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dommagé par les habitants, chacun pour sa quote

part.

CHAPITRE III.

De la pauvreté des peuples.

Il y a deux sortes de peuples pauvres : ceux que la dureté du gouvernement a rendus tels; et ces gens-là sont incapables de presque aucune vertu, parce que leur pauvreté fait une partie de leur servitude: les autres ne sont pauvres que parce qu'ils ont dédaigné ou parce qu'ils n'ont pas connu les commodités de la vie; et ceux-ci peuvent faire de grandes choses, parce que cette pauvreté fait une partie de leur liberté.

CHAPITRE IV.

Du commerce dans les divers gouvernements.

Le commerce a du rapport avec la constitution. Dans le gouvernement d'un seul, il est ordinairement fondé sur le luxe; et, quoiqu'il le soit aussi sur les besoins réels, son objet principal est de procurer à la nation qui le fait tout ce qui peut servir à son orgueil, à ses délices et à ses fantaisies. Dans le gouvernement de plusieurs, il est

plus souvent fondé sur l'économie. Les négociants ayant l'oeil sur toutes les nations de la terre portent à l'une ce qu'ils tirent de l'autre. C'est ainsi que les républiques de Tyr, de Carthage, d'Athènes, de Marseille, de Florence, de Venise et de Hollande, ont fait le commerce.

Cette espèce de trafic regarde le gouvernement de plusieurs par sa nature, et le monarchique par occasion; car, comme il n'est fondé que sur la pratique de gagner peu, et même de gagner moins qu'aucune autre nation, et de ne se dédommager qu'en gagnant continuellement, il n'est guère possible qu'il puisse être fait par un peuple chez qui le luxe est établi, qui dépense beaucoup, et qui ne voit que de grands objets.

C'est dans ces idées que Cicéron disoit si bien : « Je n'aime point qu'un même peuple soit en << même temps le dominateur et le facteur de « l'univers. » En effet, il faudroit supposer que chaque particulier dans cet état, et tout l'état même, eussent toujours la tête pleine de grands projets, et cette même tête remplie de petits, ce qui est contradictoire.

Ce n'est pas que dans ces états qui subsistent par le commerce d'économie on ne fasse aussi les plus grandes entreprises, et que l'on n'y ait une

1 Nolo eumdem populum imperatorem et portitorem esse ter

rarum.

hardiesse qui ne se trouve pas dans les monarchies. En voici la raison.

Un commerce mène à l'autre, le petit au médiocre, le médiocre au grand; et celui qui a eu tant d'envie de gagner peu se met dans une situation où il n'en a pas moins de gagner beau

coup.

De plus, les grandes entreprises des négociants sont toujours nécessairement mêlées avec les affaires publiques; mais dans les monarchies, les affaires publiques sont la plupart du temps aussi suspectes aux marchands qu'elles leur paroissent sûres dans les états républicains. Les grandes entreprises de commerce ne sont donc pas pour les monarchies, mais pour le gouvernement de plu

sieurs.

En un mot, une plus grande certitude de sa prospérité, que l'on croit avoir dans cès états, fait tout entreprendre; et, parce qu'on croit être sûr de ce que l'on a acquis, on ose l'exposer pour acquérir davantage; on ne court de risque que sur les moyens d'acquérir: or les hommes espèrent beaucoup de leur fortune.

Je ne veux pas dire qu'il y ait aucune monarchie qui soit totalement exclue du commerce d'économie, mais elle y est moins portée par sa nature. Je ne veux pas dire que les républiques que nous connoissons soient entièrement privées

du commerce de luxe, mais il a moins de rapport à leur constitution.

Quant à l'état despotique, il est inutile d'en parler. Règle générale : dans une nation qui est dans la servitude on travaille plus à conserver qu'à acquérir; dans une nation libre on travaille plus à acquérir qu'à conserver.

CHAPITRE V.

Des peuples qui ont fait le commerce d'économie.

Marseille, retraite nécessaire au milieu d'une mer orageuse; Marseille, ce lieu où tous les vents, lės bancs de la mer, la disposition des côtes, ordonnent de toucher, fut fréquentée par les gens de mer. La stérilité de son territoire détermina ses citoyens au commerce d'économie. Il fallut qu'ils fussent laborieux, pour suppléer à la nature qui se refusoit; qu'ils fussent justes, pour vivre parmi les nations barbares qui devoient faire leur prospérité; qu'ils fussent modérés, pour que leur gouvernement fût toujours tranquille; enfin qu'ils eussent des mœurs frugales, pour qu'ils pussent toujours vivre d'un commerce qu'ils conserve roient plus sûrement lorsqu'il seroit moins avantageux.

Justin, liv. XLIII, chap. II.

On a vu partout la violence et la vexation donner naissance au commerce d'économie, lorsque les hommes sont contraints de se réfugier dans les marais, dans les îles, les bas-fonds de la mer et ses écueils même. C'est ainsi que Tyr, Venise et les villes de Hollande furent fondées; les fugitifs y trouvèrent leur sûreté. Il fallut subsister; ils tirèrent leur subsistance de tout l'univers.

CHAPITRE VI.

Quelques effets d'une grande navigation.

Il arrive quelquefois qu'une nation qui fait le commerce d'économie, ayant besoin d'une mar chandise d'un pays qui lui serve de fonds pour se procurer les marchandises d'un autre, se contente de gagner très peu, et quelquefois rien sur les unes, dans l'espérance ou la certitude de gagner beaucoup sur les autres. Ainsi, lorsque la Hollande faisoit presque seule le commerce du midi au nord de l'Europe, les vins de France qu'elle portoit au nord ne lui servoient en quelque manière que de fonds pour faire son commerce dans

le nord.

On sait que souvent en Hollande de certains genres de marchandise venue de loin ne s'y vendent pas plus cher qu'ils n'ont coûté sur les lieux mêmes.

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