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Lettres persanes. Considérations

sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. Dialogue de Sylla et d'Eucrate. — Lysimaque. Le temple de Gnide. - Essai sur le goût.

L'Esprit des lois. Style de Montesquieu.

DÉTAILS SUR LA VIE DE MONTESQUIEU.

Parmi les publicistes, au XVIIIe siècle, Montesquieu occupe, sans contredit, le premier rang. Il est même supérieur à tous les écrivains en prose de la même époque.

Charles de Secondat, baron de la Brède et de Montesquieu, naquit au château de la Brède, près de Bordeaux, le 18 janvier 1689. Quoique fils d'un homme qui s'était distingné au service, il fut destiné de bonne heure à la magistrature. Il avait un oncle paternel président à mortier au parlement de Bordeaux, oracle et modèle de sa compagnie, également honoré pour ses vertus et pour ses talents. Cet oncle, désirant conserver dans sa famille le nouveau genre d'illustration qu'il y avait introduit, et ayant eu le malheur de perdre son fils unique, transporta sur son neveu tous ses projets, toutes ses espérances, et résolut de lui laisser ses biens avec sa charge. Malgré la vivacité de son âge et de son caractère, Montesquieu s'enfonça dans l'étude aride et fastidieuse de la jurisprudence, et en faisant un extrait raisonné des énormes et nombreux volumes qui composent le corps du droit civil, il amassait, probablement sans y songer, des matériaux pour son gran monument de l'Esprit des lois.

Nommé conseiller au parlement de Bordeaux le 24 février 1714, et reçu président à mortier le 13 juillet 1716, il fut chargé par sa compagnie, en 1722, de porter des remontrances au pied du trône, à l'occasion d'un nouvel impôt, et plaida la cause du peuple avec tant de zèle et de talant, que le ministère fut subjugué par son éloquence.

En 1725, Montesquieu fit l'ouverture du parlement; son

discours, écrit avec cette force, cette gravité, cette précision sévère qui convient à l'organe des lois, fit entrevoir dans le juge, qui ne faisait encore que les appliquer, le grand publiciste qui devait les définir un jour.

L'Académie de Bordeaux, nouvellement fondée, l'avait admis, en 1716, au nombre de ses membres. L'amour de la littérature et de la musique avait donné naissance à cette société, et la culture de ces arts agréables était l'unique but de son institution. Montesquieu ne fut pas longtemps à s'apercevoir que, loin de la capitale, une réunion de cette espèce était plus favorable au développement de la vanité qu'à celui du talent. Il lui sembla que les moyens et les efforts de ses confrères seraient avantageusement dirigés vers l'érudition et l'étude des sciences exactes, et, secondé dans ce louable dessein par le duc de la Force, protecteur de l'Académie, il parvint à convertir une coterie de bel-esprit en une société savante. Il donna lui-même l'exemple des travaux utiles en composant pour l'Académie plusieurs Mémoires sur des points intéressants de physique, tels que la cause de l'écho, celle de la pesanteur des corps, celle de leur transparence, etc.

il

En 1721, Montesquieu fit paraître les Lettres persanes. Il avait chargé son secrétaire d'emporter le manuscrit en Hollande et de l'y faire imprimer. L'ouvrage eut un débit prodigieux, et, comme nous l'apprend l'auteur lui-même, « les libraires allaient tirer par la manche tous ceux qu'ils rencontraient, en leur disant Monsieur, faites-moi des Lettres persanes. » Montesquieu n'avait pas attaché son nom à cet ouvrage; avait craint qu'on ne dît : « Son livre jure avec son caractère... il n'est pas digne d'un homme grave. » Mais si le magistrat avait cru devoir rester anonyme, l'écrivain n'avait pas voulu pour cela rester inconnu. Les choses s'arrangèrent de façon que l'on put observer les bienséances de son état, sans que l'autre fût obligé de sacrifier les intérêts de son amour-propre. Grâce à la discrétion du public, Monstesquieu, passant généralement pour être l'auteur des Lettres persanes, ne fut pas réduit à l'alternative d'en convenir ou de s'en défendre. En 1728, il se présenta pour obtenir une place vacante à l'Académie française par la mort de M. de Sacy, n'ayant encore d'autre titre à faire valoir que ce même livre qui ne portait pas son nom; mais l'Académie, qui était dans le secrct, comme tout le public, jugea qu'un pareil titre, pour n'ètre pas authentique, n'en était pas moins valable. Toutefois, il y avait un obstacle à vaincre. Le

cardinal de Fleury, instruit par des personnes zélées des plaisanteries du Persan sur les dogmes, la discipline et les ministres de la religion chrétienne, lui refusa son agrément. Montesquieu, devinant sans peine la raison de ce refus, fit faire (si on en croit Voltaire) en peu de jours une nouvelle édition de ces Lettres, où les passages blâmables étaient adoucis ou supprimés. Cette espèce de rétractation, et les instances de quelques personnes de crédit, et du maréchal d'Estrées, pour lors directeur de l'Académie française, ramenèrent, dit-on, le cardinal, et Montesquieu entra dans cette compagnie. Son discours de réception fut prononcé le 24 janvier 1728.

Deux ans avant sa réception, Montesquieu avait renoncé à la magistrature pour se livrer sans partage à la philosophie et aux lettres. Libre de tout lien, maître enfin de lui-même, et ayant obtenu par sa nomination à l'Académie le prix du sacrifice qu'il avait fait à la littérature, il résolut de voyager. Beaucoup de gens, selon lui, savent payer des chevaux de poste, mais il y a peu de voyageurs. Il y en eut peu comme lui, sans doute. É avait examiné, rapproché, approfondi, dans le silence du cabinet, les lois de tous les temps et de tous les pays. Il lui restait à connaître, à étudier les hommes qui sont régis par ces lois, à considérer sur les lieux mêmes le jeu des constitutions diverses et à comparer le physique et le moral des différentes contrées pour en constater l'influence réciproque.

Il se rendit d'abord à Vienne, où il fut présenté au prince Eugène, qui l'admit dans sa société la plus intime, et lui fit passer des moments délicieux. Il parcourut ensuite la Hongrie, l'Italie, la Suisse, la Hollande, et passa de cette dernière contrée en Angleterre, où son séjour dura deux ans. Il y reçut cet accueil empressé qu'on n'accusera pas les Anglais de refuser au mérite célèbre. La société royale de Londres l'admit au nombre de ses membres. La reine, qui protégeait les savants, les écrivains et les artistes, l'honora d'une bienveillance particulière, et voulut souvent jouir de son entretien.

De retour en France, Montesquieu se retira à son château de la Brède. Il y passa deux ans de suite, et commença à mettre en œuvre cette immense collection de faits et de pensées, produit de ses lectures et de ses voyages, de ses recherches et de ses méditations. Depuis longtemps il avait posé les fondements de son ouvrage sur les Causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. Il le continua, y mit la dernière main, et le fit paraître en 1734.

Nous allons le voir maitenant livré sans relâche à la compo. sition de son grand ouvrage, de cet Esprit des lois qui fut la pensée dominante de toute sa vie, et auquel ses précédents écrits semblaient l'avoir conduit plutôt que l'en avoir détourné. Il faut l'entendre lui-même nous racontant avec naïveté toutes les circonstances, toutes les crises diverses de ce long et laborieux enfantement. Il commença bien des fois, et bien des fois abandonna son ouvrage; il envoya mille fois au vent les feuilles qu'il avait écrites; il sentait tous les jours les mains paternelles tomber. Tantôt il lui semblait que son travail avançait à pas de géant, tantôt qu'il reculait à cause de son immensité. Le morceau sur l'origine et les révolutions de nos lois civiles pensa le tuer, et ses cheveux blanchirent. Enfin, dans le cours de vingt années, il vit ce grand monument commencer, croître, s'avancer et finir. Il toucha la terre, et en abordant il s'écria: Italiam! Italiam! comme les compagnons d'Enée en mettant le pied sur les rivages du Latium. Il ne se félicita pas seulement d'avoir achevé, il s'applaudit encore de n'avoir pas manqué de génie, il crut pouvoir dire avec le Corrége: Et moi aussi je suis peintre !

L'Esprit des lois fut publié en 1748. Paraissant au milieu d'une société frivole, plus avide de plaisir que d'instruction, ce livre ne fit d'abord qu'une très-faible sensation, et peut-être n'en eût-il produit aucune sans la réputation dont jouissait l'auteur. Chose singulière, ce furent deux femmes, mais à la vérité deux amies de Montesquieu, Mmes de Tencin et Geoffrin, qui les premières parurent frappées du mérite de l'ouvrage, et se déclarèrent en sa faveur. L'ouvrage alors eut une sorte de vogue. Tous voulant l'avoir lu quoique très-peu en eussent eu la patience, tous aussi voulurent le juger; et si quelques-uns consentirent à le vanter, la plupart, pour affecter une supériorité de goût et de lumières, prirent le parti d'en dire du mal. Un mot heureux et piquant d'une femme (*), mot qui avait tout juste ce qu'il fallait de vérité pour une épigramme, devint l'opinion que chacun s'empressa d'adopter, et ceux-là mêmes reprochèrent au livre d'être écrit avec trop d'esprit, qui n'auraient pu en soutenir la lecture, s'ils y en avaient trouvé moins.

Tandis que la France accueillait avec trop d'indifférence et

(*) Madame Du Deffand appelait l'Esprit des Lois, « de l'esprit sur les

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de légèreté un des ouvrages qui devaient le plus contribuer à sa gloire, les nations étrangères s'empressaient de payer au génie de l'auteur leur tribut d'admiration. Les Anglais surtout se montrèrent passionnés pour un livre où leurs institutions semblaient être offertes en exemple au reste de l'univers; et par une de ces singularités qu'on sait fort communes parmi eux, leur enthousiasme pour Montesquieu s'étendit jusqu'au vin qu'il récoltait dans ses domaines. Il devint à la mode d'en boire; chacun voulut s'en procurer, et le propriétaire ne suffisait plus aux demandes.

La France ayant enfin appris de l'Europe qu'elle possédait un chef-d'œuvre de plus, se mit en devoir de l'admirer à son tour et de s'en enorgueillir. Les esprits supérieurs, les juges naturels de Montesquieu, osèrent alors célébrer son génie, et la foule imitatrice se mit à répéter leurs louanges. Cependant la médiocrité jalouse, qui n'en veut qu'à la gloire, et qui avait épargné l'ouvrage tant qu'on l'avait méconnu, ne pouvait tarder à l'attaquer du moment que son triomphe avait commencé. On ne saurait dénombrer sans ennui la foule des brochures qui furent lancées presque à la fois contre l'Esprit des Lois. Montesquieu n'opposa d'abord que le silence à ce débordement des critiques. Mais l'auteur d'un libelle hebdomadaire et anonyme, intitulé Nouvelles ecclésiastiques, l'ayant accusé à la fois de déisme et de spinosisme, deux imputations qui s'entre-détruisent nécessairement, la gravité de l'accusation en fit disparaître à ses yeux l'absurdité, et il crut devoir à l'une l'honneur d'une réfutation, dont l'autre semblait le dispenser. Ce fut alors qu'il composa la Défense de l'Esprit des Lois, modèle de discussion solide et de plaisanterie légère.

Si Montesquieu s'abstenait en général de répondre aux critiques qu'on faisait de son livre, ce n'était pas qu'il y fût insensible. Il paraît qu'il fut principalement affecté de celle du fermier-général Dupin, intitulée Observations sur l'Esprit des Lois. Cette critique fut imprimée et non publiée. L'opinion la plus commune est que Montesquieu implora le crédit de Madame de Pompadour pour faire supprimer l'édition, dont quelques exemplaires seulement ont été sauvés.

Il y avait six ans que l'Esprit des Lois avait paru: on s'était lassé de contester à Montesquieu sa gloire, et il en jouissait paisiblement, lorsque sa santé, qui était naturellement délicate, et qui depuis longtemps éprouvait une altération sen

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