Oui, de la fleur des champs tu suivras le destin; Et toi, fruit de l'amour, vas-tu voir la lumière, La vie est ce ruisseau par le fleuve englouti; Chaque jour, chaque instant vers ce fleuve s'écoule, Si la vie est si courte et le temps si rapide, O toi dont le mérite égale la grandeur, La gloire est une fleur qu'un léger vent flétrit, 66 O mon Dieu, que j'ai froid! O maman, que j'ai faim!"' Toi, peuple canadien, aujourd'hui malheureux, Tu souffres, mais n'importe; obéis à ta reine : De ton Dieu sur la terre elle porte l'image; Et quels seraient les fruits d'une rébellion? Mais, peuple, tu frémis; ton âme est effrayée, Prends patience, ô peuple, et sois obéissant 1839. LE BANNI. STANCES. Sous un beau ciel, je pleure, je soupire; La nuit, le jour, pour moi tout est sans charmes, Pour moi serait un monde de bonheur ! Comme une fleur, sur sa tige penchée, Et que la mort de son doigt a touchée, Oh! vent léger qui chasses les nuages, 1839. DERNIÈRES LETTRES D'UN CONDAMNÉ (1). I. M. DE LORIMIER (2) ANNONÇANT SON SORT À SON COUSIN. Prison de Montréal, 12 février 1839. Mon cher cousin et ami, Quelque douleur que j'aie à vous communiquer dans ce jour de malheur la triste nouvelle qui vient de m'être annoncée, je dois le faire sans hésitation: mes devoirs dus à votre générosité, à votre bonté, le souvenir de vos bienfaits, me l'ordonnent et je m'y soumets. M. Day vient de m'avertir de me préparer à la mort pour vendredi. Tous vos efforts pour sauver votre malheureux cousin ont été inutiles; mais à l'heure suprême je ne vous en suis pas moins reconnaissant; on ne doit pas juger d'une chose par le succès ou l'irréussite qui ont accompagné la tentative: vous avez tout fait en votre pouvoir pour moi, voilà ce que je considère et ce pourquoi je vous offre les sentiments de la plus profonde gratitude. Il me reste une chose à vous demander: allez, je vous prie, allez voir ma chère Henriette, c'est à vous de lui offrir les consolations qu'elle pourra goûter. Pauvre épouse! je vois, je sens son sein déchiré par la peine; éclater en sanglots! mais, quoique naturels, à quoi servent-ils ? mon sort est fixé, la mort est inévitable, il faut la voir arri (1) La famille de feu M. Chevalier de Lorimier a eu la bonté de nous communiquer, par l'entremise d'un ami, plusieurs lettres autographes et copie de lettres autographes de ce courageux martyr politique. Ayant copié nousmême celles-ci, nous les garantissons conformes aux originaux et aux copies que l'on nous a transmis. Ces lettres semblent avoir été écrites très à la bâte, ce qui explique, selon nous, les incorrections de style qu'on y rencontre. (2) M. De Lorimier, notaire de profession, a été exécuté à Montréal, le 15 janvier 1839, avec Hindenlang, Nicolas, Norbert et Daunais, en vertu d'une sentence prononcée par la Cour Martiale, que Sir John Colborne avait instituée pour juger les insurrectionnaires de 1838. ver de notre mieux...... plus on est faible, plus la mort a d'horreur. D'ailleurs ne vais-je pas passer par la voie ordinaire à tous les hommes? Si ma mort arrive un peu plus tôt, elle est pour des motifs dont je ne puis rougir: je meurs en sacrifice à mon pays. Puisse sa cause désolée en recueillir quelques fruits! Assurez votre Dame de mon amitié constante et de mes respects, et vous, mon cher cousin, vivez heureux et pensez quelquefois à un homme plus malheureux que coupable. Votre cousin et ami, CHEVALIER DE LORIMIER. II. M. DE LORIMIER ANNONÇANT SON SORT À SON ÉPOUSE. Ma chère Henriette, Prison de Montréal, 12 février 1839. ....Dans ce monde tout change à l'instant: aujourd'hui espérance, demain désespoir. Il faut s'attendre à avoir des malheurs dans la vie humaine, c'est le sort qui attend tous les hommes. Non seulement l'homme montre du courage, de la grandeur d'âme dans les vicissitudes, les dangers et les malheurs, mais la femme se montre sa rivale dans plus d'une occasion. Je te prie de te montrer digne de moi, et de montrer à tes enfants le courage et la vertu d'une femme chrétienne. Quel que soit le sort qui m'attend, qui peut-être sera funeste, ne te laisses pas aller à la douleur, mais pense et vis pour tes enfants qui ont grandement besoin de toi. Je ne dois plus te le dissimuler, mon sort est fixé...... Mon cher cousin Chevalier te le dira de vive voix, je l'en ai chargé par une lettre. Aujourd'hui à trois heures P. M., la notification m'a été donnée par M. Day et M. Muller, en même temps qu'à l'infortuné Hindenlang, de me préparer pour vendredi prochain. Comme il ne me reste que bien peu de temps dans ce monde, je te prie de venir demain matin, si toutefois on ne t'en prive pas. |