ON PRÉLIMINAIRE. N ne peut publier dans un moment plus favorable la traduction d'un ouvrage sur l'agriculture. Cette matière est devenue l'objet d'une foule de livres, de recherches et d'expériences. Dans toutes les parties du royaume je vois s'élever des sociétés d'agriculture. On a imaginé de nouvelles façons de labourer et de semer. Plusieurs citoyens ont eu la générosité de sacrifier des arpents de terre et des années de récolte à des essais sur l'économie rurale. L'agriculture, comme les autres arts, a ses amateurs. La mode a disputé à la philosophie l'honneur d'ennoblir ce que le luxe et l'orgueil avaient long-temps avili; et la théorie de cet art occupe presque autant de têtes dans les villes que la pratique exerce de bras dans les campagnes. Il est vrai que lorsque j'ai interrogé les cultivateurs de profession, que nos cultivateurs de ville sont tentés de regarder comme des espèces de machines un peu moins ingénieuses que celles qu'ils ont imaginées, je leur ai entendu dire que toutes ces découvertes faites dans le cabinet souffraient de grandes difficultés sur les lieux. Cependant, malgré ces observations, malgré le ridicule de l'agromanie, il faut convenir que l'agriculture ne peut que gagner aux travaux des savants: par leur secours elle sortira insensiblement des sentiers étroits que lui a tracés la routine, et des ténèbres où la retient un instinct aveugle. On ne s'est pas contenté de chercher des méthodes nouvelles, on a voulu connaître celles des anciens. On sait combien l'agriculture était florissante et honorée parmi eux. Pour ne parler que des Romains, avec quel plaisir lisonsnous dans leur histoire les noms des consuls et des dictateurs qu'on allait prendre à la charrue, et qui, comme dit Pline, du Capitole où ils étaient montés triomphants, retournaient dans leurs terres enorgueillies de se voir cultivées par leurs mains victorieuses! L'agriculture a exercé non seulement les plus grands héros, mais encore les plus grands écrivains de l'antiquité. Parmi les Grecs, Hésiode, qui vivait un siècle après la guerre de Troie, a écrit un poëme sur l'agriculture : Démocrite, Xénophon, Aristote, Théophraste, en ont traité en prose. Parmi les Romains, Caton, le fameux censeur, a composé un ouvrage sur l'économie rurale, et a été imité par le savant Varron. Caton écrit comme un vieux cultivateur plein d'expérience ses ouvrages abondent en sentences; il entremêle aux leçons d'agriculture des préceptes de morale. Varron montre dans ses écrits plus de théorie que de pratique ; il se livre à des recherches sur l'antiquité, remonte à l'étymologie des mots, et nous lui devons un catalogue de ceux qui ont écrit avant lui sur l'agriculture. L'ouvrage de Columelle est le plus considérable que les anciens nous aient laissé sur ce sujet. Plusieurs souverains ont aussi honoré l'agriculture en composant des traités sur cette matière. Si les rois sont dispensés aujourd'hui d'écrire sur cet art, ìls ne le sont pas de le protéger. Mais, parmi ces écrivains, Virgile tient sans contredit le premier rang, même indépendamment de la beauté du style. Lui-même cultiva ses terres près de Mantoue jusqu'à l'âge de vingt ans. Ce fut alors qu'il parut à Rome pour la première fois, et qu'il fut admis à la faveur d'Auguste. La longue durée des guerres civiles avait presque dépeuplé les campagnes, et Rome même l'était au point qu'August: se vit menacé de ne régner que sur des déserts et des tombeaux. Une grande partie des terres de l'Italie avait été partagée entre les soldats, qui s'étaient occupés trop longtemps à les ravager pour avoir appris à les cultiver. Il fallait donc ranimer parmi les Romains leur premier amour et leur premier talent pour l'agriculture. Mécène, qui mettait toute sa gloire à augmenter celle de son maître et de son ami, engagea Virgile à se charger de cette entreprise. On voit combien les arts, dans les anciens gouvernements, influaient sur la politique. Réduits chez les peuples modernes à distraire l'oisiveté des riches, à exercer la critique des prétendus connaisseurs, à exciter l'envie des artistes, à faire de bas protégés et d'insolents protecteurs, ils étaient chez les anciens un ressort utile qui remuait puissamment les esprits de la multitude; et les orateurs et les poètes furent en quelque sorte les premiers législateurs. Virgile employa sept ans à la composition de cet ouvrage. On y reconnaît partout le dessein dans lequel il l'avait composé, et les vues de Mécène : mais on les reconnaît surtout dans ses plaintes touchantes sur la décadence de l'agriculture, qu'on lit à la fin du premier livre; encore plus dans ce bel éloge de la vie champêtre qui termine le second, et dans lequel Virgile semble avoir réuni toute la force et toutes les grâces de la poésie pour rappeler les Romains à leur ancien amour de l'agriculture. |