Il n'a point tous ces arts qui trompent notre ennui; Mais que lui manque-t-il? la nature est à lui;
Des grottes (7), des étangs, une claire fontaine
Dont l'onde en murmurant l'endort sous un vieux chêne; Un troupeau qui mugit, des vallons, des forêts; Ce sont là ses trésors, ce sont là ses palais.
C'est dans les champs qu'on trouve une mâle jeunesse ; C'est là qu'on sert les dieux, qu'on chérit la vieillesse : La Justice, fuyant nos coupables climats, Sous le chaume innocent porta ses derniers pas.
O vous (72) à qui j'offris mes premiers sacrifices, Muses, soyez toujours mes plus chères délices: Dites-moi quelle cause éclipse dans leur cours
Le clair flambeau des nuits, l'astre pompeux des jours; Pourquoi la terre tremble, et pourquoi la mer gronde ; Quel pouvoir fait enfler, fait décroître son onde; Comment (73) de nos soleils l'inégale clarté S'abrège dans l'hiver, se prolonge en été; Comment roulent les cieux, et quel puissant génie Des sphères dans leur cours entretient l'harmonie.
Mais si mon sang trop froid m'interdit ces travaux, Eh bien ! vertes forêts, prés fleuris, clairs ruisseaux, J'irai, je goûterai votre douceur secrète: Adieu, gloire, projets. O coteaux du Taygète, Par les vierges de Sparte en cadence foulés, Oh! qui me portera dans vos bois reculés ? Où sont, ô Sperchius, tes fortunés rivages? Laissez-moi de Tempé parcourir les bocages. Et vous, vallons d'Hémus, vallons sombres et frais, Couvrez-moi tout entier de vos rameaux épais.
Felix qui potuit rerum cognoscere causas, Atque metus omnes et inexorabile fatum Subjecit pedibus, strepitumque Acherontis avari! Fortunatus et ille deos qui novit agrestes,
Panaque, Sylvanumque senem, Nymphasque sorores! Illum non populi fasces, non purpura regum Flexit, et infidos agitans discordia fratres, Aut conjurato descendens Dacus ab Istro; Non res Romanæ, perituraque regna: neque ille Aut doluit miserans inopem, aut invidit habenti. Quos rami fructus, quos ipsa volentia rura Sponte tulere suâ, carpsit: nec ferrea jura, Insanumque forum, aut populi tabularia vidit.
Sollicitant alii remis freta cæca, ruuntque In ferrum, penetrant aulas et limina regum : Hic petit excidiis urbem miserosque penates, Ut gemmâ bibat, et Sarrano indormiat ostro: Condit opes alius, defossoque incubat auro : Hic stupet attonitus rostris : hunc plausus hiantem Per cuneos, geminatur enim, plebisque patrumque Corripuit: gaudent perfusi sanguine fratrum, Exsilioque domos et dulcia limina mutant, Atque alio patriam quærunt sub sole jacentem.
Agricola incurvo terram dimovit aratro : Hinc anni labor; hinc patriam parvosque nepotes
(74) instruit des lois de la nature,
Qui du vaste univers embrasse la structure,
Qui domte et foule aux pieds d'importunes erreurs,
Le sort inexorable et les fausses terreurs,
Qui regarde en pitié les fables du Ténare,
Et s'endort au vain bruit de l'Achéron avare! Mais trop heureux aussi qui suit les douces lois Et du dieu des troupeaux et des nymphes des bois ! La pompe des faisceaux, l'orgueil du diadême, L'intérêt (75), dont la voix fait taire le sang même, De l'Ister conjuré les bataillons épais,
Rome, les rois vaincus, ne troublent point sa paix Auprès de ses égaux passant sa douce vie, Son cœur (76) n'est attristé de pitié ni d'envie; Jamais aux tribunaux, disputant de vains droits, La chicane pour lui ne fit mugir sa voix :
Sa richesse, c'est l'or des moissons qu'il fait naître; Et l'arbre qu'il planta chauffe et nourrit son maître. D'autres, la rame en main, tourmenteront la mer, Ramperont dans les cours, aiguiseront le fer: L'avide conquérant, la terreur des familles, Égorge les vieillards, les mères et les filles,
Pour dormir sur la pourpre (77), et pour boire dans l'or; L'avare ensevelit et couve son trésor;
L'orateur au barreau, le poète au théâtre, S'enivrent de l'encens d'une foule idolâtre;
Le frère égorge un frère, et va sous d'autres cieux Mourir loin des lieux chers qu'habitaient ses aïeux. Le laboureur en paix coule des jours prospères; ll cultive le champ que cultivaient ses pères:
Sustinet; hinc armenta boum, meritosque juvencos. Nec requies quin aut pomis exuberet annus, Aut foetu pecorum, aut cerealis mergite culmi, Proventuque oneret sulcos, atque horrea vincat.
Venit hiems; teritur Sicyonia bacca trapetis; Glande sues læti redeunt; dant arbuta sylvæ; Et varios ponit foetus autumnus, et altè Mitis in apricis coquitur vindemia saxis. Interea dulces pendent circum oscula nati; Casta pudicitiam servat domus ; ubera vaccæ Lactea demittunt; pinguesque in gramine læto Inter se adversis luctantur cornibus hædi.
Ipse dies agitat festos; fususque per herbam, Ignis ubi in medio, et socii cratera coronant, Te libans, Lenæe, vocat; pecorisque magistris Velocis jaculi certamina ponit in ulmo; Corporaque agresti nudat prædura palæstrâ.
Hanc olim veteres vitam coluere Sabini, Hanc Remus et frater; sic fortis Etruria crevit, Scilicet et rerum facta est pulcherrima Roma, Septemque una sibi muro circumdedit arces. Ante etiam sceptrum Dictæi regis, et ante Impia quàm cæsis gens est epulata juvencis,
Ce champ nourrit l'état, ses enfants, ses troupeaux, Et ses bœufs, compagnons de ses heureux travaux. Ainsi que les saisons sa richesse varie :
Ses agneaux au printemps peuplent sa bergerie; L'été remplit sa grange, affaisse ses greniers; L'automne d'un doux poids fait gémir ses paniers; Et les derniers soleils, sur les côtes vineuses, Achèvent de mûrir les grappes paresseuses.
L'hiver vient; mais pour lui l'automne dure encor: Les bois donnent leurs fruits (78), l'huile coule à flots d'or. Cependant ses enfants, ses premières richesses,
A son cou suspendus disputent ses caresses: Chez lui de la pudeur tout respecte les lois; Le lait de ses troupeaux écume entre ses doigts; Et ses chevreaux, tout fiers de leur corne naissante, Se font en bondissant une guerre innocente.
Les fêtes, je le vois partager ses loisirs Entre un culte pieux et d'utiles plaisirs: II propose des prix à la force, à l'adresse ; L'un déploie en luttant sa nerveuse souplesse ; L'autre frappe le but d'un trait victorieux, Et d'un cri triomphant fait retentir les cieux.
Ainsi les vieux Sabins vivaient dans l'innocence; Ainsi des fiers Toscans s'agrandit la puissance; Ainsi Rome, aujourd'hui reine des nations, Seule en sa vaste enceinte a renfermé sept monts. Même avant Jupiter, avant que l'homme impie Du sang des animaux osât souiller sa vie, Ainsi vivait Saturne: alors d'affreux soldats
Au bruit des fiers clairons ne s'entr'égorgeaient pas;
« PreviousContinue » |