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Il eut, pendant son rectorat, le malheur de perdre sa mère; et, en fils pieux, il paya un tribut à la mémoire de cette personne respectable et chérie, dans le discours qu'il prononça pour la clôture de la première année de ses fonctions de recteur.

Depuis qu'il avait quitté les travaux pénibles du professorat, jouissant de quelques loisirs, il s'était remis à lire avec délices les auteurs les plus célèbres des deux langues grecque et latine; il fit une étude particulière des historiens grecs, d'Hérodote, de Thucydide, de Xénophon, de Plutarque, etc. il eut Pavantage et la gloire de remettre l'étude de la langue grecque en honneur dans l'Université, où elle était un peu négligée avant lui; il recommanda anssi d'appliquer les élèves, plus qu'on ne le faisait, à l'étude de la langue française; il voulait qu'on commençàt d'abord par enseigner aux enfants les règles de la langue maternelle, et qu'on leur donnât, en français, les premières notions de grammaire générale ; qu'on leur apprît à distinguer ce que c'est que substantif, adjectif, verbe, etc. Ces principes seraient plus clairs pour eux, et leur paraîtraient moins rebutants dans leur langue usuelle et natale; et ces notions acquises s'appliqueraient ensuite sans peine au latin et au grec, dont elles leur faciliteraient l'étude et l'intelligence.

Il donna, étant recteur, un mandement au sujet des représentations théâtrales qui avaient lieu à la fin de l'année dans les colléges, et qui accompagnaient les distributions de prix; les jésuites avaient obtenu des succès brillants dans ce genre; les PP. Porée, du Cerceau, etc., et autres, avaient composé des pièces dont la renommée s'était répandue dans le monde; l'Université avait voulu les imiter, mais elle avait moins bien réussi qu'eux; le professeur de rhétorique était obligé, qu'il en cût ou non le talent, de composer chaque année une tragédie ou une comédie; c'était du temps pris sur celui qu'il devait à l'in-truction de ses élèves; Rollin lui-même regrettait d'en avoir perdu à ce genre de composition dont il s'était trouvé incapable; n'osant pas cependant supprimer tout d'un coup un usage ancien, il recommanda au moins de ne jouer que des tragédies et des tragédies sans amour; il conseilla d'en puiser les sujets dans l'Ecriture sainte : « Ce qui se peut faire, dit-il, avec Lonheur et avec gloire, comme un illustre exemple nous l'a récemment prouvé. On voit bien quel est cet exemple qu'il propose, et qu'il s'agit de Racine lui-même. Esther et Athalie avaient paru en 1688 et 1690.

Mais il contribua, autant qu'il fut en lui, à faire substituer aux représentations de pièces de théâtre, des exercices publics sur des auteurs grecs et latins, c'est-à-dire que des jeunes gens répondaient en public sur ces auteurs, en donnaient des explications, y ajoutaient des réflexions morales et littéraires, s'accoutumaient ainsi à paraître et à parler devant un auditoire nombreux, et montraient qu'ils avaient profité de leurs études. Rollin introduisit aussi l'usage, toujours observé depuis, de faire apprendre par cœur une partie de l'Ecriture sainte aux écoliers. L'abbé Vittement, coadjuteur de la principalité du collége de Beauvais, ayant été appelé à la cour, fit donner cette place à Rollin, qui gouverna ce collége jusqu'en 1712. Ce fut dans cette année qu'il se retira, pour se consacrer à la composition des ouvrages qui ont illustré sa mémoire. L'Université le choisit une seconde fois pour recteur en 1720. L'Académie des belles-lettres le possédait depuis 1701. Ces deux compagnies le perdirent en 1741, à 80 ans. (*)

OUVRAGES DE ROLLIN

L'antiquité et le Christianisme, ces ressorts de l'éducation publique en France, sont les éléments qui paraissent se combiner dans Rollin. Il est également imbu de ces deux sources, qui ont entre elles des affinités merveilleuses, et qui formeront toujours la perfection de l'éducation. L'antiquité et le Christianisme sont les deux âges primitifs de l'humanité. L'antiquité c est 1 homme dans la plénitude et la simplicité de son développement humain; le Christianiseme, c'est la plénitude et la simplicité de l'homme divinisé. Il y a des rapports entre ces termes, que sans doute un abîme sépare : l'antiquité achève, au sens esthétique, un développement, dont la base, toute morale, est élargie et corrigée par le Christianisme. Le développement humain ne sera complet que par ces deux moyens culture de l'âme par le Christianisme, culture de l'esprit et da goût par l'étude de l'antiquité. Rollin est antique des deux manières, car le Christianisme aussi est une antiquité.

() Le grave Ro'lin avait eu le malheur de se laisser gagner par les jansénistes. Séduit sans doute par des dehors apparents, il poussait son attachement à la secte jusqu'au fanatisme. Il fut l'un des plus zėlės partisans du diacre Pâris; I ne rongissait pas de faire en son honneur un personnage parmi les visionnaires de Saint-Médard. Il se glorifie lui-même dans ses lettres de cette dévotion étrange. Il laissa par son testament trois mille florins à la caisse destinée aux entreprises et à la dépense du parti.

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Les ouvrages de Rollin sont volumineux, mais peu nombreux. Ce sont, outre une édition de Quintilien et deux volumes d'Opuscules (*), le Traité des Études, ou de la manière d'enseigner et d'étudier les belles-lettres pour former l'esprit et le cœur, l'Histoire ancienne et l'Histoire romaine qui fut l'ouvrage de ses dernières années.

Dans le Traité des Etudes, après une introduction sur les études de la première enfance et sur l'éducation des filles, Rollin traite de six objets : des langues, c'est-à-dire des langues française, grecque et latine; de la poésie; de l'éloquence; de l'histoire; de la philosophie, titre où il fait rentrer tout ce qui n'appartient ni à la philologie, ni à l'histoire; du gouvernement des colléges.

Ce qui mérite, avant tout, d'être loué dans cet ouvrage, c'est l'excellence morale : tout y est rapporté, subordonné à l'éducation du cœur, mais subordonné et non sacrifié. Ensuite, la droiture du jugement, et ceci emporte quelque chose : tout esprit droit est un esprit indépendant; la candeur produit l'originalité de la pensée. Rollin, qu'on prend volontiers pour l'élève docile de la tradition, a dit plus de choses nouvelles qu'on ne le pense, et il en est qui le sont encore. Il est le premier qui ait fait ressortir l'importance de l'étude de l'histoire dans l'éducation, et surtout de l'histoire nationale; le premier qui ait recommandé pour l'enseignement de la langue maternelle une méthode et des exercices. Qu'on étudie, par exemple, l'analyse qu'il fait du récit de l'élection d'Ambroise à l'évêché de Milan, tiré de l'Histoire de Théodose, par Fiéchier. En voici la conclusion:

« Après ces observations grammaticales, on fera une seconde lecture du même récit, et à chaque période on demandera aux jeunes gens ce qu'ils trouvent de remarquable, soit pour l'expression, soit pour les pensées, soit pour la conduite des mœurs. Cette sorte d'interrogation les rend plus attentifs, les oblige à faire usage de leur esprit, donne lieu de leur former le goût et le jugement, les intéresse plus vivement à l'intelligence de l'auteur par la secrète complaisance qu'ils ont d'en découvrir par eux-mêmes toutes les beautés, et les met peu à peu en état de se passer du secours du maître, qui est le but

(*) Des Lettres, des Harangues latines, Discours, Vers latins, etc. La latinité de Rollin est aussi pure qu'élégante, et son style est à la fois noble et ingénieux. Ses poésies latines méritent le même éloge.

où doit tendre la peine qu'il se donne de les instruire. » Et ailleurs :

a Il y a une manière d'interroger qui contribue beaucoup à faire paraître le répondant, et d'où l'on peut dire que dépend tout le succès d'un exercice. Il ne s'agit pas pour lors d'instruire l'écolier, encore moins de l'embarrasser par des questions recherchées et difficiles, mais de lui donner lieu de produire au dehors ce qu'il sait. Il faut sonder son esprit et ses forces; ne lui rien proposer qui soit au delà de sa portée, et à quoi l'on ne doive raisonnablement présumer qu'il pourra répondre; choisir les beaux endroits d'un auteur, sur lesquels on peut être sûr qu'il est mieux préparé que sur tous les autres; quand il fait un récit, ne l'interrompre point mal à propos, mais le lui laisser continuer de suite jusqu'à ce qu'il soit achevé; proposer alors ses difficultés avec tant de netteté et tant d'art, que l'écolier, s'il a un peu d'esprit, y découvre la solution qu'il en doit donner; avoir pour règle de parler peu, mais de faire parler beaucoup le répondant; enfin, songer uniquement à le faire paraître en s'oubliant soi-même, par où l'on ne manque jamais de plaire à l'auditoire et de s'attirer son estime.

« Un jeune homme répond sur l'Evangile grec selon saint. Luc. Après que, pour faire ses preuves, il a expliqué, comme je l'ai dit, quelques lignes de côté et d autre à l'ouverture du livre, il s'arrête aux histoires les plus remarquables, par exemple à celle de Lazare et du mauvais riche. Il en fait le récit, en y mêlant les passages latins et même grecs de l'Evangile qui ren ferment quelque belle maxime. On demande à l'écolier lequel il aurait mieux aimé être, ou du riche ou de Lazare : il n'hésite pas sur le choix. On lui en demande ensuite les raisons; l'endroit même qu'il explique les lui fournit. Par là on le met sur les voies, et on lui donne lieu de tirer de son propre fonds, ou du moins du livre qu'il a entre les mains, des réflexions très-solides sur les principales circonstances de cette histoire. A cette occasion, on lui fait rapporter tout ce qui est dit dans le même Evangile sur la pauvreté et sur les richesses. Il est aisé de comprendre combien, sous le prétexte d'enseigner la langue grecque à un jeune homme, on lui peut mettre d'excellents principes dans l'esprit. >>

Rollin a un sentiment exquis du beau et du bon; il le communique, non par des préceptes et des déductions, mais parce

qu'il sait faire aimer et goûter les choses dont il parle. Rien de raffiné, rien de subtil, rien de systématique; il aime le bien dans tous les genres, il aime la nature, il aime l'antiquité; partout il épan I la bonne odeur de son excellente littérature. On profite de lui parce qu'on vit en lui. Il est des livres plus méthodiques, plus savants que son Traité des Études; il n'en est aucun, dans ce genre, capable de faire un plus grand bien. C'est un livre que chacun devrait lire et que personne ne lit. La forme du Traité des Etudes est singulièrement aisée et gracieuse. L'auteur ne craint pas de s'épancher, il répand son cœur tout plein de sentiments chrétiens et de grâces classiques. C'est par là que ce livre acquiert quelque chose de pénétrant. Il est écrit avec tant de tendresse, on sent si bien qu'il ne s'étend que par amour de la jeunesse, qu'on ne peut s'empêcher de l'aimer. Il ne redoute pas les digressions, il mêle les récits aux préceptes avec une bonhomie charmante. Voyez, entre autres, la description de l'amitié de Basile et de Grégoire:

a Ils étaient tous deux sortis de familles fort nobles selon le monde, et encore plus selon Dieu. Ils naquirent presque en même temps; et leur naissance fut le fruit des prières et de la piété de leurs mères, qui dès ce moment même les offrirent à Dieu, dont elles les avaient reçus. Celle de saint Gregoire, le lui présentant dans l'église, sanctifia ses mains par les livres sacrés qu'elle lui fit toucher.

«Ils avaient l'un et l'autre tout ce qui rend les enfants aimab'es, beauté de corps, agrément dans l'esprit, douceur et politesse dans les manières.

« Le naturel heureux que Dieu leur avait accordé fut cù tivé avec tout le soin possible. Après les études domestiques, on les envoya séparément dans les viles de la Grèce qui avaient le plus de réputation pour les sciences, et ils y prirent les leçons des plus excellents maîtres.

« Enfin ils se rejoignirent à Athènes. On sait que cette ville était comme le théâtre et le centre des belles-lettres et de toute erudition. Elle fut aussi comme le berceau de l'amitié fameuse de nos deux saints; ou du moins elle servit beaucoup à en serrer les nœuds d'une manière étroite. Une aventure assez extraordinaire y donna occasion. Il y avait à Athènes une coutume fort bizarre par rapport aux écoliers nouveaux venus qui s y rendaient de différentes provinces. On commençait par les introduire dans une assemblée nombreuse de

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