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Ce plaisir, je voudrais, autant que j'en suis capable, le faire partager à ceux qui me liront, et je voudrais le leur faire partager dans toute sa pureté, en disparaissant moi-même de leur présence, en les laissant tout à eux-mêmes et à notre poëte, et toutefois en leur épargnant le labeur des recherches grammaticales. Voilà pourquoi j'ai persisté dans la méthode que j'ai adoptée dans le premier volume, ne songeant qu'à établir nettement le texte et à éclaircir le sens, soit par des observations de langue, de mythologie et d'antiquités, soit par des comparaisons avec d'autres passages de Virgile, ou bien de ses prédécesseurs, de ses contemporains, de ses imitateurs. Je me suis efforcé seulement de donner à mon commentaire plus d'exactitude et de précision, profitant en cela de très-bonnes remarques qui m'ont été adressées de divers côtés, en profitant toutefois dans la mesure que je me suis fixée à moi-même, et jugeant mes juges à leur tour. Ainsi, je n'approuve pas l'idée émise par un critique1, d'ailleurs très-bienveillant, et que je ne puis me dispenser de remercier ici, de donner une part plus grande à l'indication des variantes. On ne peut guère prétendre remplacer aujourd'hui Ribbeck, et je ne dis pas seulement en France, mais en Allemagne même. L'enquête faite par ce savant sur le texte de Virgile est, pour un laps de temps assez considérable, le dernier mot des études latines. Il s'agit donc seulement d'en tirer parti et d'user dans les occasions importantes des leçons qu'il a recueillies. Je lui aurais fait plus d'emprunts, que j'eusse accru considérablement mon volume sans dispenser les philologues de recourir au Virgile de Leipzig. D'ailleurs, je crois, contrairement à l'opinion de M. Charles Morel, qu'il faut agir graduellement sur les esprits. Entre ceux que passionnent les études philologiques et ceux qui sont irrémédiablement livrés à la routine, il y a une certaine portion du public qui n'est pas rebelle à la nouveauté, mais qui ne se laissera initier à la science que si elle ne présente pas un appareil trop hérissé. C'est à ces derniers lecteurs que je m'adresse, et si j'en juge

1. M. Charles Morel, dans la Revue critique du 16 novembre 1867.

par un bon nombre d'impressions qui m'ont été transmises, j'ai trouvé à peu près la mesure qui leur convient, je leur offre ce qui est capable de les intéresser sans les surcharger. Quelques-uns ont jugé mon commentaire un peu trop abondant. Selon eux j'ai dit bien des choses que l'on sait communément. Il est vrai que certains développements sur la construction grammaticale et sur l'acception des mots auraient pu être épargnés, mais à une condition, c'est que tous mes lecteurs eussent à leur portée quelque bonne grammaire et des recueils suffisants de latinité. Or, c'est malheureusement ce qui n'est pas ordinaire. Entre les nombreuses observations que j'ai reçues, beaucoup ne m'auraient pas été faites, si les auteurs avaient pu consulter une des dernières éditions de Forcellini, et une grammaire latine telle que celle de Madvig, ou, s'ils ignorent l'allemand, au moins le Ruddimann-Stallbaum de 1823 et le Tursellinus de Hand. Ce sont des livres rédigés en latin, et qui devraient trouver place dans les bibliothèques de tous les établissements d'instruction publique. Mais je sais bien que le plus souvent ces utiles instruments font défaut en province à ceux qui voudraient pousser un peu loin leurs études de latinité. Il y avait donc intérêt à multiplier les explications que nos grammaires et nos dictionnaires usuels ne fournissent pas. C'est ce que j'ai fait, et j'ai cité mes autorités pour ceux qui seraient en état de les vérifier. Pour me résumer, être utile au plus grand nombre de lecteurs, tel est le but que je me suis proposé avant tout autre, et en vue duquel j'ai sacrifié au besoin la concision qui eût rendu mon commentaire plus rapide et plus élégant.

Après ces considérations, qui m'ont semblé nécessaires pour bien expliquer mes intentions et les raisons du plan que je me suis tracé, je veux indiquer les secours nouveaux que j'ai pu me procurer depuis la publication du précédent volume, et exposer certaines vues relatives à l'Enéide qui n'ont été qu'esquissées dans la NOTICE sur la vie de Virgile. Je pense que ces deux développements contribueront à donner au lecteur une connaissance plus complète et plus exacte du grand poëme épique des Romains.

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Plusieurs ouvrages ont paru récemment, qui continuent l'œuvre de l'émendation et de l'interprétation du texte de Virgile, et qui complètent et développent des travaux antérieurs. Je crois utile de les ajouter à la liste que j'ai donnée dans la préface du tome premier. L'Angleterre n'a guère vu paraître que des réimpressions, entre autres celle du Virgile de Yonghe à l'usage d'Éton, d'Harrow et des autres principales écoles du même genre. Je n'y ai pas trouvé beaucoup d'intérêt. C'est un livre de classe, d'une doctrine un peu lourde et timide, médiocrement renouvelée à l'aide de Wagner, de Forbiger, de Peerlkamp, que l'auteur assure avoir consultés. Il y a loin de là au Virgile de Conington, qui a donné une traduction en vers de l'Énéide, mais dont, pour mon compte, j'aurais vu plus volontiers le troisième volume, celui qui doit contenir le texte et le commentaire des six derniers livres. Je mentionne seulement pour mémoire le singulier Virgile du professeur Jarrett, de l'Université de Cambridge, qui, en présence des dernières études employées à améliorer le texte, s'est uniquement occupé, dans une édition in-octavo et d'un prix assez élevé, de chercher un moyen de marquer la quantité prosodique des syllabes; il est inutile de dire que le texte n'est l'objet d'aucun soin particulier. Je ne sais pas bien de quelle leçon s'est servi le professeur Jarrett; mais j'ai retrouvé çà et là toutes les vieilles fautes des anciennes éditions dans un livre de l'aspect typographique le plus désagréable.

L'Allemagne, comme toujours, tient le premier rang pour ce qui regarde Virgile comme les autres auteurs latins. Je ne dis rien de divers Programmes ou articles d'intérêt varié sur des questions particulières; je signale en passant la quatrième édition du troisième, et la cinquième du second volume de Ladewig. Mais je crois devoir attirer l'attention sur les Scholia Ber

nensia de M. Hagen. Cette publication permet de mieux connaître l'histoire de la vie et des ouvrages de Virgile. Toutefois les travaux les plus importants de ces derniers temps relativement à Virgile sont ceux de M. Ribbeck. C'est ainsi qu'il a donné une édition classique dans la Bibliotheca Teubneriana, 1867, accompagnée d'une courte préface et d'un essai rapide sur la vie et les œuvres de Virgile, travail net et précis qui doit servir de modèle aux auteurs de livres destinés aux écoliers. Nous lui devons ensuite les Prolegomènes si longtemps attendus de sa grande édition, et un Appendice au tome IV, contenant les petits poëmes attribués à Virgile. De cet Appendice je parlerai dans l'INTRODUCTION du troisième volume de mon édition, qui renfermera avec les six derniers livres de l'Énéide, le Culex, la Ciris, la Copa, le Moretum et les Catalecta. Mais je dois dès maintenant indiquer à ceux qui sont curieux de philologie le contenu des Prolégomènes, et, par une analyse sommaire, leur faire connaître les principaux résultats auxquels M. Ribbeck est parvenu, et qu'il convient de recueillir.

En quatorze chapitres M. Ribbeck traite les questions de détail qui se rapportent aux sujets suivants : l'époque de la composition des Bucoliques et des Géorgiques; les remaniements. que Virgile a fait subir à ce dernier ouvrage; le plan de l'Énéide et la date de la composition des différents livres; le rôle de Varius et de Tucca dans la publication des œuvres de leur ami; les détracteurs et les commentateurs de Virgile; la valeur des citations faites par les auteurs anciens; la description et l'appréciation des manuscrits principaux. Enfin, quatre tables très-bien disposées nous signalent: 1o les particularités de grammaire et d'orthographe que l'on peut constater dans les manuscrits de premier ordre; 2o le contenu de ces textes présenté de telle manière, qu'il est facile de reconnaître immédiatement dans quels d'entre eux se trouve chaque vers; 3° l'indication de chacun des passages expliqués ou restitués par l'auteur du commentaire; 4° enfin les noms propres ou ceux des objets qui ont donné lieu à quelque observation particulière.

On voit d'un coup d'œil qu'il n'est guère de question relative à la vie de Virgile ou à ses écrits qui ait échappé aux investigations de M. Ribbeck. Sans doute, si l'on entre dans le détail, sur plus d'un point le débat pourra s'établir. M. Ribbeck a trouvé ou des contradicteurs ou des émules que n'ont pas convaincus toutes ses démonstrations. Moi-même plus d'une fois je me suis séparé de lui, soit pour ce qui regarde la constitution du texte, soit dans l'interprétation. Mais il n'en est pas moins vrai que les traits principaux de la méthode ne sont guère contestables, et qu'il y a des faits acquis sur lesquels il est impossible de revenir. M. Ribbeck, sur la foi d'Asconius Pedianus, renferme dans l'espace de trois ans, de 713 à 715, la composition des Bucoliques. Ses arguments ne m'empêchent pas de croire que la cinquième Églogue est une allégorie de l'apothéose de César, et ne me persuadent pas de voir dans Silène l'épicurien Siron. Mais ce qu'il établit victorieusement contre Schaper, c'est que la quatrième, la sixième et la dixième Églogue n'ont pas été écrites après les Géorgiques, et que la quatrième a bien été composée à l'occasion de la naissance d'un fils de Pollion. Je persiste à croire, malgré M. Wagner et M. Ribbeck, et d'accord avec Heyne et Genthe, que Virgile a conçu de lui-même l'idée de son poëme des Géorgiques, et que Mécène l'a encouragé plutôt que conseillé dans cette circonstance; mais je suis content de voir rejeter l'opinion que les Géorgiques ont été composées en deux fois. Il ne s'y trouve pas d'allusions historiques postérieures à l'année 725, et, dès le principe, la conception du poëte a embrassé les quatre livres. Enfin dans le poëme tel que nous l'avons, il y a des retouches évidentes. Je ne crois guère, malgré M. Ribbeck, à cet éloge de Gallus, supprimé et remplacé par l'épisode d'Orphée, du moins si cette vue est exprimée dans des termes aussi absolus. Mais je reconnais, à la suite du savant éditeur, la trace des corrections de Virgile, et des interpolations très-certaines qui, plus tard, sont venues défigurer son œuvre.

M. Ribbeck, reprenant et émendant les vues de M. Conrads, cherche à déterminer l'époque à laquelle chacun des livres de

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