle allié,
Avec de grands trésors en secret envoyé,
Pour conserver ses jours et former sa jeunesse.
Le lâche, tant qu'Hector humilia la Grèce,

Monstra deûm refero, et quæ sit sententia posco.

Omuibus idem animus sceleratâ excedere terrâ,
Linqui pollutum hospitium, et dare classibus austros.
Ergo instauramus Polydoro funus, et ingens
Aggeritur tumulo tellus; stant Manibus aræ,
Cæruleis mostæ vittis atrâque cupresso;
Et circùm Iliades crinem de more solutæ.
Inferimus tepido spumantia cymbia lacte,
Sanguinis et sacri pateras; animamque sepulcro
Condimus, et magnâ supremùm voce ciemus.

Inde, ubi prima fides pelago, placataque venti Dant maria, et lenè crepitans vocat auster in altum, Deducunt socii naves, et littora complent.

Provehimur portu; terræque urbesque recedunt.

Sacra mari colitur medio gratissima tellus

Respecta cet enfant, ses malheurs et son nom;
Mais, dès que le Destin servit Agamemnon,
L'intérêt dans son coeur faisant taire la gloire,
Oublia l'amitié pour suivre la victoire.
Le cruel (que ne peut l'ardente soif de l'or!
Égorge Polydore, et saisit son trésor,

Et la terre cacha sa victime sanglante.
A peine j'eus calmé ma première épouvante,
Sur ces signes affreux du céleste courroux
Je consulte les dieux, et mon père avant tous.
Tous veulent fuir ces lieux et ce bord sacrilège,
Où l'hospitalité n'a plus de privilège.

Mais Polydore attend les suprêmes honneurs:
On relève sa tombe, on l'arrose de pleurs ;
Les autels sont parés de festons funéraires;
Le cyprès joint son deuil au deuil de ces mystères;
Des femmes d'Ilion les cheveux sont épars;
Le lait, le sang sacré coulent de toutes parts;
Nous renfermons son ame en son asile sombre,
Et d'un dernier adieu nous saluons son ombre.
Dès qu'on put se fier à l'humide élément,

Sitôt que

de l'Auster l'heureux frémissement Promit à notre course une mer sans naufrage,

Nos vaisseaux reposés s'élancent du rivage :

On part, on vole au gré d'un vent rapide et doux; Et la ville et le port sont déjà loin de nous.

1

Nereidum matri et Neptuno Ægæo;

Quam pius arcitenens, oras et littora circum
Errantem, Gyaro celsâ Myconoque revinxit,
Immotamque coli dedit, et contemnere ventos.
Huc feror; hæc fessos tuto placidissima portu
Accipit. Egressi veneramur Apollinis urbem.
Rex Anius, rex idem hominum Phoebique sacerdos,
Vittis et sacrâ redimitus tempora lauro,

Occurrit, veterem Anchisen agnoscit amicum.
Jungimus hospitio dextras, et tecta subimus.
Templa dei saxo venerabar structa vetusto :
Da propriam, Thymbræe, domum: da moenia fessis;
Et genus, et mansuram urbem : serva altera Trojæ
Pergama, relliquias Danaûm atque immitis Achilli.
Quem sequimur? quòve ire jubes? ubi ponere sedes?
Da, pater, augurium, atque animis illabere nostris.
Vix ea fatus eram; tremere omnia visa repentè,
Liminaque, laurusque dei, totusque moveri
Mons circùm, et mugire adytis cortina reclusis.
Submissi petimus terram, et vox fertur ad aures :
Dardanidæ duri, quæ vos a stirpe parentum
Prima tulit tellus, eadem vos ubere læto

Une île est dans les mers qu'un golfe étroit sépare
Des hauteurs de Mycone et des rocs de Gyare,
Délices de Thétis, chère au dieu du trident,
Long-temps elle flotta sur l'abîme grondant.
Enfin, du dieu du jour la main reconnoissante
Fixa de son berceau la destinée errante;
Et l'heureuse Délos, dans un profond repos,
Défia le caprice et des vents et des flots.
Là, nos vaisseaux lassés trouvent un sûr asile:
Nous entrons; d'Apollon nous saluons la ville.
Anius vient à nous, le front ceint à la fois
Du laurier prophétique et du bandeau des rois.
Il voit, il reconnoît, il embrasse mon père,
Tend à son vieil ami sa main hospitalière,
Et, resserrant les noeuds d'une antique union,
Reçoit dans son palais les restes d'Ilion.

Je visite du dieu le temple tutélaire,

Et je m'écrie: «O toi! que dans Thymbre on révère, » A ce malheureux peuple, errant, persécuté,

» Donne un asile sûr, une postérité!

» Où faut-il transporter, nous, nos dieux et Pergame? » Viens, parle, éclaire nous, et descends dans notre ame. » Je dis et tout à coup je sens de l'Immortel S'agiter le laurier, et le temple, et l'autel. Le mont tremble; chacun vers la terre s'incline,

Et ces mots sont sortis de l'enceinte divine:

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