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le langage d'une mère qui réclamait du secours pour la délivrer de son fardeau. Maldonata aida la nature dans le moment douloureux où elle semble n'accorder qu'à regret à tous les êtres naissants le jour et cette vie qu'elle leur laisse respirer si peu de temps. La lionne, heureusement délivrée, va bientôt chercher une nourriture abondante, et l'apporte aux pieds de sa bienfaitrice : celle-ci la partageait chaque jour avec les jeunes lionceaux, qui, nés par ses soins et élevés par elle, semblaient reconnaître, par des jeux et des morsures innocentes, un bienfait que leur mère payait de ses plus tendres empressements. Mais quand l'âge leur eut donné l'instinct de chercher eux-mêmes leur proie, avec la force de l'atteindre et de la dévorer, cette famille se dispersa dans les bois; et la lionne, que la tendresse maternelle ne rappelait plus dans sa caverne, disparut elle-même et s'égara dans un désert que la faim dépeuplait chaque jour. Maldonata, seule et sans subsistance, se vit réduite à s'éloigner d'un antre redoutable à tant d'êtres vivants, mais dont sa pitié avait su lui faire un asile. Cette femme, privée avec douleur d'une société chérie, ne fut pas longtemps errante, sans tomber entre les mains des sauvages indiens. Une lionne l'avait nourrie, et des hommes la firent esclave! Bientôt après elle fut reprise par les Espagnols, qui la ramenèrent à Buenos-Ayres. Le commandant, plus féroce lui seul que les lions et les sauvages, ne la crut pas sans doute assez punie de son évasion par les dangers et les maux qu'elle avait essuyés; le barbare ordonna qu'elle fût attachée à un arbre, au milieu d'un bois, pour y mourir de faim, ou devenir la pâture des monstres dévorants. Deux jours après, quelques soldats allèrent savoir la destinée de cette malheureuse victime. Ils la trouvèrent pleine de vie au milieu des tigres affamés qui, la gueule ouverte sur cette proie, n'osaient approcher devant une lionne couchée à ses pieds avec des lionceaux. Ce spectacle frappa tellement les soldats qu'ils en étaient immobiles d'attendrissement et de frayeur. La lionne, en les voyant, s'éloigna de l'arbre comme pour leur laisser la liberté de délier sa bienfaitrice. Mais quand ils voulurent l'emmener avec eux, l'animal vint à pas lents confirmer par des caresses et de doux gémissements les prodiges de reconnaissance que cette femme racontait à ses libérateurs. La lionne suivit quelque temps les traces de l'Espagnole avec ses lionceaux, donnant toutes les marques de respect et d'une véritable douleur qu'une famille fait éclater

quand elle accompagne jusqu'au vaisseau un père ou un fils chéri qui s'embarque d'un port de l'Europe pour le NouveauMonde, d'où peut-être il ne reviendra jamais. Le commandant, instruit de toute l'aventure par ses soldats, et ramené par un monstre des bois aux sentiments de l'humanité que son cœur farouche avait dépouillés sans doute en passant les mers, laissa vivre une femme que le ciel avait visiblement protégée. »

LA VRAIE GLOIRE.

«La gloire est un sentiment qui nous élève à nos propres yeux, et qui accroît notre considération aux yeux des hommes éclairés. Son idée est indivisiblement liée avec celle d'une grande difficulté vaincue, d'une grande utilité subséquente au succès, et d'une égale augmentation de bonheur pour l'univers ou pour la patrie. Quelque génie que je reconnaisse dans l'invention d'une arme meurtrière, j'exciterais une juste indignation, si je disais que tel homme ou telle nation eut la gloire de l'avoir inventée. La gloire, du moins selon les idées que je m'en suis formées, n'est pas la récompense du plus grand succès dans les sciences. Inventez un nouvean calcul, composez un poëme sublime, ayez surpassé Cicéron ou Démosthène en éloquence, Thucydide ou Tacite dans l'histoire, je vous accorderai la célébrité, mais non la gloire.

« On ne l'obtient pas davantage de l'excellence du talent dans les arts. Je suppose que vous avez tiré d'un bloc de marbre, ou le gladiateur, ou l'Apollon du Belvédère; que la Transfiguration soit sortie de votre pinceau, ou que vos chants simples, expressifs et mélodieux, vous aient placé sur la ligne de Pergolèse, vous jouirez d'une grande réputation, mais non de la gloire. Je dis plus égalez Vauban dans l'art de fortifier les places, Turenne ou Condé dans l'art de commander les armées; gagnez des batailles, conquérez des provinces, toutes ces actions seront belles sans doute et votre nom passera à la postérité la plus reculée, mais c'est à d'autres qualités que la gloire est réservée. On n'a pas la gloire pour avoir ajouté à celle de sa nation. On est l'honneur de son corps, sans être la gloire de son pays. Un particulier peut souvent aspirer à la réputation, à la renommée, à l'immortalité : il n'y a que des circonstances rares, une heureuse étoile, qui puissent conduire à la gloire.

La gloire appartient à Dieu dans le ciel. Sur la terre, c'est le lot de la vertu, et non du génie; de la vertu utile, grande, bienfaisante, éclatante, héroïque. C'est le lot d'un monarque qui s'est occupé, pendant un règne orageux, du bonheur de ses sujets, et qui s'en est occupé avec succès. C'est le lot d'un sujet qui aurait sacrifié sa vie au salut de ses concitoyens. C'est le lot d'un peuple qui aura mieux aimé mourir libre que de vivre esclave. C'est le lot, non d'un César ou d'un Pompée, mais d'un Régulus ou d'un Caton : c'est le lot d'un Henri IV. »

UN SERGENT ÉCOSSAIS.

« Un sergent écossais avait été fait prisonnier par les sauvages américains; il était garrotté et environné des guerriers indiens, impatients de jouir de l'horrible spectacle des tortures par lesquelles ils ont coutume d'éprouver le courage de leurs ennemis vaincus, lorsque le malheureux s'avisa, pour échapper à leur cruauté, de leur adresser le discours suivant :

Héros et patriarches du monde occidental, vous n'étiez << pas les ennemis que je cherchais; mais enfin vous avez « vaincu. Le sort de la guerre m'a mis entre vos mains. Usez « à votre gré du droit de la victoire : je ne vous le dispute << pas; mais puisque c'est un usage de mon pays d'offrir une a rançon pour sa vie, écoutez une proposition qui n'est pas à << rejeter.

« Sachez donc, braves Américains, que dans le pays où je « suis né, certains hommes ont des connaissances surnatu«relles. Un de ces sages, qui m'était allié par le sang, me « donna, quand je me fis soldat, un charme qui devait me << rendre invulnérable. Vous avez vu comme j'ai échappé à vos

traits. Sans cet enchantement, aurais-je pu survivre à tous « les coups mortels dont vous m'avez assailli? car, j'en ap« pelle à votre valeur, la mienne n'a ni cherché le repos ni « fui le danger. C'est moins la vie que je vous demande au« jourd'hui que la gloire de vous révéler un secret impora tant à votre conservation, et de rendre invincible la plus vail«lante nation du monde. Laissez-moi seulement une main « libre, pour les cérémonies de l'enchantement dont je veux a faire l'épreuve moi-même en votre présence. »

« Les Indiens saisirent avec avidité ce discours qui flattait en même temps et leur caractère belliqueux et leur penchant pour les merveilles. Après une courte délibération, ils dé

lièrent un bras au prisonnier. L'Ecossais pria qu'on remît son sabre au plus adroit, au plus vigoureux de l'assemblée; et dépouillant son cou, après l'avoir frotté en balbutiant quelques paroles avec des sigues magiques, il cria d'une voix haute et d'un air gai: «Voyez maintenant, sages Indiens, une preuve « incontestable de ma bonne foi. Vous, guerrier, qui tenez mon arme tranchante, frappez de toute votre force : loin de séparer ma tête de mon corps, vous n'entamerez pas seule«ment la peau de mon cou. »

« A peine eut-il prononcé ces mots que l'Indien, déchargeant un coup terrible, fit sauter à vingt pas la tête du sergent. Les sauvages, étonnés, restèrent immobiles, regardant le corps sanglant de l'étranger, puis tournant leurs regards sur euxmêmes, comme pour se reprocher les uns aux autres leur stupide crédulité. Cependant, admirant la ruse qu'avait employée le prisonnier pour se dérober aux tourments en abrégeant sa mort, ils accordèrent à son cadavre les honneurs funèbres de leur pays. »

LES FRANÇAIS.

« Voyagez beaucoup, et vous ne trouverez pas de peuple aussi doux, aussi affable, aussi franc, aussi poli, aussi spirituel, aussi galant que le Français; il l'est quelquefois trop: mais ce défaut est-il donc si grand? Il s'affecte avec vivacité et promptitude, et quelquefois pour des choses très-frivoles, tandis que des objets importants ou le touchent peu ou n'ex-. citent que sa plaisanterie. Le ridicule est son arme favorite, et la plus redoutable pour les autres et pour lui-même. II passe rapidement du plaisir à la peine, et de la peine au plaisir. Le même bonheur le fatigue. Il n'éprouve guère de sensations profondes. Il s'engoue, mais il n'est ni fantasque, ni intolérant, ni enthousiaste. Il ne se mêle jamais d'affaires d'Etat que pour chansonner ou dire son épigramme sur les ministres.

« Cette légèreté est la source d'une espèce d'égalité dont il n'existe aucune trace ailleurs; elle met de temps en temps l'homme du commun qui a de l'esprit au niveau du grand seigneur; c'est en quelque sorte un peuple de femmes: car c'est parmi les femmes qu'on découvre, qu'on entend, qu'on aperçoit, à côté de l'inconséquence, de la folie et du caprice, un mouvement, un mot, une action forte et sublime. Il a le tact exquis, le goût très-fin; ce qui tient au sentiment de l'honneur,

dont la nuance se répand sur toutes les conditions et sur tous les objets. Il est brave. Il est plutôt indiscret que confiant, et plus libertin que voluptueux.

« La sociabilité qui le rassemble en cercles nombreux, et qui le promène en un jour en vingt cercles différents, use tout pour lui en un clin d'oeil, ouvrages, nouvelles, modes, vices, vertus. Chaque semaine a son héros en bien comme en mal; c'est la contrée où il est le plus facile de faire parler de soi, et le plus difficile d'en faire parler longtemps. Il aime les talents en tout genre, et c'est moins par les récompenses du gouvernement que par la considération populaire qu'ils se soutiennent dans son pays. Il honore le génie; il se familiarise trop aisément, ce qui n'est pas sans inconvénient pour lui-même et pour ceux qui veulent se faire respecter. Le Français est avec vous ce que vous désirez qu'il soit; mais il faut se tenir avec lui sur ses gardes. Il perfectionne tout ce que les autres in

ventent.

<< Tels sont les traits dont il porte l'empreinte plus ou moins marquée dans les contrées qu'il visite plutôt pour satisfaire sa curiosité que pour ajouter à son instruction; aussi n'en rapportet-il que des prétentions. Il a des connaissances sans nombre, et souvent il meurt seul. C'est l'être de la terre qui a le plus de jouissances et le moins de regrets. Comme il ne s'attache à rien fortement, il a bientôt oublié ce qu'il a perdu. Il possède supérieurement l'art de remplacer, et il est secondé dans cet art par tout ce qui l'environne. Si vous en exceptez cette prédilection offensante qu'il a pour sa nation, et qu'il n'est pas en lui de dissimuler, il me semble que le jeune Français, gai, léger, plaisant et frivole, est l'homme aimable de sa nation; et que le Français mûr, instruit et sage, qui a conservé les agréments de sa jeunesse, est l'homme aimable et estimable de tous les pays. D

D'Holbach et Grimm.

Nous réunissons sous un même chef ces deux hommes, tous deux d'origine allemande, et nés à la même époque. L'un finit à la veille des grands orages; l'autre prolongea sa carrière assez tard pour avoir parcouru les quatre saisons de la vie, et vu passer jusqu'aux fruits qu'il avait contribué à semer.

Le baron d'Holbach fut amené en France à l'âge de douze ans et y demeura jusqu'à sa mort. Possesseur d'une grande

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