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parlent comme de la partie la plus reculée vers le nord du monde connu. Il n'est pas vraisemblable que ce soit aucune des petites îles qui environnent la Grande-Bretagne. Cette contrée était regardée, du temps de Virgile, comme faisant partie de l'empire romain: Virgile, qui voulait flatter Auguste, avait donc en vue un pays plus reculé. Quelques auteurs ont conjecturé que ce pouvait être l'Islande.

9) Nouveau signe d'été, veux-tu briller aux cieux?

Par ces mots tardis mensibus on entend généralement les mois d'été, parce qu'alors les jours sont plus longs. Peut-être cc passage, qui a tant exercé les commentateurs, peut s'expliquer encore plus naturellement, si on veut se rappeler que le Lion, la Vierge, et le Scorpion, sont en effet plus lents dans leur ascension que les neuf autres signes du zodiaque.

10) Le Scorpion brûlant, déjà loin d'Erigone.....

Érigone est le même signe que la Vierge. Les Égyptiens et les Chaldéens, créateurs de l'astronomie, différaient sur le nombre des signes du zodiaque. Les premiers en comptaient douze, et les autres onze. Virgile s'autorise de cette diversité d'opinions entre les anciens astronomes, et substitue Auguste à la Balance, entre la Vierge et le Scorpion qui se resserre pour lui. Il peut y avoir aussi deux allusions dans ces vers. Auguste était né sous le signe de la Balance, et ce signe est l'emblême de la justice.

11) Quand la neige au printemps s'écoule des montagnes. Le printemps commençait au mois de mars. Mais ce n'est pas là ce que Virgile entendait par vere novo; et ceux qui écrivent sur l'agriculture n'affectent point, en parlant des saisons, la précision des astronomes; la fin des gelées est pour eux le commencement du printemps. C'est ainsi que Columelle explique ce passage.

12) Par les soleils brûlants, par les frimas humides.

Ce passage est un de ceux qui ont le plus exercé les commentateurs. Servius, le plus ancien, et peut-être le moins judicieux, entendait par frigora la fraîcheur de la nuit, et par solem la chaleur du jour. Ce vers s'explique naturellement par le passage de Pline, Quarto seri sulco Virgilius existimatur voluisse, cùm dixit optimam esse segetem bis quæ solem, bis frigora sensisset. Columelle emploie souvent ces expressions, secundo, tertio, quarto sulco, pour exprimer un second, un troisième, un quatrième labour. Virgile ne se contente pas d'ordonner aux cultivateurs quatre labours, il en donne la raison; c'est afin que la chaleur et le froid mûrissent la terre.

13) Toutefois dans le sein d'une terre inconnue

Ne va point vainement enfoncer la charrue.

Columelle, en citant ce passage de Virgile, dit, Verissimo vati velut oraculo crediderimus. Cet éloge, que Virgile mérite presque partout, me paraît assez mal appliqué à cet endroit, qui n'est qu'un précepte très-ordinaire, quoique très-important. Je l'ai cité cependant, pour prouver combien Virgile était estimé, pour la partie agronomique, par les auteurs qui ont écrit sur le même sujet.

14) Le Tmole est parfumé d'un safran précieux.

Montagne de la grande Phrygie, fertile en vin et en safran.

15) L'Euxin voit le castor se jouer dans ses ondes.

Le castoreum est d'un grand usage en médecine; c'est un soporifique très-efficace. Lucrèce a dit :

Castoreoque gravi mulier sopita recumbit.

On s'en sert surtout pour les maladies de nerfs. Les Romains le tiraient du Pont. Le meilleur vient maintenant de la Moscovie et des pays les plus septentrionaux.

16) Le Pont s'enorgueillit de ses mines fécondes.

Les Calybes étaient des peuples du Pont qui exploitaient de riches mines de fer sur les bords du Thermodon.

17) Lorsqu'un mortel sauvé des ondes vengeresses.....

On peut lire dans Ovide l'histoire de Deucalion et de Pyrrha. Ce poète la termine par ces vers, où l'on trouve presque les mêmes expressions que dans Virgile :

Inde genus durum sumus experiensque laborum,

Et documenta damus quà simus origine nati.

Mais Ovide, selon son usage, exprime longuement ce que Virgile indique finement; l'un est pour ainsi dire le texte, et l'autre le commentaire.

18) Qu'au retour du Bouvier le soc l'effleure à peine.

L'Arcture ou le Bouvier, du temps de Columelle et de Pline, se levait pour les Athéniens avec le soleil quand il était dans le douzième degré un tiers de la Vierge, et pour les Romains trois jours plus tôt, quand le soleil était dans le neuvième degré un quart de la Vierge, l'équinoxe d'automne commençant alors le 24 ou le 25 septembre.

19) Qu'un vallon moissonné dorme un an sans culture.

Pline entend par le mot novales une terre qu'on ensemence de

deux ans l'un.

20) Qui n'a produit d'abord que le frêle lupin.

Tristis signifie amer, comme Pline le fait entendre par ce passage, Lupinum ab omnibus animalibus amaritudine suá tutum. Le lupin des Romains n'est pas le même que le nôtre, c'est une graine qu'ils laissent long-temps dans l'eau pour lui faire perdre son amertume, et on l'achète ainsi dans les rues d'Italie. Notre lupin n'est autre chose que la faisole des Romains.

21) Pour l'avoine, et le lin, et les pavots brûlants,

De leurs sucs nourriciers ils épuisent les champs. Virgile ne défend point ici de semer du lin, de l'avoine et des pavots, comme on peut le voir par le vers 212, où il prescrit le temps de les semer; mais il ordonne aux cultivateurs d'observer que ces sortes de graines, au lieu d'amender la terre comme les légumes, l'épuisent et l'amaigrissent; qu'ainsi, lorsqu'ils sèment du blé immédiatement après, il faut fumer la terre que ce produit a épuisée, arida et effœta: ces deux mots sont essentiels pour l'intelligence de ces vers. Columelle dit, liv. II, chap. 10 Lini semen, nisi magnus est ejus in ea regione quam colis proventus, et pretium proritat, serendum non est; agris enim præcipuè noxium est; et au chap. 14: Una præsens medicina est, ut stercore adjuves, et absumptas vires hoc velut pabulo refoveas.

22) La terre toutefois, malgré leurs influences.....

Virgile, en parlant plus haut du repos des terres, se sert du mot alternis, et c'est sans doute pour cela que les commentateurs l'expliquent ici dans le même sens; mais il faut observer que plus haut il est joint aux mots novales et cessare, ce qui en détermine le sens dans cet endroit. Je pense qu'ici il ne peut être entendu de même, et que Virgile veut parler seulement du changement de semence. En effet le poète parle maintenant de ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas laisser reposer leur terre, aut ibi flava seres, etc. Il les avertit de semer du blé immédiatement après des fèves, du lupin, ou de la vesce, parce que ces graines amendent la terre; mais il ajoute qu'il faut craindre les pavots, le lin et l'avoine, parce que ce produit épuise la terre: cependant il permet de les semer alternativement, pourvu qu'on prenne soin d'engraisser le sol qu'ils ont desséché.

Arida tantùm

Ne saturare fimo pingui pudeat sola, neve
Effoetos cinerem immundum jactare per agros.

Ce qui rend encore cette interprétation plus naturelle, c'est ce

vers,

Sic quoque mutatis requiescunt fœtibus arva.

qui prouve que le poète regarde le changement de semence comme l'équivalent d'un repos absolu. Cependant, pour l'encouragement de ceux qui laissent leurs terres en jachère, il ajoute : Nec nulla interea est inaratæ gratia terræ.

Je crois que ce morceau ainsi interprété devient plus clair et plus suivi.

23) Cérès

approuve encor que des chaumes flétris.....

Cet usage s'est conservé en Italie. Fontanini, dans son Histoire des Antiquités d'Horta, rapporte à ce sujet une anecdote singulière. Marie Lancisius, qui avait beaucoup de crédit auprès du Clément XI, pape incommodé par la chaleur que causait l'incendie des chaumes dans les campagnes voisines de Rome, persuada au souverain pontife de proscrire cet usage par un édit. Le pape fit part de ce projet au cardinal Nuptius, qui l'en détourna en lui représentant l'antiquité et l'utilité de cet usage, et en lui citant ces beaux vers de Virgile. Le pape supprima son édit. Cette méthode s'observe aussi dans les provinces méridionales de la France, qui, plus voisines de l'Italie, se rapprochent aussi davantage de ses coutumes et de ses usages en tout genre.

24) Vois-tu ce laboureur, constant dans ses travaux..... Les Romains brisaient d'abord la terre avec des râteaux, et l'aplanissaient ensuite en y traînant des claies; c'est ce que Columelle exprime par ces mots, qui répondent exactement aux vers de Virgile, Glebas sarculis resolvere, et inductá crate coæquare.

25) J'aime des hivers secs et des étés humides.

Ceci ne peut s'entendre que du solstice d'été. Ovide a employé solstitium dans le même sens :

Nec mihi solstitium quidquam de noctibus aufert.

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