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Et encore:

« M. Bayle, après avoir insulté toutes les religions, flétrit la religion chrétienne: il ose avancer que de véritables chrétiens ne formeraient pas un état qui pût subsister, Pourquoi non? Ce seraient des citoyens infiniment éclairés sur leurs devoirs, et qui auraient un très-grand zèle pour les remplir; ils sentiraient très-bien les droits de la défense naturelle; plus ils croiraient devoir à la religion, plus ils penseraient devoir à la patrie. Les principes du Christianisme, bien gravés dans le cœur, seraient infiniment plus forts que ce faux honneur des monarchies, ces vertus humaines des républiques, et cette crainte servile des États despotiques. »

Voici ce que dit Montesquieu au sujet des crimes inexpiables :

« Il paraît, par un passage des livres des pontifes, rapporté par Cicéron, qu'il y avait, chez les Romains, des crimes inexpiables. La religion païenne, qui ne défendait que quelques crimes grossiers, qui arrêtait la main et abandonnait le cœur, pouvait avoir des crimes inexpiables; mais une religion qui enveloppe toutes les passions, qui n'est pas plus jalouse des actions que des désirs et des pensées, qui ne nous tient point attachés par quelques chaînes, mais par un nombre innombrable de fils, qui laisse derrière elle la justice humaine et commence une autre justice, qui est faite pour mener sans cesse du repentir à l'amour et de l'amour au repentir; qui met entre le juge et le criminel un grand médiateur, entre le juste et le médiateur un grand juge; une telle religion ne doit point avoir de crimes inexpiables. Mais, quoiqu'elle donne des craintes et des espérances à tous, elle fait assez sentir que, s'il n'y a point de crime qui, par sa nature, soit inexpiable, toute une vie peut l'être; qu'il serait dangereux de tourmenter sans cesse la miséricorde par de nouveaux crimes et de nouvelles expiations; qu'inquiets sur les anciennes dettes, jamais quittes envers le Seigneur, nous devons craindre d'en contracter de nouvelles, de combler la mesure, d'aller jusqu'au terme où la bonté paternelle finit. » (M. Vinet, Hist. de la litt. française au XVIIIe siècle.) Ces divers passages justifient ce que dit M. de Chateaubriand en parlant de Montesquieu:

« Si Montesquieu, dans un ouvrage de sa jeunesse, laissa

tomber sur la religion quelques-uns des traits qu'il dirigeait contre nos mœurs, ce ne fut qu'une erreur passagère, une espèce de tribut payé à la corruption de la régence. Mais dans le livre qui a placé Montesquieu au rang des hommes illustres, il a magnifiquement réparé ses torts, en faisant l'éloge du culte qu'il avait eu l'imprudence d'attaquer. La maturité de ses années et l'intérêt même de sa gloire lui firent comprendre que, pour élever un monument durable, il fallait en creuser les fondements dans un sol moins mouvant que la poussière de ce monde; son génie, qui embrassait tous les temps, s'est appuyé sur la seule religion à qui tous les temps sont promis.» (Génie du Christianisme.)

LE TEMPLE DE GNIDE.

On s'étonne de voir le Temple de Gnide sortir de la même plume que l'Esprit des lois. Ce petit ouvrage offre une peinture voluptueuse, trop fine et trop recherchée, de la naïveté de l'amour, tel qu'il est dans une âme neuve. Nous devons compter pour rien, sous le rapport de l'art, cette bagatelle ingénieuse et délicate, mais d'autant plus froide qu'elle est plus travaillée, et qu'elle annonce la prétention d'être poëte en prose, sans avoir rien du feu de la poésie. L'esprit y est prodigué, la grâce étudiée. L'auteur est hors de son genre, qui est la pensée, et il y rentre sans cesse malgré lui et au préjudice du sentiment. Sa force déplacée le trahit: c'est un aigle qui voltige dans les bocages; on sent qu'il y est gêné, et qu'il resserre avec peine un vol fait pour les hauteurs des montagnes et l'immensité des cieux.

ESSAI SUR LE GOUT.

L'Essai sur le goût ne se compose que de quelques pages qui se lisent encore aujourd'hui avec intérêt, et qui renferment des pensées très-ingénieuses. Malheureusement l'Essai sur le goût est demeuré incomplet.

STYLE DE MONTESQUIEU.

Nous avons déjà parlé du style de Montesquieu. Ajoutons, en résumé, qu'il laisse à désirer sous le rapport de la douceur, de l'harmonie, de la fluidité, de l'élégance, de la correction

même. Les grands prosateurs du dix-septième siècle avaient été simples; Montesquieu ne l'est pas. Il est même recherché; mais il l'est à sa manière, comme un génie qui joue avec sa force. Il brusque l'idiome français, il le dompte et lui fait tout à coup rompre ses habitudes. Il laisse à peine échapper toute sa pensée, comme s'il craignait de s'avilir en se prodi-guant. Il est serré, concis, découpé, épigrammatique ; il s'avance dans son sujet par vives et impétueuses saillies. C'est par le tissu que pèche le style de Montesquieu, et c'est précisément le tissu qui fait la perfection du style au dix-septième siècle. Sons ce rapport, le dix-huitième avait conscience de son défaut, et quelquefois il a su y échapper.

Chez Montesquieu, le caractère de l'expression est celui d'une force qui se condense ou se concentre. Toute sa poétique ou sa rhétorique se résume pour nous dans son admiration pour Florus, et dans ce passage de son Essai sur le goût : « Ce qui fait ordinairement une grande pensée, c'est lorsqu'on dit une chose qui en fait voir un grand nombre d'autres, et qu'on nous fait découvrir tout d'un coup ce que nous ne pouvions espérer qu'après une grande lecture.»

Montesquieu est brillant, mais non efféminé; ce qui brille sur sa personne, c'est le poli d'une armure d'acier, non la broderie d'or de la pourpre asiatique.

Bossuet et Montesquieu sont les deux plus sublimes de nos prosateurs. Sûrement le style de Bossuet est bien plus pur et plus classique que celui de Montesquieu; mais ce sont les mêmes élans de pensée, c'est la même portée et la même rapidité de regard. (M. Vinet, Histoire de la littérature française au XVIIIe siècle.)

HISTOIRES, MÉMOIRES.

Hénault. Rollin Détails sur sa vie. Ses ouvrages.
Mlle de Launay (Mme de Stael).

Saint-Simon.

L'histoire, ce premier chant national et ce dernier travail littéraire des peuples, dit M. Villemain, eut au XVIIIe siècle son école, amie du passé, et liée par système à l'ancienne monarchie. Cette école eut même assez de crédit, grâce à l'influence d'un homme d'esprit, le président Hénault, « fameux par ses soupers et sa chronologie, » disait Voltaire

Charles-Jean François Hénault, membre de l'Académie française, de celle des inscriptions et belles-lettres, président aux enquêtes du parlement et surintendant des finances de la maison de la reine, naquit à Paris le 8 février 1685, et mourut dans cette ville en 1770.

Il débuta dans la carrière littéraire par un poëme intitulé l'Homme inutile, qui lui valut le prix de l'Académie française en 1707, et publia ensuite François 11,tragédie historique en prose; le Réveil d'Epiménide, comédie, et d'autres pièces qui obtinrent quelques succès; mais son plus beau titre de gloire est sans contredit son Abrégé chronologique de l'histoire de France, qui parut en 1768, « Resserrer dans l'espace d'un ou de deux volumes les sommaires de notre histoire, puisés dans les monuments originaux, dit M. Walckenaër, présenter en quelques mots les résultats de longues recherches et de discussions approfondies sur des points importants du droit public; éclairer, souvent par une seule phrase, des doutes historiques qui ont demandé un long examen; surprendre agréablement son lecteur par des réflexions courtes et justes, qui le forcent à s'arrêter et à réfléchir; faire ressortir, par un trait rapide ou par une remarque ingénieuse, les mœurs particulières de chaque siècle, et les caractères des principaux personnages; offrir, des plus

illustres d'entre eux, des portraits quelquefois dessinés avec vigueur, et toujours avec élégance et précision; choisir avec un jugement exquis, parmi cette multitude de faits dont se compose l'histoire, les plus importants à connaître et à retenir; les ranger dans un ordre chronologique; disposer avec clarté, en tableaux synchroniques, les noms et les dates, de manière à les rendre plus faciles à consulter et à rappeler; tels sont les divers genres de mérite de cet abrégé. Ils suffisent sans doute pour en justifier le succès: mais on doit dire aussi que ce livret aujourd'hui trop peu lu, trop déprécié, a été d'abord beaucoup trop loué.

«On lit peu maintenant l'ouvrage du président Hénault, dit M. Villemain; et toutefois il n'est point de livre sur notre histoire où se trouvent réunis et condensés tant de curieux détails. Au premier abord, la multitude des dates, les paragraphes secs et sans suite, rebutent le lecteur; mais poursuivez : l'instruction viendra, et avec elle le plaisir que peuvent donner la justesse et la sagacité. Beaucoup de points sont éclaircis. Les changements des mœurs et des lois sont habilement marqués; et l'auteur, sans jamais peindre les événements, et presque sans les raconter, les fait bien comprendre. Les chapitres qui terminent l'histoire de la première et de la seconde race renferment, en peu de mots, beaucoup de saine érudition. Le président a parfois des résumés pleins de force et des portraits habilement touchés. Il avait beaucoup étudié un des modèles du genre, Velléius Paterculus; et il l'imite, tout en restant plus naturel et plus simple. On trouve, dans l'ouvrage de Hénault, des appréciations judicieuses des hommes et des temps, des traits énergiques, d'une concision expressive. Ainsi, à l'article de Marie de Médicis, nous rencontrons ces paroles :

« Princesse dont la fin fut digne de pitié, mais d'un esprit trop au-dessous de son ambition, et qui ne fut peut-être pas assez surprise ni assez affligée de la mort funesté d'un de nos plus grands rois. »

Remarquons le bel éloge du chancelier de l'Hospital :

« Qui n'eût cru alors tout perdu? Mais le chancelier de l'Hospital veillait pour la patrie: ce grand homme, au milien des troubles civils, faisait parler les lois qui se taisent d'ordinaire dans ces temps d'orage et de tempête; il ne lui vint jamais dans l'esprit de douter de leur pouvoir; il faisait l'honneur à la raison et à la justice de penser qu'elles étaient plus

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