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pouvait-on pas encore le reconnaître aux sculptures historiques, sculpturis historicis, dont parle Bernard Gui ?

Une telle détermination paraît hasardeuse à M. Duchesne « Aucun de ces monuments, dit-il, n'offre la moindre relation avec les histoires évangéliques où soit Madeleine, soit Marie de Béthanie, soit la pécheresse de saint Luc ont joué un rôle. »>

Quel rôle ? un rôle direct et principal comme le versement du parfum, la présence au Calvaire, la visite au sépulcre? Mais de quel droit M. Duchesne veut-il par les sculptures historiques ne désigner que ces scènes ? D'ailleurs, s'il veut absolument ainsi traduire l'expression du chroniqueur, qu'il nous prouve que ces scènes n'étaient pas sculptées sur la frise du sarcophage qui a disparu depuis bien des siècles.

Mais les sculptures des façades ne sont-elles pas, à la lettre, les scènes historiques que Bernard Gui avaient en vue? M. Duchesne trouve qu'elles n'ont pas la moindre relation avec le rôle joué par Marie-Madeleine identifiée, selon l'usage latin (et aussi selon l'usage grec) avec Marie de Béthanie; mais d'autres trouvent, au contraire, qu'il y a des relations frappantes.

D'abord, il faut remarquer que ces scènes de la Passion du Sauveur ne sont représentées sur aucun autre des tombeaux de la crypte, ce qui est déjà un signe assez distinctif.

En outre, pris en eux-mêmes, ces sujets ne rappellent-ils pas tous un rôle joué par notre sainte? La croix et les centurions ne font-ils pas penser à Marie-Madeleine, debout au sommet du Calvaire? Le traître Judas, la bourse à la main, comme on ne le voit sur aucun tombeau de Rome, n'évoque-t-il pas le souvenir de la femme qui répandit le parfum précieux et irrita, par sa générosité, l'avarice de l'Iscariote? Le jeune homme, assis et parlant aux soldats, n'est-ce pas l'ange que Marie-Madeleine a vu sur la pierre du sépulcre ?

Si ces rapprochements paraissent à M. Duchesne trop forcés, je suis heureux de les voir autrement jugés par L. Rostan: « Ce tombeau, dit-il, est ainsi décoré des plus nobles et des plus touchantes scènes de l'histoire évangélique. A part le dernier sujet, sur lequel il demeure quelque obscurité, ce sont les épisodes sacrés de la Passion. du Christ qui s'y trouvent exposés; et nulle ornementation ne convenait mieux, en effet, au tombeau de l'illustre sainte qui avait assisté à ce drame sublime. L'exécution en est remarquable et supérieure à toutes les autres ; il est le produit d'un artiste plus habile et d'un art plus perfectionné (1). »

C'est donc sans crainte, qu'en pénétrant dans la crypte vénérée de Saint-Maximin, le pieux visiteur pourra, comme l'ont fait déjà, à travers tant de siècles, des pèlerins venus de toutes les parties du monde, baiser le sarcophage où reposa le corps de la pardonnée de Jésus. Au premier coup d'œil, il reconnaîtra ce tombeau glorieux entre tous ; l'albâtre et les sculptures évangéliques diront à sa foi et à son cœur : Il est là !

(1) Monuments et sarcophages de Saint-Maximin, 1862.

CHAPITRE XI

SAINT LAZARE, PREMIER ÉVÊQUE DE MARSEILLE

En s'attaquant à l'apostolat provençal de Marie-Madeleine, M. Duchesne comptait, sans doute, rompre du même coup tout le faisceau de nos traditions séculaires, et reléguer en Orient le ressuscité Lazare et Marthe, sa sœur.

Mes réponses ont donc aussi du même coup défendu, sur plusieurs points, nos traditions touchant ces deux autres patrons de la Provence. Mais comme dans le travail trop diffus de l'adversaire, il y a encore quelques arguments dirigés contre leur venue et leur apostolat, il faut démêler ces arguments et voir quelle peut en être la juste valeur.

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« Que Lazare le ressuscité ait été le premier apôtre de Marseille et des environs, c'est ce que croient le vulgaire et, en Provence, même le monde érudit (1), »

Ce sont les Bénédictins du Gallia Christiana qui constatent ce fait ; et M. Duchesne ajoute : « Il en est encore ainsi (2). »

(1)« Communis est (opinio) non solum apud vulgus, verum etiam inter eruditos in Provincia viros, primum qui fidem christianam Massiliæ et in locis finitimis disseminavit fuisse sanctum Lazarum a Christo salvatore nostre a mortuis suscitatum » (Gallia Christiana, t. I, p. 631). (2) La Légende, p. 1.

S'il en est encore ainsi, M. Duchesne a-t-il cherché de nouveaux et plus forts arguments pour démontrer à ce vulgaire et à ces érudits le mal fondé de leur croyance ? Non; c'est presque toujours à Launoy (qu'il n'a pas lu) que M. Duchesne emprunte ses armes, sans avoir même soin d'un peu les dérouiller.

1° « Dans l'antiquité chrétienne, le souvenir de Lazare était consacré par un édifice religieux situé à Béthanie et appelé le Lazariou. En 333, comme on le voit par l'Itinéraire de Bordeaux, il n'y avait encore là que la crypte où l'on croyait que Lazare avait été enterré avant sa résurrection... Mais il n'est dit nulle part que les personnes (Lazare, Marie et Marthe) dont le souvenir y était honoré eussent leur sépulture en cet endroit (1). »

<< La teneur remarquable du Martyrologe d'Adon, au 17 décembre, confirme bien que, dans les divers sanctuaires élevés en leur honneur, on vénérait leur mémoire, sans posséder leurs tombeaux Eodem die b. Lazari quem Dominus Iesus in Evangelio legitur resuscitasse a mortuis; item, b. Martha sororis ejus. Quorum venerabilem memoriam exstructa ecclesia non longe a Bethania ubi e vicino domus eorum conservat, « Le même jour : fête du bienheureux Lazare dont l'Évangile raconte la résurrection par le Seigneur Jésus ; fête de la bienheureuse Marthe, sa sœur. Leur vénérable mémoire est conservée dans une église bâtie non loin de Béthanie, dans le voisinage de leur maison (2). » Donc, durant les quatre premiers siècles, Béthanie ne se réclame ni de l'apostolat ni de la sépulture de Lazare et de Marthe. Cet aveu est de M. Duchesne.

2o Y a-t-il, en Orient, quelque autre cité qui puisse légitimement s'attribuer cet honneur ?

<< Certaines traditions, répond M. Duchesne, rattachaient Lazare à Éphèse. C'est du moins ce que dit le

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moine Bernard qui visita les lieux saints d'Italie et d'Orient vers l'an 870 : Qui (Lazare) dicitur postea perstitisse episcopus in Epheso XL annis, « L'on dit qu'après sa résurrection Lazare resta évêque à Éphèse pendant quarante ans (1). »

Ces <<< certaines traditions » sont des traditions bien incertaines; et, malgré toute son érudition, M. Duchesne serait bien embarrassé d'en montrer quelques traces pendant les siècles précédents. Il est vrai que par cette expression : « c'est du moins ce que dit le moine Bernard », M. Duchesne semble ne pas donner grande importance à son témoignage; et d'ailleurs il est juste de noter que Bernard a pu être mal renseigné, n'étant pas allé lui-même à Éphèse.

Que si l'on veut faire Lazare évêque d'Éphèse, pendant quarante ans, à quelle époque fixera-t-on cet épiscopat ?

Le premier qui a fait connaître à Éphèse le nom du Christ c'est peut-être Pierre lui-même, durant le voyage qu'il fit aux contrées orientales, après le premier concile de Jérusalem (2).

Après le chef des Apôtres, arrive Apollos, cet alexandrin « rempli de science et puissant dans la connaissance des Écritures, entré pleinement dans la voie du Seigneur par les deux disciples venus de Corinthe, Aquilas et Priscille» (3).

Après Apollos, c'est Paul lui-même qui reste trois ans à Éphèse. Après Paul, c'est Timothée, le « bon soldat du Christ ». Avec lui et après lui, c'est Jean le bien-aimé, qui, selon la remarque de saint Jérôme, fonda et dirigea toutes les Églises d'Asie (4).

(1) La Légende, p. 5.

(2) Origen., áp. Euseb., Hist. Eccl., III, 1, 4; Hieronym., De Vir. illustr., c. I. Epiphan., Hares., XXII, 6.

(3) Acta Apostol. (XVIII, 24).

(4) « Totas Asiæ fundavit rexitque Ecclesias » (S. Hieronym., De Scriptor. Eccl. in Joan.).

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