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prostitution, ou qui a été condamné à combattre sur l'arène. Ceci descendoit des anciennes institutions des Romains.

Je sais bien que des gens pleins de ces deux idées, l'une que le commerce est la chose du monde la plus utile à un état, et l'autre que les Romains. avoient la meilleure police du monde, ont cru qu'ils avoient beaucoup encouragé et honoré le commerce; mais la vérité est qu'ils y ont rarement pensé.

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CHAPITRE XV.

Commerce des Romains avec les Barbares.

Les Romains avoient fait de l'Europe, de l'Asie, et de l'Afrique, un vaste empire : la foiblesse des peuples et la tyrannie du commandement unirent toutes les parties de ce corps immense. Pour lors la politique romaine fut de se séparer de toutes les nations qui n'avoient pas été assujéties: la crainte de leur porter l'art de vaincre fit négliger l'art de s'enrichir. Ils firent des lois pour empêcher tout commerce avec les barbares. «Que personne, << disent Valens et Gratien, n'envoie du vin, de, << l'huile, ou d'autres liqueurs, aux barbares, même

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Leg. Ad barbaricum, cod. quæ res exportari non debeant.

DE L'ESPRIT DES LOIS. T. II.

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<< pour en goûter. Qu'on ne leur porte point de l'or*, « ajoutent Gratien, Valentinien, et Théodose, et « que, même ce qu'ils en ont, on le leur ôte avec « finesse. » Le transport du fer fut défendu sous peine de la vie".

Domitien, prince timide, fit arracher les vignes dans la Gaule 3, de crainte sans doute que cette liqueur n'y attirât les barbares, comme elle les avoit autrefois attirés en Italie. Probus et Julien, qui ne les redoutèrent jamais, en rétablirent la plantation.

Je sais bien que, dans la foiblesse de l'empire, les barbares obligèrent les Romains d'établir des étapes 4 et de commercer avec eux. Mais cela même prouve que l'esprit des Romains étoit de ne pas

commercer.

CHAPITRE XVI.

Du commerce des Romains avec l'Arabie et les Indes.

Le négoce de l'Arabie heureuse et celui des Indes furent les deux branches et presque les seules du commerce extérieur. Les Arabes avoient de grandes richesses; ils les tiroient de leurs mers et

I Leg. 11, cod. de commerc. et mercator.

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Leg. II. Quæ res exportari non debeant.

3 Procope, Guerre des Perses, liv. 1er.

4 Voyez les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence.

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de leurs forêts; et, comme ils achetoient peu et vendoient beaucoup, ils attiroient 1 à eux l'or et l'argent de leurs voisins. Auguste connut leur opulence, et il résolut de les avoir pour amis ou pour ennemis. Il fit passer Élius Gallus d'Égypte en Arabie. Celui-ci trouva des peuples oisifs, tranquilles, et peu aguerris; il donna des batailles, fit des siéges, et ne perdit que sept soldats; mais la perfidie de ses guides, les marches, le climat, la faim, la soif, les maladies, des mesures mal prises, lui firent perdre son armée.

Il fallut donc se contenter de négocier avec les Arabes, comme les autres peuples avoient fait, c'est-à-dire de leur porter de l'or et de l'argent pour leurs marchandises. On commerce encore avec eux de la même manière; la caravane d'Alep et le vaisseau royal de Suez y portent des sommes immenses 3.

La nature avoit destiné les Arabes au commerce; elle ne les avoit pas destinés à la guerre mais, lorsque ces peuples tranquilles se trouvèrent sur les frontières des Parthes et des Romains, ils devinrent auxiliaires des uns et des autres. Élius Gallus les avoit trouvés commerçants; Mahomet

' Pline, liv. vII, chap. xxvi; et Strabon, liv. xvI.

2 lbid.

3 Les caravanes d'Alep et de Suez y portent deux millions de notre monnoie, et il en passe autant en fraude : le vaisseau royal de Suez y porte aussi deux millions.

les trouva guerriers; il leur donna de l'enthousiasme, et les voilà conquérants.

Le commerce des Romains aux Indes étoit con

sidérable. Strabon avoit appris en Égypte qu'ils y employoient cent vingt navires : ce commerce ne se soutenoit encore que par leur argent : ils y envoyoient tous les ans cinquante millions de sesterces. Pline dit que les marchandises qu'on en rapportoit se vendoient à Rome le centuple. Je crois qu'il parle trop généralement : ce profit fait une fois, tout le monde aura voulu le faire; et, dès ce moment, personne ne l'aura fait.

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On peut mettre en question s'il fut avantageux aux Romains de faire le commerce de l'Arabie et des Indes. Il falloit qu'ils y envoyassent leur argent, et ils n'avoient pas comme nous la ressource de l'Amérique, qui supplée à ce que nous envoyons. Je suis persuadé qu'une des raisons qui firent augmenter chez eux la valeur numéraire des monnoies, c'est-à-dire établir le billon, fut la rareté de l'argent, causée par le transport continuel qui s'en faisoit aux Indes; que si les marchandises de ce pays se vendoient à Rome le centuple, ce profit des Romains se faisoit sur les Romains mêmes, et n'enrichissoit point l'empire.

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procuroit aux Romains une grande navigation, c'est-à-dire une grande puissance; que des marchandises nouvelles augmentoient le commerce intérieur, favorisoient les arts, entretenoient l'industrie; que le nombre des citoyens se multiplioit à proportion des nouveaux moyens qu'on avoit de vivre; que ce nouveau commerce produisoit le luxe, que nous avons prouvé être aussi favorable au gouvernement d'un seul que fatal à celui de plusieurs; que cet établissement fut de même date que la chute de leur république; que le luxe à Rome étoit nécessaire, et qu'il falloit bien qu'une ville qui attiroit à elle toutes les richesses de l'univers les rendit par son luxe.

Strabon1 dit que le commerce des Romains aux Indes étoit beaucoup plus considérable que celui des rois d'Égypte; et il est singulier que les Romains, qui connoissoient peu le commerce, aient eu pour celui des Indes plus d'attention que n'en eurent les rois d'Égypte, qui l'avoient, pour ainsi dire, sous les yeux. Il faut expliquer ceci.

Après la mort d'Alexandre, les rois d'Égypte établirent aux Indes un commerce maritime; et les rois de Syrie, qui eurent les provinces les plus orientales de l'empire, et par conséquent les Indes,

' Il dit, au livre XII, que les Romains y employoient cent vingt navires; et au livre xvII, que les rois grecs y en envoyoient à peine vingt.

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