Page images
PDF
EPUB

de la puissance civile. Ni les artifices, ni les violences de Julien ne purent lui faire perdre l'immense supériorité qu'il avait acquise sur le paganisme; et les chrétiens firent bien voir, après la mort de ce prince apostat, qu'ils lui étaient demeurés fidèles par devoir, et non par faiblesse, puisque l'armée qu'il commandait lui donna pour successeurs, d'abord Jovien, ensuite Valentinien, qui, dans sa cour même, s'étaient distingués par un attachement inviolable à la foi chrétienne.

« Je me suis convaincu que la religion chrétienne n'a dû ses premiers succès ni à la nature de sa doctrine, ni aux qualités personnelles de ceux qui l'enseignaient, ni aux dispositions et aux préjugés de ceux qui l'ont reçue, ni enfin à l'influence du gouvernement. Si, raisonnant dans l'hypothèse de la fausseté du christianisme, je cherche à m'expliquer le phénomène singulier de son établissement et de ses progrès avant le règne de Constantin, je ne découvre aucune proportion entre les moyens et la fin, entre la faiblesse des causes et la grandeur de l'effet. Tout ce qui se passe dans cette hypothèse me paraît en contradiction avec les principes connus de l'ordre moral. Je ne conçois ni la conduite des premiers docteurs de l'Evangile, ni celle de leurs prosélytes, ni celle de leurs adversaires. Tous agissent constamment contre la pente de toutes les affections humaines, et la conversion du monde devient pour moi une sorte de prodige plus incroyable que tous les prodiges de l'histoire évangélique,

Mais, dans l'hypothèse de la vérité du christianisme, toutes les difficultés s'aplanissent, toutes les invraisemblances disparaissent. Sans parler de l'action toute-puissante de celui qui plie à son gré les cieux et les esprits, et dont la grâce fécondait la parole de ses envoyés, le christianisme renfermait en lui-même les causes et la raison suffisante de ses conquêtes sur le judaïsme et l'idolâtrie. La conversion du monde ne serait plus un prodige inexplicable, si elle avait eu pour motifs les prodiges consignés dans les annales de l'Eglise.

« Ici se présentent trois choses incroyables, dit saint Augustin: Il est incroyable que le Christ soit ressuscité. Il est incroyable que le monde ait pu le croire. Il est incroyable que ce soit un petit nombre d'hommes ignorants et de la lie du peuple qui ait persuadé ce fait, même aux savants. De ces trois choses incroyables, ceux qui disputent contre nous refusent de croire la première. Ils voient la seconde de leurs yeux, et ils ne peuvent dire comment elle s'est faite, à moins d'admettre la troisième. "La résurrection du Christ est publiée, crue dans le monde entier. Si elle n'est pas croyable, pourquoi tout l'univers la croit-il? Si un grand nombre de savants et d'hommes distingués s'étaient donnés pour témoins de ce prodige, il serait moins étonnant que le monde les eût crus, et je ne vois pas pourquoi l'on refuserait aujourd'hui de les croire. Mais si, comme il est vrai, le monde a cru sur le témoignage d'un petit nombre d'hommes obscurs et ignorants, comment se trouve-t-il encore des entétés qui ne veulent pas croire ce qu'a cru le monde entier ? Celui qui pour croire demande de nouveaux prodiges, est lui-même un prodige monstrueux, puisqu'il résiste seul à la foi de l'univers..... Si l'on ne veut pas croire que les apôtres aient opéré des miracles en preuve dé la résurrection du Christ, ce sera pour nous un assez grand miracle que toute la terre ait cru sans miracle. ( De Civit. Dei, 1. XXII. chap. v. )

«En effet, pour suivre et pour développer la pensée de saint Augustin, la vérité des miracles du christianisme est prouvée par la conversion du monde; et la foi du chrétien n'aurait rien que de raisonnable, quand elle ne serait appuyée que sur le seul fait de l'établissement et de la propaga

tion de la doctrine évangélique. Ce fait éclatant, avec toutes ses circonstances, rappelle et suppose nécessairement d'autres faits qui forment une preuve directe et péremptoire. Si vous m'accordez, d'une part, que les miracles de Jésus et des apôtres, reconnus pour véritables, devaient opérer une grande révolution dans le monde, vous êtes forcé de convenir, d'un autre côté, que la révolution opérée par la prédication de l'Evangile ne peut avoir eu d'autre raison suffisante, d'autre principe que les miracles de Jésus-Christ et de ses apôtres. C'est ainsi que vous raisonneriez dans toute autre matière, et que d'un effet connu et indubitable vous remonteriez à la cause que vous indiqueraient les lois de l'analógie ou les principes de la critique.

VI. Une autre considération fortifie les conséquences que nous tirons de la rapidité et de l'étendue des progrès du christianisme. Rappelez-vous les prédictions de Jésus concernant l'établissement de sa religion. Avec quelle assurance, avec quelle précision il annonce une suite de faits dénués de toute vraisemblance, et que la prudence humaine eût relégués dans la région des chimères.

« Dès le commencement de son ministère, il déclare que son Evangile s'étendra jusqu'aux extrémités de la terre il le compare à un peu de levain qui se mêle avec toute la pâte et la fait entrer en fermentation, au grain de senevé, une des plus petites semences et dont la tige s'élève à la hauteur d'un arbre, au bon grain que le père de famille sème dans son champ, et qui produit une abondante moisson, malgré l'ivraie que l'ennemi y a semée pendant la nuit. Il prédit en termes formels que les Juifs le feront mourir. Rien assurément, dans le cours ordinaire des choses, n'était plus propre que cette mort prématurée à déconcerter ces mesures et à faire avorter son entreprise. Mais c'est de là même qu'il en fait dépendre tout le succès: L'heure est venue que le Fils de l'homme doit être glorifié. En vérité, en vérité, je vous le dis si le grain de froment, en tombant dans la terre, ne meurt pas, il demeure stérile; mais après qu'il est mort, il porte beaucoup de fruits..... Le monde va être jugé, le principe du monde va être chassé dehors. Et quand on m'aura elevé de la terre, j'attirerai tout à moi ce qu'il disait, ajoute l'évangéliste, pour marquer de quelle mort il devait mourir.

[ocr errors]

<< Pendant tout le cours de sa prédication, Jésus avait déclaré qu'il était envoyé vers les juifs et non vers les gentils, et cependant il prédit tantôt sous des paraboles dont le sens n'était pas équivoque, tantôt de la manière la plus expresse, que les étrangers viendraient de l'Orient et de l'Occident, du septentrion et du midi, s'asseoir avec Abraham, Isaac, Jacob, et tous les prophètes, tandis que les enfants, c'est-à-dire les juifs, seraient exclus du royaume qui leur avait été préparé.

L'univers est témoin de l'accomplissement littéral de cette prédiction si peu vraisemblable. Mais combien d'ailleurs elle paraît inconséquente dans la bouche de Jésus-Christ! Si les Juifs ne devaient pas croire en lui, eux qui voyaient ses miracles, qui attendaient le Messie et qui savaient que les temps marqués pour son avénement étaient écoulés, quelle apparence qu'il trouvât plus de foi parmi des peuples à qui le Messie et les prophètes étaient également inconnus, qui n'auraient ni vu ses miracles, ni entendu ses instructions, et qui de plus n'auraient besoin, pour justifier leur incrédulité, que de l'exemple de sa propre nation!

Avant la publication de l'Evangile, on n'avait pas encore vu de religion qui se fût établie au milieu des persécutions et malgré tous les efforts de la puissance publique. A ne consulter que l'expérience du passé, et les con

lectures les plus raisonnables sur l'avenir, le fondateur du christianisme devait-il prévoir que sa doctrine, si favorable aux bonnes mœurs et à l'ordre public, serait persécutée à outrance dans les pays où l'on professait impunément l'épicuréisme et le saducéisme? Devait-il compter sur l'attachement et sur le courage de ses apôtres, jusqu'à se persuader qu'ils lui feraient tout le sacrifice de leur vie? Etait-il naturel de croire que cet enthousiasme insensé passant des apôtres à leurs auditeurs, on verrait les juifs et les païens courir en foule au baptème et au martyr? Enfin, puisque Jésus-Christ prévoyait la guerre cruelle que sa religion aurait à soutenir, ne devait-il pas autoriser, inviter même ses sectateurs à se mettre en défense, et à repousser la force par la force? Je relis ses dernières instructions aux apôtres, et j'y reconnais autant de prophéties, toutes justifiées par une foule d'événements que la sagesse humaine ne pouvait n'y prévoir, ni soupçonner, ni juger possibles.

» Voilà, dit-il, à ces hommes pusillanimes qui devaient l'abandonuer lâchement la veille de sa mort, voilà que je vous envoie comme des brebis au milieu des loups. Défiez-vous des hommes, ils vous livreront dans les assemblées, ils vous battront de verges dans leurs synagogues. Vous serez traînés à cause de moi devant les gouverneurs et les rois pour me rendre témoignage. Le frère livrera son frère, le père livrera son fils à la mort; les enfants s'élèveront contre leurs parents et les feront mourir, et vous serez hais de tous à cause de moi. L'heure approche, que celui qui vous tuera croira honorer Dieu. Lorsqu'ils vous traîneront dans les synagogues, devant les magistrats et les puissances, ne vous mettez pas en peine de ce que vous direz pour votre défense. Car à l'heure même le SaintEsprit vous enseignera ce qu'il faudra dire. Vous aurez des affections dans le monde, mais prenez confiance, j'ai vaincu le monde. J'enverrai sur vous le don de mon Père qui vous a été promis, et vous serez revêtus de la force d'en haut. Vous recevrez la vertu du Saint-Esprit, qui descendra sur vous, et vous me rendrez témoignage dans Jérusalem, dans toute la Judée et la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre. Allez donc instruire toutes les nations. Voilà que je suis avec vous jusqu'à la consommation des siècles.

« Vous le voyez, l'établissement du christianisme n'est pas l'ouvrage du hasard et de quelques circonstances heureuses. Les oppositions qu'il devait rencontrer de la part des puissances, les violentes persécutions que les apôtres allaient essuyer, leur intrépidité, leur patience héroïque dans les tourments, la sagesse de leurs discours en présence des magistrats, les succès rapides de leur prédication dans la Judée, et jusque dans les provinces les plus reculées de l'empire romain, Jésus a tout prévu, tout prédit, tout dirigé.

« Considéré en lui-même et sans rapport à ces prédictions, l'établissement du christianisme est un des phénomènes les plus singuliers que nous offre l'histoire de l'esprit humain ; et jusqu'à présent les sophistes de l'incrédulité se sont vainement tourmentés pour en chercher la cause dans la nature. Mais que deviennent leurs prétendues explications, lorsqu'on rapproche les faits des prédictions de Jésus-Christ, lorsqu'on lit dans l'Evangile l'histoire du christianisme, écrite avant la naissance du christianisme?

« Seriez-vous tenté d'élever des doutes sur l'authenticité de ces prédictions? Autant vaudrait rejeter toute l'histoire évangélique. Ces prédictions tiennent à tout; elles sont essentiellement liées avec le plan conçu et constamment suivi par le fondateur du christianisme; elles font partie de ce

qu'il a si souvent et si hautement prédit relativement à lui-même : elles sont indispensablement nécessaires pour rendre raison de la conduite des apôtres après la mort de leur Maître. On ne peut soupçonner les évangélistes de les avoir supposées après coup. La vie et les discours de Jésus étaient trop connus; il est trop absurde de prêter aux apôtres une imposture dont ils étaient eux-mêmes les premières victimes. Et puis, que servirait d'enlever à Jésus-Christ des prédictions évidemment surnaturelles, si l'on est forcé d'en faire honneur à ses disciples?

« Résumons-nous et concluons. L'intervention de la Providence se montre d'une manière sensible dans le triomphe du christianisme, qui s'étend et s'affermit malgré les obstacles de tout genre qui s'opposent à ses progrès. Mais les prédictions de Jésus-Christ portent la preuve jusqu'à la démonstration dans l'ordre moral. Car, si la prédiction circonstanciée d'un événement compliqué,quoique naturel et même vraisemblable, est au-dessus de la sagacité humaine, la prédiction formelle d'une multitude d'événements, où l'on ne retrouve aucun des principes d'après lesquels les hommes ont coutume de se déterminer, est l'effet évident de la sagesse et de la puissance divines. Si, même après que le christianisme est devenu la religion dominante chez toutes les nations éclairées, il m'est impossible de m'expliquer à moi-même comment il a pu s'y établir; puis-je balancer à reconnaître pour l'envoyé du ciel celui qui, avec des moyens si faibles, a conçu un plan si vaste, qui en a confié l'exécution à des hommes si dépourvus de tous les avantages naturels, qui, au pied de la croix, se promettait les hommages de l'univers, qui, enfin, a prédit si distinctement les circonstances les plus incroyables d'une révolution dont il n'y a pas d'exemple dans les annales du monde. »

Bullet.

Jean-Baptiste Bullet, professeur en théologie, doyen de l'université de Besançon, membre des académies de cette ville, de Lyon et de Dijon, correspondant de l'académie royale des inscriptions et belles-lettres, naquit à Besançon le 23 jnin 1799. Son goût pour les livres se manifesta de bonne heure; en faisant ses premières études au collège des jésuites, il jetait déjà les fondements de cette collection précieuse de livres et de connaissances qu'il augnenta jusqu'au dernier jour de sa vie.

L'histoire et la géographie l'attachèreut dès le premier instant; mais ayant embrassé l'état ecclésiastique, il fit de la théologie et de la discipline de l'Eglise les principaux objets de ses études. Toutefois il ne négligea pas entièrement les autres sciences; un penchant invincible le ramenait toujours vers les belles-lettres, et surtout vers l'histoire.

L'abbé Bullet avait reçu de la nature presque tous les dons propres à former l'orateur: un grand sens, un esprit juste, une imagination assez féconde, une physionomie douce, une assurance modeste, une voix persuasive, et une mémoire si heureuse qu'il disait à ses amis: De tout ce que j'ai lu je ne crois pas avoir rien oublié. Tant de dispositions, aidées du travail le plus assidu, lui firent une réputation dans le ministère et la chaire évangélique.

Nommé, en 1728, professeur de théologie, en suite d'un concours, où il parut avec éclat, il s'occupa de la connaissance des langues, persuadé qu'elle est l'entrée des sciences, particulièrement de la théologie, et il apprit, avec un courage surprenant et sans le secours de personne, non-seulement le grec dans toute sa finesse, mais encore l'hébreu, le syriaque, le

chaldaïque et 1 arabe, toutes langues nécessaires pour l'intelligence du texte primitif de l'Ecriture. Pendant plus de quarante-cinq ans que l'abbě Bullet occupa cette place, ses leçons furent régulièrement suivies par plus de deux cents auditeurs, et il composa des traités théologiques qui sont très-estimés des connaisseurs. C'est à son école que se formèrent plusieurs ecclésiastiques que l'on a vu se distinguer, comme leur maître, dans la carrière de l'érudition, se disputer les couronnes académiques, présider avec succès à l'éducation de la jeunesse, et défendre en même temps les droits sacrés de la religion. Toutes les sciences étaient de son ressort, et comme il avait une passion inconcevable pour le travail, tous ses moments étaient remplis; il étudiait même pendant ses repas, lorsqu'il les prenait seul. Cependant il était très-communicatif, et il accueillait avec bonté ceux qui venaient recourir à ses lumières..

L'abbé Bullet a beaucoup écrit, et ses ouvrages en ont fait un des apôtres du dix-huitième siècle.

On doit distinguer dans ce nombre ceux qui ont pour titre : De apostolica Ecclesiæ Gallicanæ origine, Besançon, 1752, in-12; Histoire de l'établissement du christianisme tirée des seuls auteurs juifs et païens, où l'on trouve une preuve solide de la vérité de cette religion, Lyon, 1764 in-4o, traduit en anglais par Wil Salisbury, Londres, 1782, in-8°; l'Existence de Dieu démontrée par les merveilles de la nature, Paris, 1768, 2 vol. in-12, réimprimé en 1775: Réponses critiques aux difficultés proposées par les incrédules sur divers endroits des livres saints, Paris, 1773, 3 vol. in-12.

Ceux des ouvrages de l'abbé Bullet qui n'ont pas pour objet les vérités de la religion sont Recherches historiques sur les cartes à jouer, Lyon, 1757, n-8°; Dissertation sur la mythologie française et sur plusieurs points curieux de l'histoire de France, Paris, 1771, in-12; Mémoires sur la langue celtique, contenant l'histoire de cette langue et un dictionnaire des termes qui la composent, Besançon, 1754, 1759 et 1770, 3 vol. in-fol. Cet ouvrage est le produit d'une immense érudition.

La religion et les lettres le perdirent le 6 septembre 1775, lorsqu'il était dans sa soixante-seizième année. Il laissa une bibliothèque très-nombreuse et bien choisie, dont les bénédictins de Favernay firent l'acquisition, et qui fait aujourd'hui partie de la bibliothèque départementale de la Haute-Saôné.

M. Grappin publia aussitôt après la mort de Bullet, dans le Journal ecclésiastique, une notice historique sur le savant professeur, et M. Droz prononça son éloge dans une séance solennelle de l'Académie de Besançon.

Eglise eut à regretter en lui un zélé défenseur et l'université de Besançon un de ses membres les plus distingués. Sa profonde vénération pour tout ce qui appartenait à la religion catholique, sa tendre piété et la candeur de ses mœurs le firent universellement regretter. Il fut respecté des pseudo-philosophes eux-mêmes dont plusieurs n'ont pu s'empêcher de rendre hommage à ses vertus et à ses talents.

Parmi les ouvrages de Bullet sur la religion, le plus intéressant nous paraît être l'Histoire de l'établissement du Christianisme, tirée des seuls auteurs juifs et païens. Après l'exposé de témoignages nombreux et décisifs, il en fait sentir toute la force dans le discours suivant :

«Voilà le monde idolâtre devenu chrétien. L'univers entier changer de Dieu, de culte, de lois, de maximes, de règles, d'opinions, de sentiments, d'inclinations, de mœurs, de préjugés, de coutumes et d'usages: quelle étonnante révolution! La croirait-on possible, si on ne la voyait exécutée.

3

« PreviousContinue »