Page images
PDF
EPUB

à celui qui fut marqué de tant de flétrissures, quand il nous donne un fragment de texte opposé aux traditions latines? Ce ne serait vraiment pas un grand crime d'accuser les Grecs d'invention ceux qui s'occupent d'histoire et de controverse savent à quoi s'en tenir sur leur compte (1). >>

2o Moins sévère que les Bollandistes, parce que je ne suis pas versé, comme eux, dans ces travaux d'histoire et de controverse, j'accepte que le texte n'ait pas été inventé par Photius; mais a-t-il été réellement fourni par Modeste? Photius lui-même nous met dans le doute, Le texte entier, tel que je l'ai donné plus haut, est inséré deux fois dans ses œuvres dans l'ouvrage ad Amphilochium (2), sans être attribué à Modeste, et, dans la Bibliotheca (3), sous ce titre : « De Modeste, archevêque de Jérusalem, sur les femmes porteuses de parfums.» Or, comme on l'a vu, à l'endroit même des Histoires, et par deux fois, intervient dans le texte un narrateur étranger (ött ynol, car dit-il), alors que cette locution n'est jamais employée dans les extraits des autres auteurs, ni même dans un autre discours de Modeste publié par Photius au no 515 : « In occursum : Sur l'Assomption. » Quel est donc le personnage qui est ainsi subrepticement introduit dans la narration? C'est la question que le savant annotateur se pose et qu'il laisse sans réponse: « Je ne sais vraiment pas qui est celui qui est mis en scène par Photius et à qui il attribue ce passage ou cette observation » Nescio quem hic insinuat Photius cuique hanc observationem tribuit (4). Voilà donc le doute.

3. Quand même ce texte aurait été réellement dans l'homélie de Modeste, il n'en peut être lui-même l'auteur, car il est inadmissible que ce texte exprime sa pensée doctrinale.

(1) Acta Sanctorum, t. XXII, 22 juillet.

(2) Photius, t. I, quæst. CLVIII, p. 1088 (Migne).

(3) Id., t. III, p. 113, no 511.

(4) Id., ibid.

Deux preuves intrinsèques le démontrent une contradiction trop flagrante, une ignorance de l'Évangile trop grossière.

La contradiction. - Dans le texte non interpolé, il y a tout d'abord cette demande : « Pourquoi le Christ a-t-il choisi, pour l'assister, Marie-Madeleine de laquelle il avait chassé sept démons? » ; et il y a cette réponse : « Le nombre sept est pris, dans l'Ecriture, pour toutes les vertus comme pour tous les vices. Jésus-Christ choisit donc, avec raison, Madeleine de laquelle il avait chassé sept démons, afin de faire connaître, par elle, qu'il venait délivrer toute la nature humaine de l'esclavage de l'auteur du mal. » Qui oserait affirmer que, soit par la demande, soit par la réponse, Modeste ne prenne Madeleine pour une pauvre pécheresse dont Jésus a daigné avoir pitié, et qu'il a admise à le suivre et à l'assister, pour récompenser ses larmes et confirmer son pardon?

Tous les commentateurs appuient cette interprétation: <«< Que faut-il entendre, écrit saint Grégoire le Grand, par sept démons, sinon tous les vices? Car, comme tout temps se compose de sept jours, le nombre sept exprime l'universalité. Marie eut donc sept démons, parce qu'elle fut remplie de tous les vices (1). » — « Marie-Madeleine, dit Bède, est celle dont saint Luc raconte la pénitence sans la nommer. L'évangéliste la désigne sous ce nom célèbre de Madeleine, dès qu'il rapporte qu'elle suivait le Seigneur; tandis que, quand il en parle, comme d'une pécheresse, il l'appelle simplement une femme, de peur que l'infamie de ses premiers égarements ne flétrît un nom de tant de renommée. Il est dit que sept démons étaient sortis d'elle, pour montrer qu'elle avait été remplie de toutes les turpitudes (2). »

L'exégèse moderne fait écho aux anciens commenta

(1) Saint Grégoire, Homélie 42: In Evangelium.

(2) Bède, cité dans la Chaîne d'or de saint Thomas, sur Saint Luc, chap. VII.

teurs. Dans l'opinion qui tient pour la possession réelle, le nombre sept signifie le grand nombre des vices de la possédée. Dans l'opinion de la possession figurée, l'expulsion de sept démons signifie l'abandon d'un état coupable et le retour à la vertu. Ainsi Marie-Madeleine est toujours prise pour la pécheresse pardonnée. Nul n'a donc le droit de prêter gratuitement à Modeste une interprétation qui irait à l'encontre de tous les commentateurs.

Or, tandis qu'il vient d'identifier Marie-Madeleine avec la pécheresse convertie par la miséricordieuse bonté de Jésus, le texte affirme immédiatement après que cette Marie-Madeleine fut vierge toute sa vie (Sià ßlov); et qu'à cause de sa parfaite virginité et son excellente. pureté, elle parut comme un limpide cristal. Peuton, de bonne foi, attribuer au même orateur une contradiction si flagrante? Non. Donc, pour cette première raison, le texte cité n'est pas l'expression doctrinale de l'évêque de Jérusalem, mais simplement le rêve de ces histoires qu'on peut justement appeler des contes.

La seconde raison, c'est l'ignorance trop grossière de l'Évangile que révèlent ces mêmes histoires. En citant ce texte, Launoy s'arrête là où il voit son avantage; et il veut que les autres s'arrêtent là aussi comme lui. « Siste gradum, lector: lecteur, ne va pas plus loin. Ce que je viens de citer doit te suffire pour adopter mes conclusions (1). » Le tort et la maladresse de nos adversaires c'est de n'avoir pas fait un pas de plus, ce qui veut dire ici n'avoir pas lu encore quelques lignes. Je n'ai pas été si docile : j'ai violé la consigne et dans cette queue j'ai trouvé le poison que Launoy devait trouver mortel pour sa thèse in caudâ venenum.

Relisez ce passage: « Ces histoires racontent aussi que, de même que le chef des apôtres fut appelé Pierre, à cause

(1) «Siste gradum, lector, et ex his ritè perpensis, sic multa tecum ipse nunc reputa.» (Launoy, Dissertatio, pars I, cap. I.)

de l'inaltérable foi qu'il eut dans le Christ, qui est la pierre fondamentale; ainsi Madeleine, devenue chef des disciples, à cause de sa virginité et de l'amour qu'elle eut pour le Sauveur, fut surnommée Marie. » C'est donc un évêque de Jérusalem qui ignore à ce point les Évangiles!! Tous les fidèles savent par saint Luc (VII, 2) que Marie est le nom et Madeleine le surnom : Maria quæ vocatur Magdalena; et l'évêque seul aura compris et traduit à rebours! Le chapitre VI indique à tous combien est fausse la comparaison avec Pierre, qui est vraiment un surnom : Simonem quem cognominavit Petrum; et l'évêque seul n'aura pas vu cette fausseté! Non, une ignorance si grossière n'est imputable qu'à ces histoires ou légendes que Modeste n'a mentionnées que pour les contredire ou s'en moquer, et non pas, comme ose le dire Launoy, << pour les couvrir de son autorité et de son éloquence » (1).

4o Et, d'ailleurs, quand on voudrait relever ce fameux texte de tous les coups qui, je crois, l'ont assez endommagé, comment pourrait-il servir la thèse de M. Duchesne ? Où y est-il question du lieu saint d'Éphèse ? Les histoires elles-mêmes n'en disent pas un mot. Or, si Madeleine avait eu, à cette époque, ce célèbre sanctuaire, n'était-ce pas là une occasion toute naturelle pour l'évêque de Jérusalem d'en dire un mot à ses auditeurs, et de rendre son superbe discours, egregiam orationem, encore plus pompeux, en saluant Madeleine entourée à Éphèse de tant d'honneurs, et de gloire ?

Mais non, il n'en laisse pas même soupçonner l'existence. Donc quand M. Duchesne, pour prouver que ce tombeau était célèbre au VIe siècle, affirme que Modeste le << mentionnait dans une de ses homélies », nous n'avons qu'à lui opposer ce texte, sans soustractions ni additions, pour constater que cette mention ne s'y trouve pas.

(1) Launoy, Dissertatio, pars I, cap. I: « Modestus acceptas a majoribus historias cum et oratione et auctoritate confirmet... >

[blocks in formation]

Quel est ce «< grand nombre d'historiens byzantins >> dont M. Duchesne nous oppose le témoignage? Il en nomme quatre: Leo Grammaticus, le Continuateur de Théophane, Simon Magister et Georges le Moine. Comme il ne donne pas leurs textes, nous les mettons sous les yeux du lecteur, ainsi que l'exige une loyale discussion.

1° Leo Grammaticus : « A l'endroit appelé Lieux (Léon) éleva une église à saint Lazare, et y établit un monastère d'hommes eunuques. Y ayant déposé le corps de Lazare et celui de Marie-Madeleine transféré, il célébra la dédicace de cette église (1).

2° Le Continuateur de Théophane : « A l'endroit appelé Lieux, (Léon) éleva une église à saint Lazare, et y établit un monastère d'hommes eunuques. Il y déposa le corps de Lazare et aussi le corps transféré de sa sœur Madeleine (2). »

3. Simon Magister: « La treizième année de son règne, l'empereur (Léon), à l'endroit appelé Lieux, éleva une église à saint Lazare, y établit un monastère d'hommes eunuques et y déposa le corps de saint Lazare et de Marie-Madeleine (3). »

(1) Ὡσαύτως ἔκτισεν εἰς τοὺς λεγομένους Τόπους τὸν Ἀγιον Λαζάρον κατασκευάσας μονὴν ἀνδρείαν εὐνούχων, ἔνθα καὶ τοῦ ἁγίου Λάζαρου σῶμα καὶ Μαρίας τῆς Μαγδαληνῆς ἀνακομίσας ἀπέθετο, ποιήσας καὶ τὰ ἐγκαίνια τῆς αὐτῆς ἐκκλησίας. (Migne, Patrol. grec., t. CVIII, col. 1108.)

(2) ἔκτισεν δὲ καὶ τοῦ Ἁγίου Λαζάρου ἐκκλησίαν τῶν λεγομένων Τόπων, καὶ μονὴν ἀνδρῶν εὐνούχων ἐν αὐτῇ κατεσκεύασεν· ἔνθα καὶ τὸ τοῦ ἁγίου Λαζάρου σῶμα καὶ τῆς ἀδελφῆς αὐτοῦ Μαγδαληνῆς ἀνακομίσας ἀπέθετο. (Ibid., t. CIX, col. 381.)

(3) Τῷ ιγ αὐτοῦ ἔτει κτίζει ὁ βασιλεύς εἰς τοὺς λεγομένους Τόπους ναὸν Ἄγιον Λάζαρον, καὶ κατασκευάζει μονὴν ἀνδρῷαν εὐνούχων ἐν ᾧ καὶ τοῦ ἁγίου Λάζαρου, σῶμα καὶ Μαρίας τῆς Μαγδαληνῆς ἀπέθετο. (Ibid., col. 165.)

« PreviousContinue »