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CHAPITRE VII..

Du commerce des Grecs.

Les premiers Grecs étoient tous pirates. Minos, qui avoit eu l'empire de la mer, n'avoit eu peutêtre que de plus grands succès dans les brigandages son empire étoit borné aux environs de son île. Mais lorsque les Grecs devinrent un grand peuple, les Athéniens obtinrent le véritable empire de la mer, parce que cette nation commerçante et victorieuse donna la loi au monarque le plus puissant d'alors, et abattit les forces maritimes de la Syrie, de l'île de Chypre, et de la Phénicie.

I

Il faut que je parle de cet empire de la mer qu'eut Athènes. « Athènes, dit Xénophon

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x l'empire de la mer : mais comme l'Attique tient « à la terre, les ennemis la ravagent, tandis qu'elle a fait ses expéditions au loin. Les principaux « laissent détruire leurs terres, et mettent leurs << biens en sûreté dans quelque île : la populace,

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qui n'a point de terres, vit sans aucune inquié« tudé. Mais si les Athéniens habitoient une île et << avoient outre cela l'empire de la mer, ils auroient « le pouvoir de nuire aux autres sans qu'on pût

Le roi de Perse.
De republ. Athen.

« leur nuire, tandis qu'ils seroient les maîtres de << la mer. » Vous diriez que Xénophon a voulu parler de l'Angleterre.

Athènes remplie de projets de gloire, Athènes qui augmentoit la jalousie au lieu d'augmenter l'influence, plus attentive à étendre son empire maritime qu'à en jouir, avec un tel gouvernement politique que le bas peuple se distribuoit les revenus publics tandis que les riches étoient dans l'oppression, ne fit point ce grand commerce que lui promettoient le travail de ses mines, la multitude de ses esclaves, le nombre de ses gens de mer, son autorité sur les villes grecques, et plus que tout cela les belles institutions de Solon. Son négoce fut presque borné à la Grèce et au PontEuxin, d'où elle tira sa subsistance.

Corinthe fut admirablement bien située : elle sépara deux mers, ouvrit et ferma le Péloponèse, et ouvrit et ferma la Grèce. Elle fut une ville de la plus grande importance dans un temps où le peuple grec étoit un monde, et les villes grecques des nations elle fit un plus grand commerce qu'Athènes. Elle avoit un port pour recevoir les marchandises d'Asie; elle en avoit un autre pour recevoir celles d'Italie; car comme il y avoit de grandes difficultés à tourner le promontoire Malée, où des vents opposés se rencontrent et

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I

Voyez Strabon, liv. vii.

causent des naufrages, on aimoit mieux aller à Corinthe, et l'on pouvoit même faire passer par terre les vaisseaux d'une mer à l'autre. Dans aucune ville on ne porta si loin les ouvrages de

l'art.

La religion acheva de corrompre ce que son opulence lui avoit laissé de mours. Elle érigea un temple à Vénus, où plus de mille courtisanes furent consacrées : c'est de ce séminaire que sortirent la plupart de ces beautés célèbres dont Athénéé a osé écrire l'histoire.

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Il paroît que du temps d'Homère l'opulence de la Grèce étoit à Rhodes, à Corinthe et à Orchomène. « Jupiter, dit-il 1, aima les Rhodiens, et leur << donna de grandes richesses. » Il donne à Corinthe' l'épithète de riche; de même, quand il veut parler des villes qui ont beaucoup d'or, il cite Orchomène 3 qu'il joint à Thèbes d'Égypte. Rhodes et Corinthe conservèrent leur puissance, et Orchomène la perdit. La position d'Orchomène près de l'Hellespont, de la Propontide et du PontEuxin, fait naturellement penser qu'elle tiroit ses richesses d'un commerce sur les côtes de ces mers, qui avoit donné lieu à la fable de la toison d'or: et effectivement le nom de Miniares est donné à

1 Iliade, liv. II.

2 Ibid.

3 Ibid., liv. 1x, vers 381. Voyez Strahon, liv. 1x, pag. 414, édit.

de 1620.

Orchomène1 et encore aux Argonautes. Mais comme dans la suite ces mers devinrent plus connues, que les Grecs y établirent un très grand nombre de colonies, que ces colonies négocièrent avec les peuples barbares, qu'elles communiquèrent avec leur métropole, Orchomène commença à déchoir, et elle rentra dans la foule des autres villes grecques.

Les Grecs avant Homère n'avoient guère négocié qu'entre eux et chez quelque peuple barbare; mais ils étendirent leur domination à mesure qu'ils formerent de nouveaux peuples. La Grèce étoit une grande péninsule dont les caps sembloient avoir fait reculer les mers, et les golfes s'ouvrirent de tous côtés comme pour les recevoir encore. Si l'on jette les yeux sur la Grèce, on verra dans un pays assez resserré une vaste étendue de côtes. Ses colonies innombrables faisoient une immense circonférence autour d'elle, et elle y voyoit pour ainsi dire tout le monde qui n'étoit pas barbare. Pénétra-t-elle en Sicile et en Italie, elle y forma des nations. Navigua-t-elle vers les mers du Pont, vers les côtes de l'Asie mineure, vers celles d'Afrique, elle en fit de même. Ses villes acquirent de la prospérité à mesure qu'elles se trouvèrent près de nouveaux peuples; et ce qu'il y avoit d'admirable, des îles sans nombre situées comme en première ligne l'entouroient encore.

'Strabon, liv. 1x, pag. 414.

DE L'ESPRIT DES LOIS. T. II.

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Quelles causes de prospérité pour la Grèce, que des jeux qu'elle donnoit pour ainsi dire à l'univers, des temples où tous les rois envoyoient des offrandes, des fêtes où l'on s'assembloit de toutes parts, des oracles qui faisoient l'attention de toute la curiosité humaine, enfin le goût et les arts portés à un point que de croire les surpasser sera toujours ne les pas connoître !

CHAPITRE VIII.

D'Alexandre. Sa conquête.

Quatre événements arrivés sous Alexandre firent dans le commerce une grande révolution; la prise de Tyr, la conquête de l'Égypte, celle des Indes, et la découverte de la mer qui est au midi de ce pays.

L'empire des Perses s'étendoit jusqu'à l'Indus 1. Long-temps avant Alexandre, Darius 2 avoit envoyé des navigateurs qui descendirent ce fleuve et allèrent jusqu'à la mer Rouge. Comment donc les Grecs furent-ils les premiers qui firent par le midi le commerce des Indes? Comment les Perses ne l'avoient-ils pas fait auparavant? Que leur servoient des mers qui étoient si proches d'eux, des mers qui

I Strabon, liv. xv.

2 Hérodote, in Melpomene.

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