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fauvages (a); tout les fait trembler, tout les fait fuir.

Dans cet état, chacun fe fent inférieur ; à. peine chacun fe fent-il égal. On ne chercheroit donc point à s'attaquer, & la paix feroit la premiere loi naturelle.

Le defir que Hobbes donne d'abord aux hommes, de fe fubjuguer les uns les autres, n'eft pas raifonnable. L'idée de l'empire & de la domination eft fi compofée, & dépend de tant d'autres idées , que ce ne feroit pas celle qu'il

auroit d'abord.

Hobbes demande pourquoi, fi les hommes ne font pas naturellement en état de guerre, ils vont toujours armés, & pourquoi ils ont des clefs pour fermer leurs maifons? Mais on ne fent pas que l'on attribue aux hommes avant l'établissement des fociétés, ce qui ne peut leur arriver qu'àprès cet établiffement, qui leur fait trouver des motifs pour s'attaquer & pour fe défendre.

Au fentiment de fa foibleffe, l'homme joindroit le fentiment de fes befoins. Ainfi une autre loi naturelle feroit celle qui lui inspireroit de chercher à fe nourrir.

:

J'ai dit que la crainte porteroit les hommes à fe fuir mais les marques d'une crainte réciproque les engageroit bientôt à s'approcher. D'ailleurs, ils y feroient portés par le plaifir qu'un animal fent à l'approche d'un animal de fon efpece. De plus, ce charme que les deux fexes s'infpirent par leur différence, augmenteroit ce

,

(a) Témoin le fauvage qui fut trouvé dans les forêts de Hanover, & que l'on vit en Angleterre fous le legne de Georges L.

plaifir; & la priere naturelle qu'ils fe font toujours l'un à l'autre, feroit une troisieme loi.

Outre le fentiment que les hommes ont d'abord, ils parviennent encore à avoir des connoiffances; ainfi ils ont un fecond lien que les autres animaux n'ont pas. Ils ont donc un nouveau motif de s'unir; & le defir de vivre en fociété eft une quatrieme loi naturelle.

SI-TOT

CHAPITRE II I.

Des Lois pofitives.

que les hommes font en fociété, ils perdent le fentiment de leur foibleffe ; l'égalité qui étoit entr'eux ceffe, & l'état de guerre com

mence.

Chaque fociété particuliere vient à sentir sa force; ce qui produit un état de guerre de nation à nation. Les particuliers dans chaque fociété commencent à fentir leurs forces; ils cherchent à tourner en leur faveur les principaux avantages de cette fociété : ce qui fait entr'eux un état de guerre.

Ces deux fortes d'état de guerre font établir les lois parmi les hommes. Considérés comme habitans d'une fi grande planete qu'il eft néceffaire qu'il y ait différens peuples, ils ont des lois dans le rapport que ces peuples ont entr'eux; & c'est le DROIT DES GENS. Confidérés comme vivans dans une fociété qui doit être maintenue, ils ont des lois dans le rapport qu'ont ceux qui gouvernent avec ceux qui font gouvernés; & c'est le DROW POLITIQUE. His

en ont encore dans le rapport que tous les citoyens ont ent'reux; & c'eft le DROIT CIVIL.

Le droit des gens eft naturellement fondé fur ce principe; que les diverfes nations doivent fe faire dans la paix le plus de bien, & dans la guerre le moins de mal qu'il eft poffible, fans nuire à leurs véritables intérêts.

L'objet de la guerre, c'est la victoire ; celui de la victoire, la conquête; celui de la conquête, la confervation. De ce principe & du précédent doivent dériver toutes les lois qui forment le droit des gens.

Toutes les nations ont un droit des gens ; & les Iroquois même, qui mangent leurs prifonniers, en ont un. Ils envoient & reçoivent des ambasfades; ils connoiffent des droits de la guerre & de la paix: le mal eft que ce droit des gens n'eft pas fondé fur les vrais principes.

Outre le droit des gens qui regarde toutes les fociétés, il y a un droit politique pour chacune. Une fociété ne fauroit fubfifter fans un gouvernement. La réunion de toutes les forces pariculieres, dit tres bien GRAVINA, forme ce qu'on appelle l'état politique.

La force générale peut être placée entre les mains d'un feul, ou entre les mains de plufieurs. Quelques-uns ont penfé que la nature ayant établi le pouvoir paternel, le gouvernement d'un feul étoit le plus conforme à la nature. Mais l'exemple du pouvoir paternel ne prouve rien. Car fi le pouvoir du pere a du rapport au gou vernement d'un feul; après la mort du pere, le pouvoir des freres, ou après la mort des frères, celui des coufins-germains, ont du rapport au gouvernement de plufieurs. La puiffance politique comprend néceffairement l'union de plufieurs familles.

Il vaut mieux dire que le gouvernement le plus conforme à la nature, eft celui dont la difpofition particuliere fe rapporte mieux à la disposition du peuple pour lequel il eft

établi.

Les forces particulieres ne peuvent fe réunir, fans que toutes les volontés fe réuniffent La. réunion de ces volontés, dit encore très bien GRAVINA, eft ce qu'on appelle l'ÉTAT CIVIL.

La loi, en général, eft la raison humaine, en tant qu'elle gouverne tous les peuples de la terre; & les lois politiques & civiles de chaque nation, ne doivent être que les cas particuliers où s'applique cette raison humaine.

Elles doivent être tellement propres au peuple pour lequel elles font faites, que c'est un très grand hafard fi celles d'une nation peuvent convenir à une autre.

Il faut qu'elles fe rapportent à la nature & au principe du gouvernement qui est établi ou qu'on veut établir; foit qu'elles le forment, comme font les lois politiques; foit qu'elles le maintiennent, comme font les lois civiles.

Elles doivent être relatives au phyfique du pays, au climat, glacé, brûlant ou tempéré; à la qualité du terrein, à sa situation, à fa grandeur; au genfe de vie des peuples, laboureurs, chaffeurs, ou pafteurs: elles doivent se rapporter au degré de liberté, que la conftitution peut fouffrir; à la religion des habitans, à leurs inclinations, à leurs richeffes, à leur nombre, à leur commerce, à leurs mœurs, à leurs manieres. Enfin, elles ont des rapports entr'elles; elles en ont avec leur origine, avec l'objet du législateur, avec l'ordre des chofes fur lesquelles

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elles font établies. C'est dans toutes ces vues qu'il faut les confidérer.

C'est ce que j'entrepends de faire dans cet ouvrage. J'examinerai tous ces rapports; ils forment tous ensemble ce que l'on appelle l'ESPRIT DES LOIS.

Je n'ai point féparé les lois politiques des civiles: Car comme je ne traite point des lois, mais de l'efprit des lois ; & que cet efprit confifte dans les divers rapports que les lois peuvent avoir avec diverfes chofes; j'ai dû moins fuivre l'ordre naturel des lois, que celui de ces rapports & de ces chofes.

J'examinerai d'abord les rapports que les lois ont avec la nature & avec le principe de chaque gouvernement: & comme ce principe a fur les lois une fuprême influence, je m'attacherai à le bien connoître ; & fi je puis une fois l'établir, on en verra couler les lois comme de leur fource. Je pafferai enfuite aux autres rapports, qui femblent être plus particuliers.

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