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CHAPITRE IV

LE CULTE PROVENÇAL DE MARIE-MADELEINE
AVANT LA DÉCOUVERTE DE SON TOMBEAU EN 1279

Argument: Aucun titre antérieur à 1279 ne montre les Provençaux revendiquant la possession des reliques de Madeleine.

Réponse Plusieurs textes établissent cette revendication.

Rien, on l'a vu aux chapitres précédents, ne prouve que Marie-Madeleine soit restée en Orient, ni qu'elle ait eu son lieu saint à Éphèse. En est-il de même pour la Provence ? Peut-elle, à bon droit, revendiquer la gloire d'avoir eu pour apôtre la pardonnée de Jésus, et d'avoir toujours gardé son culte et son tombeau ?

Voici comment M. Duchesne répond à cette question: « D'assez bonne heure, dans le douzième siècle, on avait annexé à l'histoire de sainte Madeleine un long épisode emprunté plus ou moins textuellement à celle de Marie l'Égyptienne. Il y était question d'une longue et terrible pénitence accomplie par l'amie du Christ dans un lieu désert de la Provence. Cet épisode fut localisé. Une grande caverne qui s'ouvre dans une montagne sauvage à l'est de Marseille et à quatre lieues environ au sud-ouest de Saint-Maximin, contenait une chapelle en l'honneur de la Sainte Vierge. Ce petit sanctuaire appartenait aux religieux de Saint-Victor, sous le nom de Sancta Maria de Balma, c'est-à-dire de la Sainte-Marie de la Baume ou de la Caverne. L'idée finit par venir aux gens du pays que cette caverne était le lieu

où Marie-Madeleine avait fait pénitence; ce fut pour eux le lieu saint de la Madeleine. On s'était habitué en Provence, surtout depuis la fin du douzième siècle et la « découverte » de Tarascon (1187), à croire que les deux saintes sœurs avaient réellement habité le pays (1). En somme, le sanctuaire provençal de sainte Madeleine, au treizième siècle et jusqu'à la « découverte » (1279), c'était la Sainte-Baume et la Sainte-Baume seule. Aucun texte antérieur à 1279 ne nous montre les Provençaux revendiquant la possession des reliques de Madeleine (2). »

En lisant cette page, je me demande à quels sentiments a dû obéir l'âme de l'écrivain. La préoccupation de l'attaque l'a même empêché de voir dans quelle inconséquence il tombe à son premier coup. Si, dès le commencement du douzième siècle, l'on parlait déjà de la pénitence de Madeleine dans un désert de la Provence, comment a-t-on pu ne croire à sa venue dans ce désert qu'à la fin de ce douzième siècle? Prenons cela pour un mince-détail, ne nous y arrêtons pas davantage.

Mais comment M. Duchesne a-t-il pu admettre que la croyance de tout un peuple, de tant de savants, de rois, de moines, d'évêques, de papes qui ont tenu pour nos traditions, ait eu pour toute origine l'affirmation soudaine de quelques « gens du pays »? Quelles sont ces gens? De quel pays? Au treizième siècle, tout le long de la chaîne de la Sainte-Baume, ce n'était qu'une sauvage forêt. L'humble hameau du Plan-d'Aups n'y avait pas encore une seule cabane. Ce n'est donc pas de là qu'a pu venir l'idée du séjour de Marie-Madeleine. Si depuis la « découverte » de sainte Marthe, on s'était habitué, en Provence, à croire que les saintes sœurs avaient réellement habité le pays, l'idée la plus naturelle qui pût venir,

(1) La Légende, p. 19 et 20.

(2) Ibid., p. 21.

c'était que Marie-Madeleine avait vécu et devait être morte près de sa sœur. Et si on voulait lui donner une caverne pour ses pénitences, il n'était pas rationnel de l'imaginer à cent kilomètres de Tarascon.

Mais non, les gens du pays pensent que l'invraisemblable paraîtra plus vrai et ils n'en veulent pas démordre. Ils crient si fort que tout le monde se tait; et leur idée devient si vite et si bien un fait incontestable, que toutes les autres traditions s'écroulent à la fois dans tous les

autres pays, à Éphèse, à Constantinople, à Vézelay, à Rome! Vraiment c'est un triomphe très rare dans l'histoire !

Il est bien fâcheux pour M. Duchesne qu'il n'ait pas vu tout ce qu'il y a d'étrange dans cette façon d'expliquer la genèse des traditions provençales. Si au douzième siècle les gens du pays ont cru que la grotte de la Baume fut le lieu de la pénitence de Marie-Madeleine, c'est qu'il y avait déjà une antique croyance et que ce sanctuaire avait été vénéré et visité dans les âges précédents. Des textes précis et authentiques vont en faire une éclatante démonstration.

1o En 1254, vingt-cinq ans avant la découverte de 1279, la Sainte-Baume fut visitée par saint Louis, au retour de sa première croisade : « Li roys, écrit Joinville, s'en vint par la contée de Provence, jusques à une citei que on appela Ays en Provence, là où l'on disoit que le corps à Magdeleinne gisoit; et fumes en une voute de roche moult haute, là où l'on disoit que la Magdeleinne avait esté en hermitaige dix-sept ans (1). »

Le texte du Ducange est encore plus explicite : « Le Roy... s'en vint en la cité d'Aix en Prouuence, pour l'onneur de la benoiste Magdalaine qui gisoit à vne petite journée près (2).

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(1) Texte de M. de Wailly (1874), p. 238, et autres depuis Dom Capperonnier.

(2) Texte de Ducange (Paris, 1688) et des éditions précédentes.

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