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champêtres, l'admirable variété des trésors qui couvrent la terre, l'abondance des moissons, la richesse des vendanges, les vergers, les troupeaux, les abeilles, tous ces objets qui, malgré la dépravation de nos mœurs, les préjugés de l'orgueil, ont des droits si puissants sur notre ame; voilà ce que présente le poëme de Virgile : il est riche comme la nature, il est inépuisable comme elle. Joignez à cela les idées d'innocence, de félicité, de tranquillité, attachées à la vie champêtre; ce plaisir délicieux avec lequel nos yeux, fatigués de la pompe des villes et des merveilles des arts, se rejettent vers les beautés simples de la campagne et les prodiges variés de la nature : est-il rien de plus intéressant pour les ames qui conservent encore quelque sensibilité? Les anciens nous ont laissé des poëmes didactiques sur d'autres sujets. Théognis a écrit en vers sur la morale; Aratus et Lucrèce sur la philosophie naturelle. Le sujet des Géorgiques me paraît l'emporter de beaucoup pour l'agrément. Les préceptes moraux, indépendamment de l'aversion naturelle que nous avons pour eux, sont si éloignés de nos sens, que rarement ils fournissent au poète ces belles descriptions, ces images vives qui font l'essence de la poésie. La philosophie naturelle présente, à la vérité, des objets sensibles, mais souvent elle rebute le lecteur par la sécheresse des définitions, l'ennui des discussions, et l'incertitude des systêmes. Le sujet que Virgile a choissi frappe sans cesse l'imagination, sans cesse il parle à notre ame par nos sens; les leçons y sont en images, et les préceptes en tableaux.

La forme n'est pas moins précieuse que le fond. Virgile ennoblit les opérations les plus simples et les instruments

les plus vils; il parle aussi noblement de la faux du cultivateur que de l'épée du guerrier, d'un char rustique que d'un char de triomphe; il sait rendre la charrue digne et des consuls et des dictateurs. Enfin, on peut dire que non seulement il a surpassé les autres écrivains, mais qu'il s'est surpassé lui-même dans le style des Géorgiques; la vivacité de ses images nous donne une idée plus claire que n'aurait fait la vue de ces choses mêmes, et l'objet décrit nous aurait moins affectés que la description. Mais, de quelques couleurs que les préceptes soient revêtus, ils fatiguent à la longue, si le poète n'en corrige l'uniformité. Virgile, dans cette vue, entremêle à ses leçons d'agriculture des traits de morale. S'il conseille de transplanter un arbrisseau dans un terrain semblable à son sol natal, il ajoute noblement : Tant de nos premiers ans l'habitude a de force!

Nous recommande-t-il de profiter de la jeunesse des troupeaux pour les multiplier, il y joint cette réflexion touchante :

Hélas! nos plus beaux jours s'envolent les premiers.

Et comme les poètes qui écrivent sur la morale embellissent leurs vers d'images empruntées des objets physiques, Virgile, aux descriptions des objets physiques, mêle des traits de morale; mais ces traits, vu leur brièveté, étant insuffisants pour le délassement du lecteur, souvent il abandonne son sujet pour détendre et amuser notre esprit par d'heureuses digressions. Car, si les épisodes sont si nécessaires, même dans le poëme épique, où le poète est soutenu par l'intérêt d'une action importante, ils le sont bien davantage

dans le didactique, pour couper la monotonie et adoucir l'ennui des préceptes.

Cependant Virgile, sage même dans ses écarts, a senti que les digressions, quelque agréables qu'elles fussent par elles-mêmes, ne devaient point être un hors-d'œuvre dans son poëme; que les fleurs y étaient nécessaires pour en couvrir les épines, mais qu'elles doivent naître du fond du sujet, et non y être transplantées; que, dans les épisodes les plus étrangers en apparence au sujet des Géorgiques. on devait voir la campagne au moins en perspective. Voyez, à la fin du premier livre, comment, après avoir parlé de la mort de César, des batailles de Pharsale et de Philippes, il rentre ingénieusement dans son sujet, et intéresse le cultivateur au récit de ces grands événements, par ces vers admirables dans l'original:

Un jour le laboureur, dans ces mêmes sillons
Où dorment les débris de tant de bataillons,
Heurtant avec le soc leur antique dépouille,

Trouvera, plein d'effroi, des dards rongés de rouille,
Verra de vieux tombeaux sous ses pas s'écrouler (a),
Et des soldats romains les ossements rouler.

Ainsi, s'il maîtrise partout son sujet, son sujet le domine partout.

Concluons que, si l'utilité, l'agrément du sujet, le génie et l'art du poète, peuvent rendre un poëme intéressant, on ne peut refuser cet éloge aux Géorgiques. Je sais qu'elles ne

(a) L'auteur avait mis d'abord ces deux vers:

Entendra retentir les casques des héros,
Et d'un œil effrayé contemplera leurs os.

peuvent avoir l'intérêt d'un poëme dramatique; mais serait-il raisonnable de l'exiger? Qu'il me soit permis de remarquer ici que le goût exclusif de nos auteurs pour ce genre leur inspire un dédain injuste pour les autres; et c'est un véritable malheur pour notre littérature. Les Anglais, plus sen sés que nous, encouragent tous les genres de poésie; aussi ont-ils des poëmes agréables sur toutes sortes de sujets, et une littérature infiniment plus variée que la nôtre; mais, parmi nous, il est si difficile de faire lire des vers qui n'aient pas été récités sur le théâtre, que tous les jeunes talents se jettent dans cette carrière. D'ailleurs on sait que le style de la tragédie n'est guère que celui de la conversation noble; le style de la comédie, celui de la conversation familière. Notre langue, resserrée jusqu'ici dans ces deux genres, est restée timide et indigente, et n'acquerra jamais ni richesse ni force, si, toujours emprisonnée sur la scène, elle n'ose se promener librement sur tous les sujets susceptibles de la grande et belle poésie. On ne peut donc savoir trop de gré à ceux qui, au lieu de grossir cette foule de drames platement imités, ou monstrueusement originaux, nous ont donné des poëmes sur les travaux des arts ou sur les beautés de la nature : c'est pour notre langue un monde nouveau dont elle peut rapporter des richesses sans nombre.

Je crois qu'il est à propos de donner ici une idée des quatre livres des Géorgiques. Virgile, dans le premier, parle des moissons, du labourage, des instruments nécessaires aux cultivateurs, de la connaissance de la sphère, des différentes saisons où il faut semer les différents grains, des signes qui annoncent l'orage ou les beaux jours. La va

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riété des tableaux, la rapidité du style, caractérisent ce livre, qui est terminé par un magnifique épisode sur la mort de César.

Dans le second, on trouve plus d'art peut-être et plus de hardiesse que dans tous les autres. Le poète attribué à des arbres toutes les passions et les affections humaines l'oubli, l'ignorance, le désir, l'étonnement. Le quatrièmè est riche en métaphores, mais moins hardies que dans celui-ci; car il est bien plus naturel de prêter les passions de l'homme à des animaux, comme les abeilles, qu'à des êtres inanimés, comme les arbres. On ne peut lire, à la fin du second livre, l'éloge de la vie champêtre dont j'ai déjà parlé, sans être tenté de vivre à la campagne, et sans préférer, contre le sentiment de Virgile lui-même, la vie d'un cultivateur à celle d'un philosophe.

Le troisième paraît le plus travaillé de tous. Il règne une vigueur et une verve admirable dans la description du cheval et des courses de chevaux. La violence de l'amour y est représentée avec des expressions aussi brûlantes que l'amour même. L'hiver de la Scythie y est si bien peint, qu'on frissonne, pour ainsi dire, en le lisant. Dans la description de la peste, il s'est efforcé de surpasser Lucrèce ; et il faut avouer que, si dans l'un on aperçoit mieux le physicien, dans l'autre on reconnaît bien mieux le poète.

Mais Virgile semble n'avoir rien traité avec autant de complaisance que les abeilles. Il ennoblit toutes les actions de ces petits animaux par des métaphores empruntées des plus importantes occupations des hommes. Il ne peint pas en vers plus forts les batailles d'Enée et de Turnus, que

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