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était même trop épigrammatique pour que sa conversation et ses ouvrages pussent plaire longtemps. Une grande opinion de lui-même, des saillies mordantes, une verbosité infatigable, et le titre de comte, que Rivarol prit gratuitement en se faisant à lui seul sa généalogie, lui donnèrent d'abord entrée dans les principales maisons de Paris, où il se fit des protecteurs, mais où son humeur caustique lui fit beaucoup d'ennemis et où il ne reçut pas toujours un bon accueil. La même impartialité qui nous porte à rappeler ses défauts nous oblige en même temps à rendre justice aux opinions qu'il montra dans nos désordres politiques, et qui ne peuvent que faire honneur à sa mémoire.

Lysarde de Radonvilliers, né l'an 1709, à Paris, sous-précepteur des enfants de France, se montra digne de ces fonctions par d'utiles travaux, des essais de traduction et des études grammaticales. Sa manière d'apprendre les langues suffirait pour lui donner place parmi nos grammairiens les plus distingués. En outre, on distingue dans ses œuvres divers Opuscules composés pour l'éducation de ses augustes élèves, et qui rappellent la manière et le style de Fénelon; des Fragments d'un ouvrage entrepris pour la défense de la religion; quelques Articles traduits du Spectateur d'Addisson, etc. L'abbé de Radonvilliers mourut en 1789.

Charles-François Lhomond, né l'an 1728 à Chaulmes, enseigna, pendant plus de vingt ans, les sixièmes au collège du cardinal Lemoine, sans vouloir jamais accepter des chaires plus élevées. Ses ouvrages sont connus de tout le monde et nous ne les mentionnerons ici que pour mémoire. Ce sont le De viris illustribus urbis Romæ, des Eléments de Grammaire latine et de Grammaire française, l'Epitome historia sacræ, la Doctrine chrétienne, l'Histoire abrégée de l'Eglise, et l'Histoire abrégée de la religion. Ce vénérable instituteur mourut en 1794.

Luneau de Boisjermain (1732-1801), savant instituteur, mais littérateur médiocre, dut un instant de réputation à son Commentaire sur les œuvres de Racine. On lui doit, en outre, divers ouvrages d'éducation, tels que les Vrais principes de la lecture, un Discours sur une nouvelle manière d'enseigner et d'apprendre la géographie, un Cours d'Histoire universelle, un Cours de langue latine et de langue italienne, et diverses Traductions interlinéaires pour l'étude de ces deux langues, faites d'après le plan de Dumarsais. Tout cela est maintenant oublié.

CRITIQUES

Gibert.-Trublet. -Arnaud.- Rigoley de Juvigny.-Royou. - Sabatier.

Baltazar Gibert naquit à Aix en 1662. Après avoir professé pendant quatre ans la philosophie à Beauvais, il obtint une des chaires de rhétorique du collége Mazarin, et la remplit pendant cinquante ans avec autant de zèle que d'exactitude. L'université de Paris, qu'il honorait par ses talents et dont il défendait dans toutes les occasions les droits avec beaucoup de chaleur, lui déféra plusieurs fois le rectorat. En 1728, le ministère lui fit offrir une chaire d'éloquence au collège royal, vacante par la mort de l'abbé Couture; mais il crut devoir la refuser. En 1740, ses démarches contre la constitution Uni

genitus le firent exiler à Auxerre. Il mourut à Régennes, dans la maison de l'évêque,en 1741,âgé de soixante-dix neuf ans. On a de lui plusieurs ouvrages, parmi lesquels on distingue : 1o La Rhétorique, ou les règles de l'éloquence, in-12; ouvrage excessivement loué par les journalistes. Un littérateur instruit qui lira cet ouvrage n'y trouvera cependant tout au plus qu'une compilation de la Rhétorique d'Aristote, de celle d'Hermogène, du livre de I'Orateur de Cicéron et des Institutions oratoires de Quintilien. Il est vrai qu'il y règne beaucoup de méthode, qu'il y a de l'érudition, beaucoup de citations; mais les ouvrages didactiques, surtout de cette espèce, exigent encore du goût, de la critique, des vues bien présentées, et principalement une élocution soignée, propre à animer les préceptes que l'auteur veut faire goûter. C'est précisément la partie faible de cette Rhétorique. Le style en est tantôt diffus, tantôt embrouillé, et toujours sans caractère. 2o Jugements des savants sur les auteurs qui ont traité de la rhétorique, 3 vol. in-12. C'est un recueil de ce qui s'est dit de plus curieux et de plus intéressant sur l'éloquence, depuis Aristote jusqu'à nos jours. Cet ouvrage, fort supérieur aux Jugements de Baillet et pour le fond et pour la forme, a eu pourtant moins de cours. 3o Des Observations assez justes sur le Traité des études de Rollin. C'est un vol. in-12 de près de 500 pages, écrits avec autant de vivacité que de politesse. Rollin y répondit en peu de mots; Gilbert répliqua; mais cette petite guerre ne rompit pas les liens qui unissaient les deux célèbres antagonistes et les attachaient l'un et l'autre à la cause du diacre Pâris.

Nicolas-Charles-Joseph Trublet, trésorier de l'église de Nantes, et ensuite archidiacre et chanoine de Saint-Malo, sa patrie, né en 1697, fut attaché pendant quelque temps au cardinal de Tencin et fit le voyage de Rome. Mais préférant la liberté aux avantages que la protection du cardinal lui faisait espérer, il retourna à Paris où il vécut jusque vers l'an 1767. Accablé de vapeurs, il se retira à Saint-Malo pour y jouir de la santé et du repos: mais il mourut quelque temps après, au mois de mars 1770. Une conduite irréprochable, des principes vertueux, des mœurs douces lui avaient assuré les suffrages de tous les honnêtes gens. Sa conversation était instructive; quoiqu'il pensât finement, il s'exprimait avec simplicité. Ses principaux ouvrages sont: Essais de littérature et de morale, en 4 vol. in-12, plusieurs fois réimprimés et traduits en plusieurs langues. Quelles que critiques qu'on ait faites de cet ouvrage, on ne peut s'empêcher d'y reconnaître l'esprit d'analyse, la sagacité, la précision qui caractérisent tous les écrits de l'abbé Trublet. Plusieurs de ses réflexions sont neuves et toutes inspirent la probité et l'amour du bien. 2o Panégyriques des saints, languissamment écrits; précédés de Réflexions sur l'éloquence, pleines de choses bien vues et bien rendues. Dans la seconde édition de 1764, en deux volumes, l'auteur a ajouté divers extraits de livres d'éloquence. Ces analyses avaient été faites pour le Journal des savants et pour le Journal chrétien, auquel il avait travaillé pendant quelque temps. La manière dont il s'exprima sur Voltaire dans ce dernier ouvrage lui attira, surtout dans la pièce intitulée le Pauvre Diable, des épigrammes très-mordantes de la part de ce poëte, qui lui avait écrit auparavant des lettres très-flatteuses. 3° Mémoire pour servir à l'histoire de messieurs de la Motte et de Fontenelle, Amsterdam, 1761, in-12. Ces Mémoires sont souvent minutieux et quelquefois romanesques. Celui qui regarde Fontenelle n'est qu'un panégyrique.

François Arnaud naquit à Aubignan le 17 juillet 1721. Il embrassa de bonne heure la carrière ecclésiastique; mais son goût le portant vers les lettres, il négligea la science de son état pour se livrer tout entier à la littéra

ture. Il vint à Paris en 1752, et, dix ans après, ses talents lui ouvrirent l'entrée de l'Académie des inscriptions et belles lettres. Tant que le prince de Wirtemberg demeura attaché au service de la France, Arnaud demeura auprès de lui. L'avocat Gerbier, son ami, ayant plaidé, en 1765, une cause pour le clergé de France contre l'ordre des bénédictins, il la gagna, et demanda, en reconnaissance de ses travaux, l'abbaye de GrandChamp pour l'abbé Arnaud. Celui-ci prit possession de son bénéfice et retourna à Paris. Il fut reçu à l'Académie française en 1771, obtint quelque temps après le titre de lecteur et historiographe de Monsieur, et mourut à Paris en 1784. Il avait débuté dans la carrière des lettres par un ouvrage intitulé Lettres sur la musique au comte de Caylus. Cette brochure fut prônée avec enthousiasme, et attira à l'auteur des éloges qui auraient pu être mieux mérités. Le goût de l'abbé Arnaud pour la musique lui fit prendre part dans les querelles qui s'élevèrent, en 1777, entre les admirateurs de Piccini et de Gluck. Il travailla avec Suard, son ami, au Journal étranger, depuis janvier 1760 jusqu'en mars 1762; à la Gazette de France, à la Gazette de l'Europe, aux Variétés littéraires, ou Recueil des pièces, tant originales que traduites, concernant la philosophie, la littérature et les arts (1764-1769, 4 vol. in-12); ouvrage reproduit, à quelques articles près, par Suard sous le titre de Mélanges de littérature, 1803-1804, 5 vol in-8°. On a encore de lui; le 1er vol. de la Description des principales pierres du cabinet du duc d'Orléans, 1780, 2 vol. in fol.; le deuxième porte le nom des abbés de la Chau et Le Blond; plusieurs Dissertations dans les Mémoires de l'Académie des inscriptions et belles-lettres: des Opuscules, la plupart traduits de l'italien, et dont il semble se faire honneur, publiés par M. Léonard Boudon avec le titre assez fastueux d'OEuvres complètes de l'abbé Arnaud, 1893, 3 vol. in-8°. Arnaud avait une très-grande facilité qui, jointe à un naturel paresseux, l'empêcha de rien travailler et de rien approfondir. Il aurait beaucoup ajouté à sa réputation, s'il eût consacré à l'étude tout le temps qu'il passait dans les sociétés de Paris, où il était vu avec plaisir et dont il faisait les charmes et l'ornement.

Jean-Antoine Rigoley de Juvigny était conseiller honoraire au parlement de Metz. Citoyen paisible et vertueux, savant appliqué et retiré, honnête homme, ami sûr et constant, défenseur des vrais principes en matière de littérature et de philosophie, il n'a cessé de travailler à des ouvrages utiles et agréables. Outre la nouvelle édition des Bibliothèques françaises de La Croix du Maine et de du Verdier, enrichie de remarques érudites et impor tantes, il a donné: 1° une édition des Œuvres de Piron à laquelle on he peut reprocher que d'être trop complète; car il eût été à souhaiter que, constant dans ses principes, l'éditeur eût fait un choix qui, pour être satisfaisant au jugement des vrais sages, supposait un certain degré de sévérité. 2o Plusieurs Mémoires et Discours sur diverses matières, parmi lesquels on distingue un Discours sur les progrès des lettres en France, 1 vol. in-12, et à la tête de la Bibliothèque de du Maine; et une plaisanterie ingénieuse sous le titre de Mémoire pour l'âme de Jacques Frèron de Vanvres, 1750, in-12, plusieurs fois réimprimé: les philosophes n'y sont pas ménagé. 3° De la décadence des lettres et des mœurs. 1787. 1 vol. in-8° et in-12. C'est surtout dans ce dernier ouvrage que l'auteur a pein son esprit et son cœur. Son zèle contre les erreurs du temps, contre la corruption du goût et l'oubli des vérités les plus essentielles, enflamme son éloquence, et produit des tableaux pleins de vigueur, qui frappent et ins

truisent par une éloquence mâle, noble, pleine de dignité et de force. On a aussi de Rigoley de Juvigny quelques pièces de poésies fugitives. Il mourut le 23 février 1788.

Lemaire lui a fait cette épitaphe :

De principes sacrés nourri dès son enfance,
Juvigny défendit et l'Eglise et les mœurs:
Du bon goût il peignit la triste décadence ;
Et de ses ennemis méprisant les clameurs,
Son zèle l'enflamma du plus noble courage.

Vous, mortels vertueux, quand votre ami n'est plus,
A ces mânes vos pleurs seraient un faible hommage:
Cette tombe est l'autel dressé pour ses vertus,

Où doit brûler toujours le pur encens du sage.

Thomas-Marie Royou, chapelain de l'ordre de Saint-Lazare, né à Quimper, vers 1741, professa pèndant plus de vingt ans la philosophie au college de Louis-le-Grand. Après la mort de Fréron, il fournit plusieurs articles à l'Année littéraire, et, en 1778, il dirigea le Journal de Monsieur, qu'on parvint à faire supprimer en 1783. Dès l'origine de la révolution, il se montra l'adversaire des changements et des innovations, et commença en 1790, le journal l'Ami du Roi. Un décret du corps législatif, du 3 mai 1792, supprima le journal, et ordonna que les auteurs seraient traduits à la haute cour d'Orléans. L'abbé Royou, atteint d'une maladie mortelle, se cacha chez un de ses amis, où il mourut le 21 juin de la même année. Outre ces journaux auxquels il a travaillé, nous connaissons de l'abbé Royou: 1o Le monde de verre réduit en poudre, 1780, in-12. C'est une critique ingénieuse de l'hypothèse de Buffon. 2o Mémoire de Mme de Valory, 1783. Cette dame plaidait contre l'avocat Courtin, et n'avait trouvé aucun défenseur contre un adversaire si renommé. L'abbé Royou la défendit avec chaleur. 4° Etrennes aux beaux esprits, 1785, in-12.

L'abbé Antoine Sabatier de Castres, littérateur et critique qui a joui de quelque réputation, naquit à Castres, en 1742. Nous avons peu de renseignements sur la vie de cet écrivain, qui occupa quelque temps le public, et se fit tant d'ennemis par ses attaques violentes contre la philosophie moderne. L'abbé Sabatier, dont les occupations littéraires n'ont pas été toujours en rapport avec la qualité d'ecclésiastique qu'il prenait, n'entra point dans les ordres sacrés; il paraît, d'après la notice que lui a consacrée le Journal de la librairie, qu'il n'était que clerc tonsuré. Il se retira pendantla révolution dans les pays étrangers, habita longtemps Hambourg, où il publia quelques écrits, et ne rentra en France qu'au retour du roi. Son dévoument à la cause royale lui obtint une pension de 1200 liv., qu'il trouva modique et peu proportionnée à la grandeur des services qu'il avait rendus. Sabatier de Castres est mort à Paris, le 15 juin 1811, chez les sœurs de la Charité de la paroisse Saint-Etienne, dans un état voisin de la misère, et dans un oubli auquel ne devait pas s'attendre un auteur qui avait quelque temps occupé la renommée. Le journal déjà cité a donné une notice très-étendue et très-intéressante de ses écrits, qui comprennent 31 articles. Nous allons en citer quelques-uns: 1o Trois siècles de la littérature française, on Tableau de l'esprit de nos écrivains depuis François Ier jusqu'en 1772. La dernière édition porte jusqu'en 1801, quoiqu'il y ait très-peu d'articles nouveaux, 3 vol. in-8o et 4 vol. in-12, der

nière édition. Nous ne nous arrêterons pas à faire connaître un ouvrage si connu, qui eut d'abord de grands succès, et qui en fut digne sous certains rapports. Sabatier n'y ménage pas les coryphées du parti philosophique, et les juge avec sévérité. Il les attaque continuellement et manie quelque fois avec avantage l'arme du ridicule; mais son ton est trop déclamatoire, sons tyle recherché, plein d'afféterie, semé d'antithèses qui fatiguent dans la lecture de ce livre, où il n'y a ni assez de précision ni assez d'impartialité. Quand l'abbé Sabatier fit paraître les Trois siècles littéraires, on publia qu'ils n'étaient pas de lui, mais d'un abbé Martin, vicaire de SaintAndré-des-Arts; quelques bibliographes persévèrent dans ce sentiment, quoique les suppléments donnés dans les dernières éditions soient conformes, sous tous les rapports, au ton général de l'ouvrage. 2o Les Eaux de Bagnères, comédie en prose, 1793, in-8°; 3° Lettres d'une dame en province à une dame de la cour, 1763; 4° L'école des pères et des mères, ou les trois infortunés, 1767, et 1769, in-12; 5o les Quarts d'heure d'un joyeux solitaire ou contes de M***; 6o La Ratomanie ou le songe moral et critique d'un jeune philosophe, 1767, in-8o; 7o Betzi ou les bizarreries du destin, 1769 et 1788 2 vol in-12; 8° Dictionnaire des passions, des vertus et des vices, ou Recueil des meilleurs morceaux de morale pratique, 1769, 2 vol. in-12; 9o Dictionnaire de littérature, dans lequel on traite de tout ce qui a rapport à l'éloquence, à la poésie et aux belles-lettres, 1770, 3 vol. in-8°; 10o Abrégé historique de la vie de Marie-Thérèse, impératrice, reine de Hongrie, et de Charles Emmanuel III, roi de Sardaigne, 1773, in-8°, 11° Derniers Sentiments des plus illustres personnages condamnés à mort, 1775, 2 vol. in-12; 12o les Siècles païens, 9 vol. in-12; 13° des Lettres dans les journaux sur différents sujets. On lui attribua encore Le Tocsin des politiques sur la révolution française; Pensées et observations morales et politiques.

APOLOGISTES.

François. Richard.

Pluquet.

Bergier.

- Gérard. Barruel. Guénée. Duvoisin. - Bullet. La Luzerne.

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La religion, attaquée par tant d'hommes, au xviie siècle, eut ses défenseurs, moins nombreux, hélas! et surtout moins écoutés que ses adversaires. Leurs ouvrages, en général, ne sont remarquables ni par l'élévation des pensées, ni par la perfection du style; mais ils se distinguent par une grande érudition, par la solidité des preuves, par la force des raisonnements et par le zèle à ne laisser aucune objection sans réponse. L'apologie du Christianisme n'eût pas pour elle l'éloquence, la Providence ne le permit pas; mais elle fut complète et péremptoire. Les écrivains courageux qui se vouèrent à une si noble tâche ne peuvent être considérés comme des orateurs, il est vrai; cependant ils ne sont pas sans un certain mérite littéraire qui justifie la place que nous allons leur donner.

Le François.

Laurent Le François, né à Arinthod, dans le diocèse de Besançon, le 2 novembre 1698, passa quelque temps dans la congrégation de la Mission et s'y distingua par ses talents, qu'il continua d'employer utilement contre

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