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avoient avec l'ordre politique qu'avec l'ordre civil. Dans la suite, on fut obligé de le rendre sédentaire, et de le tenir toujours assemblé; et enfin on en créa plusieurs pour qu'ils pussent suffire à toutes les affaires.

A peine le parlement fut-il un corps fixe, qu'on commença à compiler ses arrêts. Jean de Monluc, sous le règne de Philippe-le-Bel, fit le recueil qu'on appelle aujourd'hui les Registres Olim1.

CHAPITRE XL.

Comment on prit les formes judiciaires des décrétales.

Mais d'où vient qu'en abandonnant les formes judiciaires établies, on prit celles du droit canonique plutôt que celles du droit romain? C'est qu'on avoit toujours devant les yeux les tribunaux clercs qui suivoient les formes du droit canonique, et que l'on ne connoissoit aucun tribunal qui suivît celles du droit romain. De plus, les bornes de la juridiction ecclésiastique et de la séculière étoient dans ces temps-là très peu connues: il y avoit des gens qui plaidoient indifféremment dans les deux cours 3; il y avoit des matières pour

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1 Voy. l'excellent ouvrage de M. le président Hénault, sur l'an 1313. * Beaumanoir, chap. x1, pag. 58.

3 Les femmes veuves, les croisés, ceux qui tenoient les biens de: églises pour raison de ces biens.

lesquelles on plaidoit de même. Il semble' que la juridiction laie ne se fût gardé, privativement à l'autre, que le jugement des matières féodales et des crimes commis par les laïques dans les cas qui ne choquoient pas la religion 2. Car si, pour raison des conventions et des contrats, il falloit aller à la justice laie, les parties pouvoient volontairement procéder devant les tribunaux clercs, qui, n'étant pas en droit d'obliger la justice laie à faire exécuter la sentence, contraignoient d'y obéir par voie d'excommunication 3. Dans ces circon-: stances, lorsque dans les tribunaux laïques on voulut changer de pratique, on prit celle des clercs, parce qu'on la savoit; et on ne prit pas celle du droit romain, parce qu'on ne la savoit point; car, en fait de pratique, on ne sait que ce que l'on pratique.

1 Voyez tout le chap. xi de Beaumanoir.

2 Les tribunaux clercs, sous prétexte du serment, s'en étoient même saisis, comme on le voit par le fameux concordat passé entre Philippe-Auguste, les clercs et les barons, qui se trouve dans les Ordonnances de Lauriére.

3 Beaumanoir, chap. xi, pag. 60.

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CHAPITRE XLI.

Flux et reflux de la juridiction ecclésiastique
et de la juridiction laie.

La puissance civile étant entre les mains d'une infinité de seigneurs, il avoit été aisé à la juridiction ecclésiastique de se donner tous les jours plus d'étendue; mais, comme la juridiction ecclésiastique énerva la juridiction des seigneurs, et contribua par là à donner des forces à la juridiction royale, la juridiction royale restreignit peu à peu la juridiction ecclésiastique, et celle-ci recula devant la première. Le parlement, qui avoit pris dans sa forme de procéder tout ce qu'il y avoit de bon et d'utile dans celle des tribunaux des clercs, ne vit bientôt plus que ses abus; et la juridiction royale se fortifiant tous les jours, elle fut toujours plus en état de corriger ces mêmes abus. En effet ils étoient intolérables; et, sans en faire l'énumération, je renverrai à Beaumanoir, à Boutillier, aux ordonnances de nos rois1: je ne parlerai que de ceux qui intéressoient plus directement la fortune publique. Nous connoissons

Voyez Boutillier, Somme rurale, tit. 1x, quelles personnes ne peuvent faire demande en cour laie; et Beaumanoir, ch. x1, pag. 56; et les règlements de Philippe-Auguste à ce sujet ; et l'établissement de Philippe-Auguste, fait entre les clercs, le roi et les barons.

ces abus par les arrêts qui les réformèrent. L'épaisse ignorance les avoit introduits; une espèce de clarté parut, et ils ne furent plus. On peut juger, par le silence du clergé, qu'il alla lui-même au devant de la correction; ce qui, vu la nature de l'esprit humain, mérite des louanges. Tout homme qui mouroit sans donner une partie de ses biens à l'église, ce qui s'appeloit mourir déconfés, étoit privé de la communion et de la sépulture. Si l'on mouroit sans faire de testament, il falloit que les parents obtinssent de l'évêque qu'il nommât, concurremment avec eux, des arbitres pour fixer ce que le défunt auroit dû donner en cas qu'il eût fait un testament. On ne pouvoit pas coucher ensemble la première nuit des noces, ni même les deux suivantes, sans en avoir acheté la permission; c'étoit bien ces trois nuits-là qu'il falloit choisir, car pour les autres on n'auroit pas donné beaucoup d'argent. Le parlement corrigea tout cela. On trouve dans le Glossaire du droit français de Ragueau, l'arrêt qu'il rendit contre l'évêque d'Amiens 2.

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Je reviens au commencement de mon chapitre. Lorsque, dans un siècle ou dans un gouvernement, on voit les divers corps de l'état chercher à augmenter leur autorité, et à prendre les uns sur les

1 Au mot Exécuteurs testamentaires.

Du 19 mars 1409.

autres de certains avantages, on se tromperoit souvent si l'on regardoit leurs entreprises comme une marque certaine de leur corruption. Par un malheur attaché à la condition humaine, les grands hommes modérés sont rares; et, comme il est toujours plus aisé de suivre sa force que de l'arrêter, peut-être, dans la classe des gens supérieurs, est-il plus facile de trouver des gens extrêmement yertueux que des hommes extrêmement sages,

L'ame goûte tant de délices à dominer les autres ames; ceux mêmes qui aiment le bien s'aiment si fort eux-mêmes, qu'il n'y a personne qui ne soit assez malheureux pour avoir encore à se défier de ses bonnes intentions; et en vérité nos actions tiennent à tant de choses qu'il est mille fois plus aisé de faire le bien que de le bien faire.

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CHAPITRE XLII.

Renaissance du droit romain, et ce qui en résulta.
Changements dans les tribunaux.

Le Digeste de Justinien ayant été retrouvé vers l'an 1137, le droit romain sembla prendre une seconde naissance. On établit des écoles en Italie où on l'enseignoit : on avoit déja le Code Justinien et les Novelles. J'ai déja dit que ce droit y prit une telle faveur qu'il fit éclipser la loi des Lombards.

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