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La culture des terres demande l'usage de la monnoie. Cette culture suppose beaucoup d'arts et de connoissances; et l'on voit toujours marcher d'un pas égal les arts, les connoissances et les besoins. Tout cela conduit à l'établissement d'un signe de valeurs.

Les torrents et les incendies nous ont fait découvrir que les terres contenoient des métaux 1. Quand ils en ont été une fois séparés, il a été aisé de les employer.

CHAPITRE XVI.

Des lois civiles chez les peuples qui ne connoissent point l'usage de la monnoie.

Quand un peuple n'a pas l'usage de la monnoie, on ne connoît guère chez lui que les injustices qui viennent de la violence; et les gens foibles, en s'unissant, se défendent contre la violence. Il n'y a guère là que des arrangements politiques. Mais chez un peuple où la monnoie est établie, on est sujet aux injustices qui viennent de la ruse; et ces injustices peuvent être exercées de mille façons. On y est donc forcé d'avoir de bonnes lois civiles; elles naissent avec les nouveaux moyens et les diverses manières d'être méchant.

I C'est ainsi que Diodore nous-dit que des bergers trouvèrent l'or des Pyrénées.

Dans les pays où il n'y a point de monnoie le ravisseur n'enlève que des choses, et les choses ne se ressemblent jamais : dans les pays où il y a de la monnoie le ravisseur enlève des signes, et les signes se ressemblent toujours. Dans les premiers pays rien ne peut être caché, parce que le ravisseur porte toujours avec lui des preuves de sa conviction

autres.

cela n'est pas de même dans les

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CHAPITRE XVII.

Des lois politiques chez les peuples qui n'ont point l'usage de la monnoie.

Ce qui assure le plus la liberté des peuples qui ne cultivent point les terres, c'est que la monnoie leur est inconnue. Les fruits de la chasse, de la pêche ou des troupeaux, ne peuvent s'assembler en assez grande quantité ni se garder assez pour qu'un homme se trouve en état de corrompre tous les autres; au lieu que, lorsque l'on a des signes de richesses, on peut faire un amas de ces signes, et les distribuer à qui l'on veut.

Chez les peuples qui n'ont point de monnoie, chacun a peu de besoins, et les satisfait aisément et également. L'égalité est donc forcée: aussi leurs chefs ne sont-ils point despotiques.

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CHAPITRE XVIII.

Force de la superstition.

Si ce que les relations nous disent est vrai, la constitution d'un peuple de la Louisiane, nommé les Natchés, déroge à ceci. Leur chef1 dispose des biens de tous ses sujets, et les fait travailler à sa fantaisie : ils ne peuvent lui refuser leur tête; il est comme le grand-seigneur. Lorsque l'héritier présomptif vient à naître, on lui donne tous les enfants à la mamelle pour le servir pendant sa vie. Vous diriez que c'est le grand Sésostris. Ce chef est traité dans sa cabane avec les cérémonies qu'on feroit à un empereur du Japon ou de la Chine.

Les préjugés de la superstition sont supérieurs à tous les autres préjugés, et ses raisons à toutes les autres raisons. Ainsi, quoique les peuples sauvages ne connoissent point naturellement le despotisme, ce peuple-ci le connoît. Ils adorent le soleil; et si leur chef n'avoit pas imaginé qu'il étoit le frère du soleil, ils n'auroient trouvé en lui qu'un misérable comme eux.

'Lettres édifiantes, vingtième recueil.

CHAPITRE XIX.

De la liberté des Arabes et de la servitude des Tartares.

Les Arabes et les Tartares sont des peuples pasteurs. Les Arabes se trouvent dans les cas généraux dont nous avons parlé, et sont libres; au lieu que les Tartares (peuple le plus singulier de la terre ) se trouvent dans l'esclavage politique 1. J'ai déja 2 donné quelques raisons de ce dernier fait : en voici de nouvelles.

Ils n'ont point de villes, ils n'ont point de forêts, ils ont peu de marais, leurs rivières sont presque toujours glacées, ils habitent une immense plaine, ils ont des pâturages et des troupeaux, et par conséquent des biens; mais ils n'ont aucune espèce de retraite ni de défense. Sitôt qu'un kan est vaincu, on lui coupe la tête 3; on traite de la même manière ses enfants; et tous ses sujets appartiennent au vainqueur. On ne les condamne pas à un esclavage civil; ils seroient à charge à une nation simple, qui n'a point de terres à cultiver, et n'a besoin d'aucun service domestique. Ils augmentent donc la nation. Mais au

Lorsqu'on proclame un kan, tout le peuple s'écrie «Que sa parole lui serve de glaive!»

a Liv. xvII, chap. v.

3 Ainsi il ne faut pas être étonné si Mirivéis, s'étant rendu maître d'Ispahan, fit tuer tous les princes du sang.

lieu de l'esclavage civil, on conçoit que l'esclavage politique a dû s'introduire.

En effet, dans un pays où les diverses hordes se font continuellement la guerre et se conquièrent sans cesse les unes les autres; dans un pays où, par la mort du chef, le corps politique de chaque horde vaincue est toujours détruit, la nation en général ne peut guère être libre; car il n'y en a pas une seule partie qui ne doive avoir été un très grand nombre de fois subjuguée.

Les peuples vaincus peuvent conserver quelque liberté lorsque, par la force de leur situation, ils sont en état de faire des traités après leur défaite. Mais les Tartares, toujours sans défense, vaincus une fois, n'ont jamais pu faire des conditions.

J'ai dit au chapitre II que les habitants des plaines cultivées n'étoient guère libres : des circonstances font que les Tartares habitant une terre inculte sont dans le même cas.

CHAPITRE XX.

Du droit des gens des Tartares.

Les Tartares paroissent entre eux doux et humains, et ils sont des conquérants très cruels; ils passent au fil de l'épée les habitants des villes qu'ils prennent: ils croient leur faire grace lorsqu'ils les

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