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lois écrites, on revint, quelques siècles après, des lois écrites à des usages non écrits.

CHAPITRE XII.

Des coutumes locales : révolution des lois des peuples barbares et du droit romain.

On voit par plusieurs monuments qu'il y avoit déja des coutumes locales dans la première et la seconde race. On y parle de la coutume du lieu1, de l'usage ancien 2, de la coutume3, des lois 4, et des coutumes. Des auteurs ont cru que ce qu'on nommoit des coutumes étoient les lois des peuples barbares, et que ce que l'on appeloit la loi étoit le droit romain. Je prouve que cela ne peut être. Le roi Pepin 5 ordonna que partout où il n'y auroit point de loi on suivroit la coutume, mais que la coutume ne seroit pas préférée à la loi. Or, dire que le droit romain eût la préférence sur les codes des lois des Barbares, c'est renverser tous les monuments anciens, et surtout ces codes des lois des Barbares qui disent perpétuellement le contraire. Bien loin que les lois des peuples barbares

1 Préface des formules de Marculfe.

• Loi des Lombards, liv. II,

3 Ibid., tit. XLI, §. 6.

4 Vie de Saint Léger.

tit. LVIII,

§. 3.

5 Loi des Lombards, liv. 11, tit. XLI, §. 6.

fussent ces coutumes, ce furent ces lois mêmes qui, comme lois personnelles, les introduisirent. La loi salique, par exemple, étoit une loi personnelle; mais, dans des lieux généralement ou presque généralement habités par des Francs saliens, la loi salique, toute personnelle qu'elle étoit, devenoit, par rapport à ces Francs saliens, une loi territoriale, et elle n'étoit personnelle que pour les Francs qui habitoient ailleurs. Or, si dans un lieu où la loi salique étoit territoriale il étoit arrivé que plusieurs Bourguignons Allemands, ou Romains même, eussent eu souvent des affaires, elles auroient été décidées par les lois de ces peuples; et un grand nombre de jugements conformes à quelques unes de ces lois auroit dû introduire dans le pays de nouveaux usages. Et cela explique bien la constitution de Pepin. Il étoit naturel que ces usages pussent affecter les Francs mêmes du lieu dans les cas qui n'étoient point décidés par la loi salique; mais il ne l'étoit pas qu'ils pussent prévaloir sur la loi salique.

Ainsi il y avoit dans chaque lieu une loi dominante, et des usages reçus qui servoient de supplément à la loi dominante lorsqu'ils ne la choquoient pas.

Il pouvoit même arriver qu'ils servissent de supplément à une loi qui n'étoit point territo riale; et, pour suivre le même exemple, si, dans

un lieu où la loi salique étoit territoriale, un Bourguignon étoit jugé par la loi des Bourguignons, et que le cas ne se trouvât pas dans le texte de cette loi, il ne faut pas douter que l'on ne jugeât suivant la coutume du lieu.

Du temps du roi Pepin, les coutumes qui s'étoient formées avoient moins de force que les lois : mais bientôt les coutumes détruisirent les lois; et, comme les nouveaux règlements sont toujours des remèdes qui indiquent un mal présent, on peut croire que du temps de Pepin on commençoit déja à préférer les coutumes aux lois.

Ce que j'ai dit explique comment le droit romain commença dès les premiers temps à devenir une loi territoriale, comme on le voit dans l'édit de Pistes, et comment la loi gothe ne laissa pas d'y être encore en usage, comme il paroît par le synode de Troyes1 dont j'ai parlé. La loi romaine étoit devenue la loi personnelle générale, et la loi gothe la loi personnelle particulière; et par conséquent la loi romaine étoit la loi territoriale. Mais comment l'ignorance fit-elle tomber partout les lois personnelles des peuples barbares, tandis que le droit romain subsista, comme loi territoriale, dans les provinces wisigothes et bourguignones? Je réponds que la loi romaine même eut à peu près le sort des autres lois personnelles; sans cela nous 1 Voyez ci-devant le chap. v.

1

aurions encore le code théodosien dans les provinces où la loi romaine étoit loi territoriale, au lieu que nous y avons les lois de Justinien. Il ne resta presque à ces provinces que le nom de pays de droit romain ou de droit écrit, que cet amour que les peuples ont pour leur loi, surtout quand ils la regardent comme un privilége, et quelques dispositions du droit romain retenues pour lors dans la mémoire des hommes. Mais c'en fut assez pour produire cet effet que, quand la compilation de Justinien parut, elle fut reçue dans les provinces du domaine des Goths et des Bourguignons comme loi écrite; au lieu que, dans l'ancien domaine des Francs, elle ne le fut que comme raison écrite.

CHAPITRE XIII.

Différence de la loi salique ou des Francs saliens d'avec celle des Francs ripuaires et des autres peuples barbares.

La loi salique n'admettoit point l'usage des preuves négatives; c'est-à-dire que, par la loi salique, celui qui faisoit une demande ou une accusation devoit la prouver, et qu'il ne suffisoit pas à l'accusé de la nier; ce qui est conforme aux lois de presque toutes les nations du monde.

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La loi des Francs ripuaires avoit tout un autre

1 Cela se rapporte à ce que dit Tacite, que les peuples germains avoient des usages communs et des usages particuliers.

esprit; elle se contentoit des preuves négatives; et celui contre qui on formoit une demande ou une accusation pouvoit, dans la plupart des cas, se justifier, en jurant avec certain nombre de témoins qu'il n'avoit point fait ce qu'on lui imputoit. Le nombre des témoins qui devoient jurer augmentoit selon l'importance de la chose; il alloit quelquefois à soixante-douze. Les lois des Allemands, des Bavarois, des Thuringiens, celles des Frisons, des Saxons, des Lombards et des Bourguignons, furent faites sur le même plan que celles des Ripuaires.

2

J'ai dit que la loi salique n'admettoit point les preuves négatives. Il y avoit pourtant un 3 cas où elle les admettoit; mais, dans ce cas, elle ne les admettoit point seules et sans le concours des preuves positives. Le demandeur faisoit 4 ouïr ses témoins pour établir så demande; le défendeur faisoit ouïr les siens pour se justifier; et le juge cherchoit la vérité dans les uns et dans les autres témoignages. Cette pratique étoit bien différente de celle des lois ripuaires et des autres lois bar

1 Loi des Ripuaires, tit. VI, VII, VIII, et autres.

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5

3 C'est celui où un antrustion, c'est-à-dire un vassal du roi, en qui

on supposoit une plus grande franchise, étoit accusé. Voy. le tit. LXXVI du Pactus legis salicæ.

4 Voyez le même titre.

5 Comme il se pratique encore aujourd'hui en Angleterre.

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