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Oui, de la fleur des champs tu suivras le destin;
Ta fraîcheur durera l'espace d'un matin.

Et toi, fruit de l'amour, vas-tu voir la lumière,
Ou trouver un tombeau dans le sein de ta mère ?

La vie est ce ruisseau par le fleuve englouti;
Et le temps est ce fleuve à la mer réuni.

Chaque jour, chaque instant vers ce fleuve s'écoule,
Et ce fleuve, à son tour, vers cette mer se roule.
Mais cette immense nier, qu'est-ce? l'éternité!
L'homme ? c'est un peu d'eau dans l'océan jeté.

Si la vie est si courte et le temps si rapide,
A tous tes pas, mortel, que la vertu préside.
Secours ton ennemi tombé dans le malheur;
Et que jamais l'orgueil ne réside en ton cœur.
Et pardonne l'injure et méprise l'offense;
A mon avis, c'est là la plus noble vengeance.
Sois ferme en tes desseins, sage dans tes désirs,
Puis en tout modéré, jusques en tes plaisirs ;
Ennemi des flatteurs et de la calomnie,
Et surtout de l'ingrat, de l'odieuse envie.
Aie le lâche, et le fourbe, et le traître en horreur,
Et cet homme surtout, cet homme sans honneur,
Qu'on voit comme le vent sans cesse variable,
Qu'on voit comme la cire en tout sens maniable,
Qui même du tyran lèche les mains, les pieds,
S'il veut bien lui donner pour prix quelques deniers.
Démasque le mensonge, et confonds l'injustice;
Au riche, au pauvre, au grand, au petit rends justice,
Et sois fidèle époux, bon père, ami constant,
Et vieillard respectable, enfant obéissant,
Et serviteur soumis, doux et généreux maître,
Citoyen respecté, du moins digne de l'être,
Et sensible au malheur, et toujours le soutien
Et de la veuve nue et du pauvre orphelin,
Toujours le défenseur du roi, de sa couronne,
Soumis même cent ans au tyran sur le trône.

O toi dont le mérite égale la grandeur,
Qui commandes en roi, digne de cet honneur,
Songe qu'un seul faux pas peut ravir des trophées,
Et détruire ta gloire, œuvre de vingt années :

La gloire est une fleur qu'un léger vent flétrit,
La glace d'un miroir que mon souffle ternit.
Et veux-tu dans mon cœur occuper une place?
A mon frère aveuglé, trop coupable, fais grâce.
Entends-tu ses enfants sans toit, sans feu, sans pain:

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O mon Dieu, que j'ai froid! O maman, que j'ai faim!"'
Dieu ne t'a fait puissant que pour sécher leurs larmes,
Pour appaiser leur faim, dissiper leurs alarmes.
Sans tache à tes enfants veux-tu léguer ton nom?
Envers tous, à toute heure, et sois juste et sois bon.
Fais tes sujets heureux, ce nom vivra mille âges:
Oui, c'est là le plus beau de tous les beaux ouvrages.

Toi, peuple canadien, aujourd'hui malheureux,
Qui pleures sur la terre où riaient tes aïeux,
Dont le frère est chassé d'où l'enfanta sa mère,
Plus souffrant que l'esclave où fut si bien ton père,
De ta condition je connais la rigueur ;
Moi-même de ton sort je partage l'aigreur ;

Tu souffres, mais n'importe; obéis à ta reine :
Comme elle a Dieu pour roi, tu l'as pour souveraine
Le seul maître des cieux l'a faite ce qu'elle est,
Et tu lui dois amour, fidélité, respect.

De ton Dieu sur la terre elle porte l'image;
Se rebeller contre elle est à Dieu faire outrage.

Et quels seraient les fruits d'une rébellion?
La gloire de ton maître et ta confusion,
Et la mort de ta fille au printemps de la vie,
D'un père déjà vieux, d'une épouse chérie ;
Et ton champ sans clôture et ta maison sans toit,
Et le foyer fumant d'un sang qu'un pourceau boit!
Mille guerriers détruits, leurs clos pour cimetières,
Leurs propres vêtements pour linceuls et pour bières ;
La honte et les mépris pour pain à ton neveu,
Les débris de ton nom, l'abandon de ton Dieu!

Mais, peuple, tu frémis; ton âme est effrayée,
Et de ton front découle une sueur glacée.
Tu frémis, et tant mieux: une fois révolté,
Ton Dieu te laisserait à l'instant, sans pitié,
Ou mourir dans le crime, ou croupir dans la fange.
Démons, qui vous a faits? La révolte d'un ange !

Prends patience, ô peuple, et sois obéissant
A la reine, à l'état comme au Dieu tout-puissant.
Après un grand orage un jour il fera calme;
Pour le juste qui souffre aux cieux est une palme.
Prends patience, ô peuple; ils finiront tes maux,
Ils viendront les beaux jours avec des ans nouveaux.

1839.

LE BANNI.

STANCES.

Sous un beau ciel, je pleure, je soupire;
Dans un air pur, à peine je respire..
Ce ciel, cet air, ce n'est pas mon pays!...
La mer est calme et le soleil s'y mire,
Moi, je suis calme et je sens que j'expire,
Sur une terre où je n'ai pas d'amis !...

La nuit, le jour, pour moi tout est sans charmes,
Tout me déplaît; tout fait couler mes larmes!...
Pourquoi des fleurs? ce n'est pas là ma fleur.
Un seul brin d'herbe, un brin d'herbe flétrie,
S'il arrivait de ma chère patrie,

Pour moi serait un monde de bonheur !

Comme une fleur, sur sa tige penchée,

Et que la mort de son doigt a touchée,
Je sens s'éteindre et ma vie et mon cœur.
Du nord au sud, alors qu'on la transplante,
Vous la voyez mourir, la pauvre plante;
La nuit pour elle a perdu sa fraîcheur.

Oh! vent léger qui chasses les nuages,
Emporte-moi sur un de tes orages!
Emporte-moi comme un triste soupir!...
A mon désir que ton aile se ploie;
Oh, mon pays! qu'un instant je te voie,
Que je te voie, et je pourrai mourir.

1839.

DERNIÈRES LETTRES D'UN CONDAMNÉ (1).

I.

M. DE LORIMIER (2) ANNONÇANT SON SORT À SON COUSIN. Prison de Montréal, 12 février 1839.

Mon cher cousin et ami,

Quelque douleur que j'aie à vous communiquer dans ce jour de malheur la triste nouvelle qui vient de m'être annoncée, je dois le faire sans hésitation: mes devoirs dus à votre générosité, à votre bonté, le souvenir de vos bienfaits, me l'ordonnent et je m'y soumets. M. Day vient de m'avertir de me préparer à la mort pour vendredi. Tous vos efforts pour sauver votre malheureux cousin ont été inutiles; mais à l'heure suprême je ne vous en suis pas moins reconnaissant; on ne doit pas juger d'une chose par le succès ou l'irréussite qui ont accompagné la tentative: vous avez tout fait en votre pouvoir pour moi, voilà ce que je considère et ce pourquoi je vous offre les sentiments de la plus profonde gratitude. Il me reste une chose à vous demander: allez, je vous prie, allez voir ma chère Henriette, c'est à vous de lui offrir les consolations qu'elle pourra goûter. Pauvre épouse! je vois, je sens son sein déchiré par la peine; éclater en sanglots! mais, quoique naturels, à quoi servent-ils ? mon sort est fixé, la mort est inévitable, il faut la voir arri

(1) La famille de feu M. Chevalier de Lorimier a eu la bonté de nous communiquer, par l'entremise d'un ami, plusieurs lettres autographes et copie de lettres autographes de ce courageux martyr politique. Ayant copié nousmême celles-ci, nous les garantissons conformes aux originaux et aux copies que l'on nous a transmis. Ces lettres semblent avoir été écrites très à la bâte, ce qui explique, selon nous, les incorrections de style qu'on y rencontre.

(2) M. De Lorimier, notaire de profession, a été exécuté à Montréal, le 15 janvier 1839, avec Hindenlang, Nicolas, Norbert et Daunais, en vertu d'une sentence prononcée par la Cour Martiale, que Sir John Colborne avait instituée pour juger les insurrectionnaires de 1838.

ver de notre mieux...... plus on est faible, plus la mort a d'horreur. D'ailleurs ne vais-je pas passer par la voie ordinaire à tous les hommes? Si ma mort arrive un peu plus tôt, elle est pour des motifs dont je ne puis rougir: je meurs en sacrifice à mon pays. Puisse sa cause désolée en recueillir quelques fruits!

Assurez votre Dame de mon amitié constante et de mes respects, et vous, mon cher cousin, vivez heureux et pensez quelquefois à un homme plus malheureux que coupable. Votre cousin et ami,

CHEVALIER DE LORIMIER.

II.

M. DE LORIMIER ANNONÇANT SON SORT À SON ÉPOUSE.

Ma chère Henriette,

Prison de Montréal, 12 février 1839.

....Dans ce monde tout

change à l'instant: aujourd'hui espérance, demain désespoir. Il faut s'attendre à avoir des malheurs dans la vie humaine, c'est le sort qui attend tous les hommes. Non seulement l'homme montre du courage, de la grandeur d'âme dans les vicissitudes, les dangers et les malheurs, mais la femme se montre sa rivale dans plus d'une occasion. Je te prie de te montrer digne de moi, et de montrer à tes enfants le courage et la vertu d'une femme chrétienne. Quel que soit le sort qui m'attend, qui peut-être sera funeste, ne te laisses pas aller à la douleur, mais pense et vis pour tes enfants qui ont grandement besoin de toi. Je ne dois plus te le dissimuler, mon sort est fixé...... Mon cher cousin Chevalier te le dira de vive voix, je l'en ai chargé par une lettre. Aujourd'hui à trois heures P. M., la notification m'a été donnée par M. Day et M. Muller, en même temps qu'à l'infortuné Hindenlang, de me préparer pour vendredi prochain. Comme il ne me reste que bien peu de temps dans ce monde, je te prie de venir demain matin, si toutefois on ne t'en prive pas.

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