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CHAPITRE XII.

Hle de Délos. Mithridate.

Corinthe ayant été détruite par les Romains, les marchands se retirèrent à Délos: la religion et la vénération des peuples faisoient regarder cette île comme un lieu de sûreté1; de plus, elle étoit très bien située pour le commerce de l'Italie et de l'Asie, qui, depuis l'anéantissement de l'Afrique et l'affoiblissement de la Grèce, étoit devenu plus impor

tant.

Dès les premiers temps, les Grecs envoyèrent, comme nous avons dit, des colonies sur la Propontide et le Pont-Euxin: elles conservèrent sous les Perses leurs lois et leur liberté. Alexandre, qui n'étoit parti que contre les Barbares, ne les attaqua pas 2. Il ne paroît pas même que les rois de Pont, qui en occupèrent plusieurs, leur eussent 3 ôté leur gouvernement politique.

La puissance 4 de ces rois augmenta sitôt qu'ils

1 Strabon, liv. x.

Il confirma la liberté de la ville d'Amise, colonie athénienne, qui avoit joui de l'état populaire même sous les rois de Perse. Lucullus, qui prit Sinope et Amise, leur rendit la liberté, et rappela les habitants qui s'étoient enfuis sur leurs vaisseaux.

3 Voyez ce qu'écrit Appien sur les Phanagoréens, les Amisiens, les Sinopiens, dans son livre de la Guerre contre Mithridate.

4 Voyez Appien, sur les trésors immenses que Mithridate employa

les eurent soumises. Mithridate se trouva en état

d'acheter partout des troupes, de réparer1 continuellement ses pertes, d'avoir des ouvriers, des vaisseaux, des machines de guerre, de se procurer des alliés, de corrompre ceux des Romains et les Romains mêmes, de soudoyer2 les barbares de l'Asie et de l'Europe, de faire la guerre longtemps, et par conséquent de discipliner ses troupes: il put les armer et les instruire dans l'art militaire 3 des Romains, et former des corps considérables de leurs transfuges : enfin, il put faire de grandes pertes et souffrir de grands échecs sans périr: et il n'auroit point péri, si, dans les prospérités, le roi voluptueux et barbare n'avoit pas détruit ce que, dans la mauvaise fortune, avoit fait le grand prince.

C'est ainsi que, dans le temps que les Romains étoient au comble de la grandeur, et qu'ils sembloient n'avoir à craindre qu'eux-mêmes, Mithridate remit en question ce que la prise de Carthage, les défaites de Philippe, d'Antiochus, et de Persée, avoient décidé. Jamais guerre ne fut plus funeste; et les deux partis ayant une grande puis

dans ses guerres, ceux qu'il avoit cachés, ceux qu'il perdit si souvent par la trahison des siens, ceux qu'on trouva après sa mort.

' Il perdit une fois 170,000 hommes, et de nouvelles armées reparurent d'abord.

2 Voyez Appien, de la Guerre contre Mithridate.

3 Ibid.

sance et des avantages mutuels, les peuples de la Grèce et de l'Asie furent détruits, ou comme amis de Mithridate, où comme ses ennemis. Délos fut enveloppée dans le malheur commun. Le commerce tomba de toutes parts: il falloit bien qu'il fût détruit, les peuples l'étoient.

Les Romains, suivant un système dont j'ai parlé ailleurs, destructeurs pour ne pas paroître conquérants, ruinèrent Carthage et Corinthe; et par une telle pratique, ils se seroient peut-être perdus, s'ils n'avoient pas conquis toute la terre. Quand les rois de Pont se rendirent maîtres des colonies

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grecques du Pont-Euxin, ils n'eurent garde de détruire ce qui devoit être la cause de leur grandeur.

CHAPITRE XIII.

Du génie des Romains pour la marine.

Les Romains ne faisoient cas que des troupes de terre, dont l'esprit étoit de rester toujours ferme, de combattre au même lieu, et d'y mourir. Ils ne pouvoient estimer la pratique des gens de mer, qui se présentent au combat, fuient, reviennent, évitent toujours le danger, emploient la ruse, rarement la force. Tout cela n'étoit point du génie

Dans les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains.

des Grecs1, et étoit encore moins de celui des Romains.

Ils ne destinoient donc à la marine que ceux qui n'étoient pas des citoyens assez.considérables pour avoir place dans les légions : les gens de mer étoient ordinairement des affranchis.

Nous n'avons aujourd'hui ni la même estime pour les troupes de terre ni le même mépris pour celles de mer. Chez les premiers3 l'art est diminué; chez les seconds4 il est augmenté: or on estime les choses à proportion du degré de suffisance qui est requis pour les bien faire,

CHAPITRE XIV.

Du génie des Romains pour le commerce.

On n'a jamais remarqué aux Romains de jalousie sur le commerce : ce fut comme nation rivale, et non comme nation commerçante, qu'ils attaquèrent Carthage. Ils favorisèrent les villes qui faisoient le commerce, quoiqu'elles ne fussent pas sujettes: ainsi ils augmentèrent, par la cession de plusieurs pays, la puissance de Marseille. Ils crai

1 Comme l'a remarqué Platon, liv, Iv, des Lois.

2

Polybe, liv. v.

3 Voyez les Considérations sur les causes de la grandeur des Romains, etc. 4 Ibid.

gnoient tout des Barbares, et rien d'un peuple négociant; d'ailleurs leur génie, leur gloire, leur éducation militaire, la forme de leur gouvernement, les éloignoient du commerce.

Dans la ville, on n'étoit occupé que de guerres, d'élections, de brigues et de procès; à la campagne, que d'agriculture; et, dans les provinces, un gouvernement dur et tyrannique étoit incompatible avec le commerce.

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Que si leur constitution politique y étoit opposée, leur droit des gens n'y répugnoit pas moins. Les peuples, dit le jurisconsulte Pomponius', << avec lesquels nous n'avons ni amitié, ni hospitalité, ni alliance, ne sont point nos ennemis : cependant, si une chose qui nous appartient << tombe entre leurs mains, ils en sont propriétaires; les hommes libres deviennent leurs es<< claves, et ils sont dans les mêmes termes à notre égard. >>

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Leur droit civil n'étoit pas moins accablant. La loi de Constantin, après avoir déclaré bâtards les enfants des personnes viles qui se sont mariées avec celles d'une condition relevée, confond les femmes qui ont une boutique de marchandises avec les esclaves, les cabaretières, les femmes de théâtre, les filles d'un homme qui tient un lieu de

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Leg. v, Sa, ff. de captivis.

Quæ mercimoniis publicè præfuit. Leg. 1, cod. de natural. liberis.

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