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et sans attentat; elle l'est surtout, parce que la personne s'est assuré cette place en la fécondant par son travail. Ce n'est pas la loi, ce n'est pas un contrat social qui ont créé la propriété ; elle dérive des sources les plus pures du droit naturel; elle est naturelle à l'homme comme la liberté et l'activité de ses facultés. Elle est tellement inséparable de la nature humaine, qu'il est impossible de concevoir l'homme vivant et se conservant sans ce droit consubstantiel. Le sauvage le connaît et le pratique comme l'homme de la civilisation. Ses flèches, son carquois, les fruits de sa chasse et de sa pêche, voilà la propriété en petit, mais la propriété dans toute sa plénitude. La propriété foncière n'est pas autre chose que ce même droit appliqué à la terre par l'homme plus industrieux (1).

(1) La doctrine qu'on vient d'exposer ici est celle de Reid (trad. de M. Jouffroy, t. V, p. 363) et de M. Cousin, Philosophie morale, p. 15.

J'ai dit ci-dessus que c'est aussi celle de Locke. Sa dissertation est pleine de force et de bon sens.

CHAPITRE IV.

Conséquence de ce qui précède. - Des transmissions de la propriété.

Puisque le droit de propriété est exclusif; puisque ce droit est absolu à l'égal de tous les droits qui ne sont limités par aucun temps ni aucune condition; puisque le propriétaire en doit jouir librement, dans toute société où règne la justice; il s'ensuit qu'il peut aliéner, suivant sa volonté, la chose appropriée, convertir la valeur du sol en argent par une vente, convertir l'argent en valeur du sol par un achat. Le droit de propriété engendre nécessairement les échanges. Sans le droit de propriété, il n'y aurait ni commerce, ni mouvement dans la richesse, ni émulation dans l'industrie.

Je parlais tout à l'heure de Diogène occupant une place au soleil; on me demande s'il aurait pu la vendre. Qui en doute? Ne voyonsnous pas tous les jours des exemples de ce trafic? La foule se met à la file, à la porte d'un

spectacle. Les premiers occupants ne vendentils pas souvent leur place aux derniers venus? Qui a jamais songé à se récrier contre cet acte de droit naturel? Or, c'est ce qu'ont fait, avec un droit égal, les premiers possesseurs du sol. Ils ont mis à leur place une personne à laquelle ils ont transmis leur droit d'occupation. Le droit qu'ils exerçaient par eux-mêmes, ils ont donné à un autre le droit de l'exercer en leur remplacement.

Si on peut vendre sa chose, on peut aussi la louer; car qui peut le plus, peut le moins. C'est même une chose très-favorable au commerce et à la communication des biens propres, que le contrat de louage. Un cheval vous est nécessaire pour labourer votre champ, et vous n'en avez cependant pas. N'est-il pas avantageux pour vous de trouver le mien à louer? J'ai une terre dont l'exploitation me donne des bénéfices. Un cultivateur voisin, n'ayant pas d'occupation, me demande de lui en procurer, en lui laissant l'entreprise de la culture de cette terre, moyennant un prix convenu. Quel contrat plus utile pour nous deux que ce contrat de bail à ferme? Moi, que le travail des champs fatigue, je

vais me livrer à d'autres fonctions non moins utiles à la société, au commerce, à l'étude des lois, au métier des armes, à l'art de guérir. D'un autre côté, le cultivateur, au lieu de rester sans rien faire, trouve, dans la participation que je lui donne de ma chose, une matière à spéculation et un emploi lucratif de son temps. Une telle convention est ce que les jurisconsultes appellent un contrat commutatif, à cause de l'échange d'avantages qui en résulte. La propriété rend service à l'industrie, et réciproque

ment.

On voit par là s'il est vrai que le contrat de bail ait été inventé par la propriété égoïste et oisive. Pothier possédait à Orléans des maisons qu'il louait. Était-il un oisif inutile, lui qui rendait la justice, professait le droit, et consacrait au travail et à l'étude plus d'heures que le soleil n'en voit s'écouler dans sa marche diurne? Je suis bien aise, pour mon compte, que Montesquieu ait affermé ses domaines pour consacrer tout son temps à la composition de l'Esprit des Lois.

Mais faisons une supposition qui nous porte à l'origine des choses. Un navigateur qui est allé

chercher fortune au loin, a occupé une terre sans maître; elle était inféconde : il l'a fertilisée, il y a bâti, planté, semé. Mais le travail lui devenant pesant, il songe à se reposer; il n'a que des enfants en bas âge, encore incapables de le remplacer. Que fera-t-il? Si un fermier se présente, lui sera-t-il défendu de lui louer sa terre? Sera-t-il juste, à l'heure du déclin de ses forces, de lui enlever le fruit de ses sueurs et de ses avances, sous prétexte qu'il ne travaille plus ? Dieu s'est reposé le septième jour, et il serait défendu à l'homme de se reposer dans sa vieillesse!

Comme le droit de vendre et de louer est attaché au droit de propriété, le droit de donner gratuitement est aussi un de ses plus beaux et de ses plus doux priviléges. De là, la donation, la succession et le testament, par lesquels la propriété se communique et se déplace, à titre de libéralité. On s'est demandé si ces transmissions gratuites sont de l'essence de la propriété, si elles découlent de la nature des choses, si elles ne sont pas plutôt un établissement créé dans une utilité civile. Pour résoudre cette question, il suffit de regarder de près à ce que

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