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A LA MÉMOIRE

DE

MONSEIGNEUR GOUTHE-SOULARD

SI JUSTEMENT NOMMÉ

LE GRAND ARCHEVÊQUE

D'AIX

PRÉFACE

Au XVIIe siècle, Jean de Launoy, docteur en Sorbonne, voulant ajouter à son titre celui de « dénicheur de saints», entreprit de ravir à un bon nombre d'Églises leurs antiques et glorieuses traditions.

Entre toutes, il s'acharna avec une fureur particulière contre les traditions de la Provence (1), probablement parce que là il voyait plus de mensonges à dire et plus de documents à falsifier. C'était bien l'homme de l'affaire. Déjà il avait essayé son audace à dénaturer le texte même du concile de Trente, et le savant pape Benoît XIV lui avait octroyé un diplôme qui le nommait « le menteur le plus impudent et l'écrivain le plus misérable» (2).

Étrange puissance de la négation! beaucoup crurent à la parole de ce docteur infatué, et l'on vit un vénérable curé de Paris lui faire désormais plus profonde révé

(1) Dissertatio de Commentitio Lazari et Maximini, Magdalenæ et Marthæ in Provinciam appulsu. Editio altera auctior et correctior, 1660.

(2) « Launoyum impudentissime turpissimeque mentitum. » (Benedict. XIV, De Festis, lib. II, cap. 15, no 12.)

VI

rence, de peur qu'il ne lui enlevât l'antique patron de sa belle paroisse.

Mais, comme le vieux chêne qui tient plus fort contre la tempête, la Provence resta ferme et fidèle ; elle n'abandonna rien de ses croyances séculaires, et, plus ardemment que jamais, à la suite de tous ses évêques, elle proclame encore aujourd'hui que les amis de Jésus, les hôtes de Béthanie, furent ses premiers apôtres.

En ces dernières années, l'attaque de Launoy a été renouvelée par M. l'abbé Duchesne, membre de l'Institut et professeur à la Sorbonne (1). Quoique forcé de rapprocher ici ces deux noms, je n'ai pas besoin de déclarer qu'il n'y a aucune comparaison à établir entre eux : car les travaux de M. Duchesne forment, dans leur ensemble, un des plus beaux monuments élevés par l'érudition contemporaine à l'amour et à l'honneur de l'Église (2).

Le titre qu'il a donné à son travail : La Légende de sainte Marie-Madeleine, était déjà, pour nos traditions, une injure; les arguments qu'il y a exposés, j'espère le démontrer, en ont fait une injustice. Après les avoir lus, étudiés, approfondis avec le scrupule et la loyauté que m'imposait ma conscience de prêtre, je dois déclarer que la hardiesse des affirmations, la désinvolture de la critique, le vague des preuves, l'illogisme des conclusions

(1) Annales du Midi, Toulouse, 1903: L. Duchesne, La Légende de sainte Marie-Madeleine.

(2) Ces travaux lui ont mérité, depuis, les honneurs de la prélature.

VII

m'ont fait voir, mieux que jamais, la vérité de nos antiques croyances et y ont attaché mon cœur d'un amour plus fort.

De cette conviction que j'avais de la faiblesse de l'attaque, en venir à la défense publique, par une réponse à M. Duchesne, je n'en avais ni le désir ni le projet. Le sentiment de tout ce qui me manque pour être un lutteur, ne me laissa que le courage de faire une humble conférence, à Aix, devant des confrères dont j'escomptais l'indulgente sympathie. Mer Gouthe-Soulard, qui avait daigné présider, me fit promettre de compléter mes notes et de les publier; mais, chaque jour augmentait mes hésitations et mes craintes; et, je me plaisais à trouver mon intervention inutile, en voyant descendre dans l'arène toute une légion de vaillants défenseurs (1) .

Quelques jours avant sa mort, le saint archevêque chargeait un ami (2) de me rapporter ses propres paroles: Dites-lui bien, de ma part, qu'il est un grand coupable s'il ne fait pas ce que je lui ai demandé.

Depuis, il s'est écoulé déjà un temps bien long; et les reproches de mes intimes ont doublé mes remords.

Donc, je m'incline et j'obéis. Heureux, si je puis faire luire quelques rayons de lumière à travers les ténèbres

(1) M. l'abbé Béguin, dans l'Univers; M. le chanoine Marbot, dans la Semaine religieuse d'Aix; M. l'abbé Verne, dans l'Écho de Notre-Dame de la Garde; le chanoine Bellet, dans les Origines des Églises de France et les Fastes épiscopaux; Dom Lévêque, de l'abbaye de Marseille, et Dom F. Plaine, dans la Correspondance catholique; etc.

(2) M. le chanoine Darbon, archiprêtre de la cathédrale de Marseille.

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