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LIVRE XXI.

DES LOIS, DANS LE RAPPORT QU'ELLES ONT
AVEC LE COMMERCE

CONSIDÉRÉ DANS LES RÉVOLUTIONS
QU'IL A EUES DANS LE MONDE.

CHAPITRE PREMIER.

Quelques considérations générales.

Quoique le commerce soit sujet à de grandes révolutions, il peut arriver que de certaines causes physiques, la qualité du terrain ou du climat, fixent pour jamais sa nature.

I

Nous ne faisons aujourd'hui le commerce des Indes que par l'argent que nous y envoyons. Les Romains y portoient toutes les années environ cinquante millions de sesterces; cet argent, comme le nôtre aujourd'hui, étoit converti en marchandises qu'ils rapportoient en Occident tous les peuples qui ont négocié aux Indes y ont toujours porté des métaux, et en ont rapporté des marchandises.

C'est la nature même qui produit cet effet. Les

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Indiens ont leurs arts qui sont adaptés à leur manière de vivre. Notre luxe ne sauroit être le leur, ni nos besoins être leurs besoins. Le climat ne leur demande ni ne leur permet presque rien de ce qui vient de chez nous. Ils vont en grande partie nus; les vêtements qu'ils ont, le pays les leur fournit convenables; et leur religion, qui a sur eux tant d'empire, leur donne de la répugnance pour les choses qui nous servent de nourriture. Ils n'ont donc besoin que de nos métaux, qui sont les signes des valeurs, et pour lesquels ils donnent des marchandises que leur frugalité et la nature de leur pays leur procurent en grande abondance. Les auteurs anciens qui nous ont parlé des Indes nous les dépeignent telles que nous les voyons aujourd'hui, quant à la police, aux manières et aux mœurs. Les Indes ont été, les Indes seront ce qu'elles sont à présent; et dans tous les temps, ceux qui négocieront aux Indes y porteront de l'argent et n'en rapporteront pas.

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▲ Voyez Pline, liv. vi, chap. xix; et Strabon, liv. xv.

CHAPITRE II.

Des peuples d'Afrique.

La plupart des peuples des côtes de l'Afrique sont sauvages ou barbares. Je crois que cela vient beaucoup de ce que des pays presque inhabitables séparent de petits pays qui peuvent être habités. Ils sont sans industrie; ils n'ont point d'arts; ils ont en abondance des métaux précieux qu'ils tiennent immédiatement des mains de la nature. Tous les peuples policés sont donc en état de négocier avec eux avec avantage; ils peuvent leur faire estimer beaucoup des choses de nulle valeur, et en recevoir un très grand prix.

CHAPITRE III.

Que les besoins des peuples du midi sont différents de ceux des peuples du nord.

Il y a dans l'Europe une espèce de balancement entre les nations du midi et celles du nord. Les premières ont toutes sortes de commodités pour la vie et peu de besoins; les secondes ont beaucoup de besoins et peu de commodités pour la vie. Aux unes la nature a donné beaucoup, et elles ne lui demandent que peu; aux autres la nature donne

DE L'ESPRIT DES LOIS. T. II.

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peu, et elles lui demandent beaucoup. L'équilibre se maintient par la paresse qu'elle a donnée aux nations du midi, et par l'industrie et l'activité qu'elle a données à celles du nord; ces dernières sont obligées de travailler beaucoup, sans quoi elles manqueroient de tout et deviendroient barbares. C'est ce qui a naturalisé la servitude chez les peuples du midi : comme ils peuvent aisément se passer de richesses, ils peuvent encore mieux se passer de liberté; mais les peuples du nord ont besoin de la liberté, qui leur procure plus de moyens de satisfaire tous les besoins que la nature leur a donnés. Les peuples du nord sont donc dans un état forcé s'ils ne sont libres ou barbares : presque tous les peuples du midi sont en quelque façon dans un état violent s'ils ne sont esclaves.

CHAPITRE IV.

Principale différence du commerce des anciens d'avec celui d'aujourd'hui.

Le monde se met de temps en temps dans des situations qui changent le commerce. Aujourd'hui le commerce de l'Europe se fait principalement du nord au midi; pour lors la différence des climats fait que les peuples ont un grand besoin des marchandises les uns des autres. Par exemple, les

boissons du midi portées au nord forment une espèce de commerce que les anciens n'avoient guère; aussi la capacité des vaisseaux qui se mesuroit autrefois par muids de bled se mesure-t-elle aujourd'hui par tonneaux de liqueurs.

Le commerce ancien que nous connoissons, se faisant d'un port de la Méditerranée à l'autre', étoit presque tout dans le midi : or les peuples du même climat ayant chez eux à peu près les mêmes choses n'ont pas tant de besoin de commercer entre eux que ceux d'un climat différent. Le commerce en Europe étoit done autrefois moins étendu qu'il ne l'est à présent; ceci n'est point contradictoire avec ce que j'ai dit de notre commerce des Indes la différence excessive du climat fait les besoins relatifs sont nuls.

que

CHAPITRE V.

Autres différences.

Le commerce, tantôt détruit par les conquérants, tantôt gêné par les monarques, parcourt la terre, fuit d'où il est opprimé, se repose où on le laisse respirer : il règne aujourd'hui où l'on ne voyoit que des déserts, des mers et des rochers; là où il régnoit il n'y a que des déserts.

A voir aujourd'hui la Colchide, qui n'est plus

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