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baignoient leur empire? Il est vrai qu'Alexandre conquit les Indes; mais faut-il conquérir un pays pour y négocier ? J'examinerai ceci.

L'Ariane', qui s'étendoit depuis le golfe Persique jusqu'à l'Indus, et de la mer du Midi jusqu'aux montagnes des Paropamisades, dépendoit bien en quelque façon de l'empire des Perses; mais dans sa partie méridionale elle étoit aride, brûlée, inculte et barbare. La tradition 2 portoit que les armées de Sémiramis et de Cyrus avoient péri dans ces déserts; et Alexandre, qui se fit suivre par sa flotte, ne laissa pas d'y perdre une grande partie de son armée. Les Perses laissoient toute la côte au pouvoir des Ichthyophages 3, des Orittes et autres peuples barbares; d'ailleurs les Perses n'étoient pas navigateurs, et leur religion même leur ôtoit toute idée de commerce maritime 4. La navigation que Darius fit faire sur l'Indus et la mer des Indes fut plutôt une fantaisie d'un prince qui veut montrer sa puissance, que le projet réglé d'un monarque qui veut l'employer. Elle n'eut de suite ni pour le commerce ni pour la marine; et si l'on sortit de l'ignorance ce fut pour y retomber.

'Strabon, liv. xv.

2 Ibid.

3 Pline, liv. VI,

chap. xxII; Strabon, liv. xv.

4 Pour ne point souiller les éléments, ils ne naviguoient pas sur les fleuves. M. Hyde, Religion des Perses. Encore aujourd'hui ils n'ont point de commerce maritime, et ils traitent d'athées ceux qui

vont sur mer.

I

Il y a plus, il étoit reçu avant l'expédition d'Alexandre que la partie méridionale des Indes étoit inhabitable 2; ce qui suivoit de la tradition que Sémiramis 3 n'en avoit ramené que vingt hommes, et Cyrus que sept.

Alexandre entra par le nord. Son dessein étoit de marcher vers l'orient; mais ayant trouvé la partie du midi pleine de grandes nations, de villes et de rivières, il en tenta la conquête et la fit.

Pour lors il forma le dessein d'unir les Indes avec l'occident par un commerce maritime, comme il les avoit unies par des colonies qu'il avoit établies dans les terres.

Il fit construire une flotte sur l'Hydaspe, descendit cette rivière, entra dans l'Indus et navigua jusqu'à son embouchure. Il laissa son armée et sa flotte à Patale, alla lui-même avec quelques vaisseaux reconnoître la mer, marqua les lieux où il voulut que l'on construisît des ports, des havres, des arsenaux. De retour à Patale, il se sépara de sa flotte, et prit la route de terre pour lui donner du secours et en recevoir. La flotte suivit la côte depuis l'embouchure de l'Indus, le long du rivage des Orittes, des Ichthyophages, de la Ca

des

pays

1 Strabon, liv. xv.

2 Hérodote, in Melpomene, dit que Darius conquit les Indes. Cela ne peut être entendu que de l'Ariane : encore ne fut-ce qu'une conquête en idée.

3 Strabon, liv. xv.

ramanie et de la Perse. Il fit creuser des puits, bâtir des villes; il défendit aux Ichthyophages de vivre de poisson; il vouloit que les bords de cette mer fussent habités par des nations civilisées. Néarque et Onésicrite ont fait le journal de cette navigation, qui fut de dix mois. Ils arrivèrent à Suse; ils y trouvèrent Alexandre qui donnoit des fêtes à son armée.

Ce conquérant avoit fondé Alexandrie dans la vue de s'assurer de l'Égypte : c'étoit une clef pour l'ouvrir dans le lieu même où les rois ses prédécesseurs avoient une clef pour la fermer2; et il ne songeoit point à un commerce dont la découverte de la mer des Indes pouvoit seule lui faire naître la pensée.

Il paroît même qu'après cette découverte il n'eut aucune vue nouvelle sur Alexandrie. Il avoit bien en général le projet d'établir un commerce entre les Indes et les parties occidentales de son empire;

' Ceci ne sauroit s'entendre de tous les Ichthyophages, qui habitoient une côte de dix mille stades. Comment Alexandre auroit-il pu leur donner la subsistance? Comment se seroit-il fait obéir? Il ne peut être ici question que de quelques peuples particuliers. Néarque, dans le livre Rerum indicarum, dit qu'à l'extrémité de cette côte, du côté de la Perse, il avoit trouvé les peuples moins ichthyophages. Je croirois que l'ordre d'Alexandre regardoit cette contrée, ou quelque autre encore plus voisine de la Perse.

2 Alexandrie fut fondée dans une plage appelée Racotis. Les anciens rois y tenoient une garnison pour défendre l'entrée du pays aux étrangers, et surtout aux Grecs, qui étoient, comme on sait, de grands pirates. Voyez Pline, liv. vi, chap. x; et Strabon, liv. XVIII.

mais, pour le projet de faire ce commerce par l'Égypte, il lui manquoit trop de connoissances pour pouvoir le former. Il avoit vu l'Indus, il avoit vu le Nil; mais il ne connoissoit point les mers d'Arabie qui sont entre deux. A peine fut-il arrivé des Indes qu'il fit construire de nouvelles flottes, et navigua' sur l'Euleus, le Tigre, l'Euphrate et la mer; il ôta les cataractes que les Perses avoient mises sur ces fleuves : il découvrit que le sein Persique étoit un golfe de l'Océan. Comme il alla reconnoître cette mer, ainsi qu'il avoit reconnu celle des Indes; comme il fit construire un port à Babylone pour mille vaisseaux, et des arsenaux; comme il envoya cinq cents talents en Phénicie et en Syrie pour en faire venir des nautoniers qu'il vouloit placer dans les colonies qu'il répandoit sur les côtes; comme enfin il fit des travaux immenses sur l'Euphrate et les autres fleuves de l'Assyrie, on ne peut douter que son dessein ne fût de faire le commerce des Indes par Babylone et le golfe Persique.

Quelques gens, sous prétexte qu'Alexandre vouloit conquérir l'Arabie 3, ont dit qu'il avoit formé le dessein d'y mettre le siége de son empire; mais comment auroit-il choisi un lieu qu'il ne connois

'Arrien, de exped. Alexandri, liv. VII.

Ibid.

3 Strabon, liv. xvi, à la fin.

soit pas ? D'ailleurs c'étoit le pays du monde le plus incommode; il se seroit séparé de son empire. Les califes, qui conquirent au loin, quittèrent d'abord l'Arabie pour s'établir ailleurs.

CHAPITRE IX.

Du commerce des rois grecs après Alexandre.

Lorsque Alexandre conquit l'Egypte, on connoissoit très peu la mer Rouge, et rien de cette partie de l'Océan qui se joint à cette mer, et qui baigne d'un côté la côte d'Afrique, et de l'autre celle de l'Arabie: on crut même depuis qu'il étoit impossible de faire le tour de la presqu'île d'Arabie. Ceux qui l'avoient tenté de chaque côté avoient abandonné leur entreprise. On disoit : «<Comment << seroit-il possible de naviguer au midi des côtes << de l'Arabie, puisque l'armée de Cambyse, qui la « traversa du côté du nord, périt presque toute; « et que celle que Ptolomée, fils de Lagus, envoya « au secours de Séleucus Nicator à Babylone, souf

<< frit des maux incroyables, et, à cause de la cha

«

<< leur, ne put marcher que la nuit? >>

«

1

Les Perses n'avoient aucune sorte de navigation.

Voyant la Babylonie inondée, il regardoit l'Arabie, qui en est

proche, comme une île. Aristobule, dans Strabon, liv. xvi.

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