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Voici la raison qu'on en donne. Un capitaine qui a besoin de lester son vaisseau prendra du marbre; il a besoin de bois, pour l'arrimage, il en achètera, et, pourvu qu'il n'y perde rien, il croira avoir beaucoup fait : c'est ainsi que la Hollande a aussi ses carrières et ses forêts..

Non seulement un commerce qui ne donne rien peut être utile, un commerce même désavantageux peut l'être. J'ai ouï dire en Hollande que la pêche de la baleine en général ne rend presque jamais ce qu'elle coûte; mais ceux qui ont été employés à la construction du vaisseau, ceux qui ont fourni les agrès, les apparaux, les vivres, sont aussi ceux qui prennent le principal intérêt à cette pêche. Perdissent-ils sur la pêche, ils ont gagné sur les fournitures. Ce commerce est une espèce de loterie, et chacun est séduit par l'espérance d'un billet noir. Tout le monde aime à jouer; et les gens les plus sages jouent volontiers, lorsqu'ils ne voient point les apparences du jeu, ses égarements, ses violences, ses dissipations, la perte du temps, et même de toute la vie.

CHAPITRE VII.

Esprit de l'Angleterre sur le commerce.

L'Angleterre n'a guère de tarif réglé avec les autres nations; son tarif change pour ainsi dire à chaque parlement, par les droits particuliers qu'elle ôte ou qu'elle impose. Elle a voulu encore conserver sur cela son indépendance: souverainement jalouse du commerce qu'on fait chez elle, elle se lie peu par des traités, et ne dépend que de ses lois.

D'autres nations ont fait céder des intérêts du commerce à des intérêts politiques; celle-ci a toujours fait céder ses intérêts politiques aux inté rêts de son commerce.

C'est le peuple du monde qui a le mieux su se prévaloir à la fois de ces trois grandes choses, la religion, le commerce et la liberté.

CHAPITRE VIII.

Comment on a gêné quelquefois le commerce d'économie.

On a fait dans certaines monarchies des lois très propres à abaisser les états qui font le commerce d'économie. On leur a défendu d'apporter d'autres marchandises que celles du crû de leur

pays; on ne leur a permis de venir trafiquer qu'avec des navires de la fabrique du pays où ils

viennent.

Il faut que l'état qui impose ces lois puisse aisément faire lui-même le commerce; sans cela il se fera pour le moins un tort égal. Il vaut mieux avoir affaire à une nation qui exige peu, et que les besoins du commerce rendent en quelque façon dépendante; à une nation qui, par l'étendue de ses vues ou de ses affaires, sait où placer toutes les marchandises superflues; qui est riche, et peut se charger de beaucoup de denrées; qui les paiera promptement; qui a pour ainsi dire des nécessités d'être fidèle; qui est pacifique par principe; qui cherche à gagner et non pas à conquérir : il vaut mieux, dis-je, avoir affaire à cette nation qu'à d'autres toujours rivales, et qui ne donneroient pas tous ces avantages.

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CHAPITRE IX.

De l'exclusion en fait de commerce.

La vraie maxime est de n'exclure aucune nation de son commerce sans de grandes raisons. Les Japonais ne commercent qu'avec deux nations, la chinoise et la hollandaise. Les Chinois' gagnent mille

Le P. Duhalde, tom. 11, pag. 170.

:

pour cent sur le sucre, et quelquefois autant sur les retours les Hollandois font des profits à peu près pareils. Toute nation qui se conduira sur les maximes japonaises sera nécessairement trompée: c'est la concurrence qui met un prix juste aux marchandises, et qui établit les vrais rapports entre elles.

Encore moins un état doit-il s'assujettir à ne vendre ses marchandises qu'à une seule nation, sous prétexte qu'elle les prendra toutes à un certain prix, Les Polonois ont fait pour leur blé ce marché avec la ville de Dantzick; plusieurs rois des Indes ont de pareils contrats pour les épiceries avec les Hollandois. Ces conventions ne sont propres qu'à une nation pauvre, qui veut bien perdre l'espérance de s'enrichir pourvu qu'elle ait une subsistance assurée, ou à des nations dont la servitude consiste à renoncer à l'usage des choses que la nature leur avoit données, ou à faire sur ces choses un commerce désavantageux.

1 Cela fut premièrement établi par les Portugais. Voyages de Francois Pyrard, chap. xv, part. II.

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CHAPITRE X.

Établissement propre au commerce d'économie.

Dans les états qui font le commerce d'économie on a heureusement établi des banques qui, par leur crédit, ont formé de nouveaux signes des valeurs. Mais on auroit tort de les transporter dans les états qui font le commerce de luxe : les mettre dans des pays gouvernés par un seul, c'est supposer l'argent d'un côté, et de l'autre la puissance; c'est-à-dire d'un côté la faculté de tout avoir sans aucun pouvoir, et de l'autre le pouvoir avec la faculté de rien du tout. Dans un gouvernement pareil il n'y a jamais eu que le prince qui ait eu ou qui ait pu avoir un trésor; et partout où il y dès qu'il est excessif, il devient d'abord

en a un,

le trésor du prince.

Par la même raison, les compagnies de négociants qui s'associent pour un certain commerce conviennent rarement au gouvernement d'un seul. La nature de ces compagnies est de donner aux richesses particulieres la force des richesses publiques; mais dans ces états cette force ne peut se trouver que dans les mains du prince. Je dis plus, elles ne conviennent pas toujours dans les états où l'on fait le commerce d'économie; et, si les affaires ne sont si grandes qu'elles soient au dessus de la

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