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dire que la religion des Espagnols étoit bonne pour leur pays et celle du Mexique pour le sien, il ne disoit pas une absurdité, parce qu'en effet les législateurs n'ont pu s'empêcher d'avoir égard à ce que la nature avoit établi avant eux.

L'opinion de la métempsychose est faite pour le climat des Indes. L'excessive chaleur brûle 1 toutes les campagnes; on n'y peut nourrir que très peu de bétail; on est toujours en danger d'en manquer pour le labourage; les boeufs ne s'y multiplient que médiocrement; ils sont sujets à beaucoup de maladies : une loi de religion qui les conserve est donc très convenable à la police

du pays.

2

Pendant que les prairies sont brûlées, le riz et les légumes y croissent heureusement par les eaux qu'on y peut employer: une loi de religion qui ne permet que cette nourriture est donc très utile aux hommes dans ces climats.

La chair3 des bestiaux n'y a pas de goût, et le lait et le beurre qu'ils en tirent fait une partie de leur subsistance: la loi qui défend de manger et tuer des vaches n'est donc pas déraisonnable aux Indes.

Athènes avoit dans son sein une multitude in

Voyage de Bernier, tome II, page 137.

2 Lettres édifiantes, douzième recueil, page 95.

3 Voyage de Bernier, tome 11, page 137.

de l'esprit des LOIS. T. II.

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nombrable de peuple; son territoire étoit stérile: ce fut une maxime religieuse, que ceux qui offroient aux dieux de certains petits présents les honoroient plus que ceux qui immoloient des bœufs.

CHAPITRE XXV.

Inconvénient du transport d'une religion d'un pays à un autre.

2

Il suit de là qu'il y a très souvent beaucoup d'inconvénients à transporter une religion d'un dans un autre.

pays

Le cochon, dit 3 M. de Boulainvilliers, doit être « très rare en Arabie, où il n'y a presque point « de bois, et presque rien de propre à la nourri« ture de ces animaux; d'ailleurs la salure des «< eaux et des aliments rend le peuple très susceptible des maladies de la peau. » La loi locale qui le défend ne sauroit être bonne pour d'autres 4 pays, où le cochon est une nourriture presque universelle, et en quelque façon nécessaire.

«

Je ferai ici une réflexion. Sanctorius a observé que la chair de cochon que l'on mange se trans

Euripide dans Athénée, liv. 11, page 40.

On ne parle point ici de la religion chrétienne, parce que, comme on a dit au liv. xxiv, chap. 1, à la fin, la religion chrétienne est le premier bien.

3 Vie de Mahomet.

4 Comme à la Chine.

pire' peu, et que même cette nourriture empêche beaucoup la transpiration des autres aliments : il a trouvé que la diminution alloit à un tiers. On sait d'ailleurs que le défaut de transpiration forme ou aigrit les maladies de la peau : la nourriture du cochon doit donc être défendue dans les climats où l'on est sujet à ces maladies, comme celui de la Palestine, de l'Arabie, de l'Égypte et de la Libye.

CHAPITRE XXVI.

Continuation du même sujet.

M. Chardin 2 dit qu'il n'y a point de fleuve navigable en Perse, si ce n'est le fleuve Kur, qui est aux extrémités de l'empire. L'ancienne loi des Guèbres, qui défendoit de naviguer sur les fleuves, n'avoit donc aucun inconvénient dans leur pays; mais elle auroit ruiné le commerce dans un autre.

Les continuelles lotions sont très en usage dans les climats chauds : cela fait que la loi mahométane et la religion indienne les ordonnent. C'est un acte très méritoire aux Indes de prier3 Dieu

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dans l'eau courante; mais comment exécuter ces choses dans d'autres climats?

Lorsque la religion, fondée sur le cimat, a trop choqué le climat d'un autre pays, elle n'a pu s'y établir; et quand on l'y a introduite, elle en a été chassée. Il semble, humainement parlant, que ce soit le climat qui a prescrit des bornes à la religion chrétienne et à la religion mahométane.

peu

Il suit de là qu'il est presque toujours convenable qu'une religion ait des dogmes particuliers et un culte général. Dans les lois qui concernent les pratiques de culte, il faut de détails; par exemple, des mortifications, et non pas une certaine mortification. Le christianisme est plein de bon sens : l'abstinence est de droit divin; mais une abstinence particulière est de droit de police, et on peut la changer.

LIVRE XXV.

DES LOIS, DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT
AVEC L'ÉTABLISSEMENT

DE LA RELIGION DE CHAQUE PAYS
ET SA POLICE EXTÉRIEURE.

CHAPITRE PREMIER.

Du sentiment pour la religion.

L'homme pieux et l'athée parlent toujours de religion; l'un parle de ce qu'il aime, et l'autre de ce qu'il craint.

CHAPITRE II.

Du motif d'attachement pour les diverses religions.

Les diverses religions du monde ne donnent pas à ceux qui les professent des motifs égaux d'attachement pour elles: cela dépend beaucoup de la manière dont elles se concilient avec la façon de penser et de sentir des hommes.

Nous sommes extrêmement portés à l'idolâtrie, et cependant nous ne sommes pas fort attachés

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