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CHAPITRE IX.

Comment les codes des lois des Barbares et les capitulaires se perdirent.

Les lois saliques, ripuaires, bourguignonnes et visigothes, cessèrent peu à peu d'être en usage chez les François; voici comment.

Les fiefs étant devenus héréditaires et les arrière-fiefs s'étant étendus, il s'introduisit beaucoup d'usages auxquels ces lois n'étoient plus applicables. On en retint bien l'esprit, qui étoit de régler la plupart des affaires par des amendes: mais les valeurs ayant sans doute changé, les amendes changèrent aussi ; et l'on voit beaucoup de1 chartres où les seigneurs fixoient les amendes qui devoient être payées dans leurs petits tribunaux. Ainsi l'on suivit l'esprit de la loi sans suivre la loi même.

D'ailleurs, la France se trouvant divisée en une infinité de petites seigneuries qui reconnoissoient plutôt une dépendance féodale qu'une dépendance politique, il étoit bien difficile qu'une seule loi pût être autorisée en effet, on n'auroit pas pu la faire observer. L'usage n'étoit guère plus qu'on

M. de la Thaumassière en a recueilli plusieurs. Voyez, par exemple, les chap. LXI, LXVI, et autres.

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envoyât des officiers extraordinaires dans les provinces, qui eussent l'œil sur l'administration de la justice et sur les affaires politiques. Il paroît même par les chartres que, lorsque de nouveaux fiefs s'établissoient, les rois se privoient du droit de les y envoyer. Ainsi, lorsque tout à peu près fut devenu fief, ces officiers ne purent plus être employés; il n'y eut plus de loi commune, parce que personne ne pouvoit faire observer la loi

commune.

Les lois saliques, bourguignonnes et visigothes furent donc extrêmement négligées à la fin de la seconde race; et au commencement de la troisième on n'en entendit presque plus parler.

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Sous les deux premières races, on assembla souvent la nation, c'est-à-dire les seigneurs et les évêques ; il n'étoit point encore question des communes. On chercha dans ces assemblées à régler le clergé, qui étoit un corps qui se formoit pour ainsi dire sous les conquérants, et qui établissoit ses prérogatives: les lois faites dans ces assemblées sont ce que nous appelons les capitulaires. Il arriva quatre choses. Les lois des fiefs s'établirent, et une grande partie des biens de l'Église fut gouvernée par les lois des fiefs; les ecclésiastiques se séparérent davantage, et négligèrent des lois de

Missi dominici.

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*. Que les évêques, dit Charles-le-Chauve, dans le capitulaire de

réforme où ils n'avoient pas été les seuls réformateurs; on recueillit1 les canons des conciles et les décrétales des papes, et le clergé reçut ces lois comme venant d'une source plus pure. Depuis l'érection des grands fiefs, les rois n'eurent plus, comme j'ai dit, des envoyés dans les provinces pour faire observer des lois émanées d'eux; ainsi, sous la troisième race, on n'entendit plus parler de capitulaires.

CHAPITRE X.

Continuation du même sujet.

On ajouta plusieurs capitulaires à la loi des Lombards, aux lois saliques, à la loi des Bavarois. On en a cherché la raison; il faut la prendre dans la chose même. Les capitulaires étoient de plusieurs espèces; les uns avoient du rapport au gou

l'an 844, art. 8, sous prétexte qu'ils ont l'autorité de faire des ca« nons, ne s'opposent pas à cette constitution ni ne la négligent. » Il semble qu'il en prévoyoit déja la chute.

1 On inséra dans le recueil des canons un nombre infini de décré

tales des papes; il y en avoit très peu dans l'ancienne collection. Denys-le-Petit en mit beaucoup dans la sienne: mais celle d'Isidore Mercator fut remplie de vraies et de fausses décrétales. L'ancienne collection fut en usage en France jusqu'à Charlemagne. Ce prince reçut des mains du pape Adrien I la collection de Denys, le-Petit, et la fit recevoir. La collection d'Isidore Mercator parut en France vers le règne de Charlemagne; on s'en entêta: ensuite vint ce qu'on appelle le corps du droit canonique.

DE L'ESPRIT DES LOIS. T. II.

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vernement politique, d'autres au gouvernement économique, la plupart au gouvernement ecclésiastique, quelques uns au gouvernement civil. Ceux de cette dernière espèce furent ajoutés à la loi civile, c'est-à-dire aux lois personnelles de chaque nation : c'est pour cela qu'il est dit dans les capitulaires qu'on n'y a rien stipulé1 contre la loi romaine. En effet, ceux qui regardoient le gouvernement économique, ecclésiastique, ou politique, n'avoient point de rapport avec cette loi; et ceux qui regardoient le gouvernement civil n'en eurent qu'aux lois des peuples barbares, que l'on expliquoit, corrigeoit, augmentoit, et diminuoit. Mais ces capitulaires, ajoutés aux lois personnelles, firent, je crois, négliger le corps même des capitulaires. Dans des temps d'ignorance, l'abrégé d'un ouvrage fait souvent tomber l'ouvrage même.

ཨ་ས་མ

CHAPITRE XI.

Autres causes de la chute des codes des lois des Barbares, du droit romain, et des capitulaires.

Lorsque les nations germaines conquirent l'empire romain, elles y trouvèrent l'usage de l'écriture; et, à l'imitation des Romains, elles rédigèrent leurs usages par écrit, et en firent des codes. Les

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Voyez l'édit de Pistes, art. 20.

⚫ Cela est marqué expressément dans quelques prologues de ces

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règnes malheureux qui suivirent celui de Charlemagne, les invasions des Normands, les guerres intestines, replongèrent les nations victorieuses dans les ténèbres dont elles étoient sorties : on ne sut plus lire ni écrire. Cela fit oublier, en France et en Allemagne, les lois barbares écrites, le droit romain et les capitulaires. L'usage de l'écriture se conserva mieux en Italie, où régnoient les papes et les empereurs grecs, et où il y avoit des villes florissantes, et presque le seul commerce qui se fit pour lors. Ce voisinage de l'Italie fit que le droit romain se conserva mieux dans les contrées de la Gaule autrefois soumises aux Goths et aux Bourguignons, d'autant plus que ce droit y étoit une loi territoriale et une espèce de privilége. Il y a apparence que c'est l'ignorance de l'écriture qui fit tomber en Espagne les lois wisigothes; et, par la chute de tant de lois, il se forma partout des

coutumes.

Les lois personnelles tombèrent. Les compositions, et ce que l'on appeloit freda1, se réglèrent plus par la coutume que par le texte de ces lois. Ainsi, comme dans l'établissement de la monarchie on avoit passé des usages des Germains à des

codes. On voit même, dans les lois des Saxons et des Frisons, des dispositions différentes selon les divers districts. On ajouta à ces usages quelques dispositions particulières que les circonstances exigèrent telles furent les lois dures contre les Saxons.

J'en parlerai ailleurs.

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