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livre déjà cité Principes socialistes, enfin dans la revue intitulée Le Devenir social, fondée presque exclusivement, en 1895, pour l'élucidation de la philosophie et de l'économie marxistes, et qui comptait parmi ses collaborateurs M. Kautsky, le dépositaire de la doctrine depuis la mort d'Engels.

Le système de Marx et d'Engels, malgré son unité, n'est pas sorti tout armé de leur cerveau. Il a ses origines dans la philosophie allemande, le socialisme français, et le mouvement ouvrier anglais au milieu du siècle. A Hegel, Marx a emprunté l'idée du perpétuel devenir; famille, propriété, religion, n'ont rien d'immuable, de sacré. Le matérialisme marxiste se rattache à celui de Feuerbach. L'idéal n'est que le reflet du réel dans l'esprit de l'homme. Toute la sociologie de Marx découle de sa psychologie, qui le rapproche de ce dédaigneux aristocrate La Rochefoucauld, et ne diffère pas sensiblement de celle des économistes classiques. Ce sont les mauvais instincts, c'est le Boese, à quoi nous devons, comme le veut Hegel, la marche vers le progrès. Le marxisme n'est pas immoral, il est amoral. Les intérêts créent des groupes d'intéressés, c'est-àdire des classes sociales en lutte les unes avec les autres. Marx et Engels ont emprunté à Augustin Thierry, à Guizot, leur théorie de la lutte des classes: M. Plechanow le montre surabondamment dans un article du Devenir social. Depuis 1830, la bourgeoisie triomphante voit se dresser devant elle le prolétariat créé par la grande industrie; et cette transformation industrielle porte dans ses flancs une société nouvelle. Il ne s'agit, en effet, dans toutes les luttes de l'histoire, que des intérêts matériels, le développement économique étant, d'après Marx, le fondement de toute vie sociale. C'est là le résumé trop succinct de sa conception matérialiste de l'histoire.

Toutes les sociologies se ramènent à un premier principe différent. Renan aperçoit surtout dans le développement de l'humanité l'aspect religieux. Buckle pose, en unique loi du progrès, l'accroissement de l'intelligence et de la science; et M. Tarde a repris cette thèse, en donnant un rôle prépondérant à l'invention et à l'imitation. Marx ne voit à travers l'histoire que des transformations économiques, dominant la vie sociale, politique, religieuse, intellectuelle. Cette thèse n'est pas le dernier mot de la sociologie; mais elle jette des rayons de lumière sur des faits laissés dans l'ombre par les historiens; elle éclaire l'histoire d'un nouveau jour.

On a comparé Marx à Darwin, on l'a rapproché de Balzac. Sous toutes les passions et les institutions humaines, Balzac dévoile le rôle, l'importance de la richesse, de la question d'argent.

Dans une étude sur les mœurs bourgeoises, publiée par le Devenir social, M. Bonnier fait alterner les citations de Balzac avec celles de Marx. On a considéré l'évolution des genres littéraires au point de vue du darwinisme M. Lafargue observe l'évolution de la langue, avant et après 1789, l'école romantique sous l'Empire et la Restauration, à la lumière de la théorie marxiste des classes, et se rencontre avec Mme de Staël, qu'il faudrait ainsi ranger parmi les précurseurs de Karl Marx.

A la philosophie marxiste de l'histoire se rattache étroitement le système d'économie socialiste de Marx. Autrefois, avec le système du petit atelier, la production était individuelle, ainsi que le profit. Les progrès du machinisme tendent de plus en plus à concentrer les capitaux entre quelques mains, et à prolétariser les masses ne vivant que de salaires, exposées aux crises et au paupérisme. La production est collective, la répar

tition, individuelle. Le résultat est fatal: les expropriateurs seront expropriés. Ainsi, la société capitaliste fournit elle-même les instruments de sa ruine.

Dans son livre le Capital, Marx analyse cette évolution du capital. Il a un point de contact avec Proudhon, lorsqu'il prétend établir que les profits capitalistes sont faits de travail non payé, prélevés sur le salaire normal de l'ouvrier. Mais, dans son troisième volume, n'a t-il pas restreint au passé cette théorie qui n'est guère soutenable dans le présent ? On se souvient de la curieuse discussion qui s'est élevée à la Chambre sur ce sujet entre M. Deschanel et M. Guesde. M. Guesde contestait à M. Deschanel une citation empruntée à Engels lui-même dans le Devenir social, et lui reprochait, le premier jour, une coquille matérielle, et, le second jour, après vérification, une coquille intellectuelle; lorsqu'il semble bien, d'après une note de la Société nouvelle, que c'est M. Guesde qui n'a pas compris Marx. D'ailleurs, le Capital, de l'aveu de Liebknecht, est comme la Bible on l'interprète dans tous les sens, en se dispensant souvent de le lire. La noix est si dure que les exégètes risquent de s'y casser les dents.

La théorie marxiste, aussi bien historique qu'économique, a pour but principal d'animer les masses de l'esprit de lutte des classes et de leur donner une sécurité absolue, quant au résultat de cette lutte, présenté comme une nécessité de nature.

Les marxistes ont fondé, dans tous les pays, des partis qui ont leur centre de gravité en Allemagne. En France, le parti marxiste a commencé à s'organiser à partir de 1877, sous l'influence de M. Guesde, de M. Lafargue, de M. Deville.

Le marxisme porte l'empreinte indélébile du temps où il a été conçu. Au même titre que la philosophie

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Marx Pape infaillible. Il fait remarquer que le mier volume du Capital est seul traduit en français, t le reste est encore plongé dans l'ombre du sancire, en sorte que les fidèles sont obligés de suppléer r la foi à la familiarité du texte sacré.

Mais ce serait une grande erreur d'attacher à ces erelles théoriques plus d'importance qu'elles n'en t en réalité. En dépit du désaccord sur Benoît alon, M. Jaurès a fait un grand éloge du livre de . Deville. Les sectes se divisent, non sur des quesons de théorie, mais sur la tactique et la discipline, est-à-dire sur la meilleure méthode pour réaliser le remier but du socialisme, qui est de s'emparer du ouvoir. C'est sur ce point que les blanquistes, les yndicaux révolutionnaires, les anarchistes se sépaent des marxistes.

En matière de tactique, les marxistes français et alemands ont eux-mêmes varié. Ils maintiennent intanrible le principe de la lutte implacable des classes, jusqu'à l'expropriation définitive des capitalistes ; mais ils faisaient autrefois appel à la force, «< accoucheuse des sociétés ». Aujourd'hui qu'ils pénètrent dans les corps élus grâce au suffrage universel, ils ne veulent. plus entendre parler que de conquête légale du pouvoir par le bulletin de vote. Ils répudient la « grève générale » et mettent au second rang la lutte économique.

Enfin il est une question sur laquelle les marxistes français, et une partie des Allemands, répudient absolument l'autorité de Marx et d'Engels. Ils corrigent la doctrine marxiste, ce que M. Deville reproche avec tant de sarcasme à Benoît Malon. La théorie fondamentale se transforme sous les nécessités de la tactique en matière de propagande agraire. Les formules d'expropriation et de collectivisme n'inspireront jamais

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