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Quand d'une abondante rosée,
Cérès fructifiait ses moissons;
Aux doux accents de l'hirondelle,
Tu joignais des accords si gais,
Que la plaintive tourterelle
Semblait quitter les bois, les prés.

Aux mois de juillet et d'auguste,
Lorsque Philomèle endormait
Les petits du haut d'un arbuste,
Paisiblement tu sommeillais.

Qu'il te souvienne encore que lasse
Des ardeurs de l'astre du jour,
Avec une naïve grâce,

Tu protestais contre l'amour.

En septembre, où Pômone étale
La richesse de ses présents,
Quand, d'une tendresse amicale
Un fruit violait ses serments;
Te souvient-il qu'assis à l'ombre,
Sur un gazon jonché de fleurs,
Quelque fois vêtus d'un deuil sombre,
Nous venions partager nos pleurs?

En janvier qui toujours recèle
Les autans les plus rigoureux,
A ma voix sans cesse fidèle,
L'aube du jour ouvrait tes yeux.
Bannissant le Dieu des ténèbres,
Sans craindre de blesser sa loi,
Tu fuyais sa fuite funèbre,
Et ton cœur soupirait pour moi.

Dans ces temps, que tu m'étais chère!

Etrangère aux ruses d'amants,

Quand tu connaissais l'art de plaire,
Bien que tu n'eusses que douze ans !
Sensible, constante et sincère,
Ton seul guide était l'amitié,
Garde que l'enfant de Cythère
De tes seize ans n'ait pas pitié.

ROMUALD CHERRIER.

1838.

SUR LA MORT D'UN ENFANT.

Quoi! descendre sitôt dans cette voûte sombre?
-Oh! non, je monte aux cieux!

Le trépas pour un ange est un songe pieux,
Ne troublons pas son ombre!...

Pourquoi de son tombeau flétrir les jeunes fleurs?
Amis, séchons plutôt de paternelles pleurs,
Car cet ange n'est plus aux genoux de sa mère,
Le soir, pour prier Dieu,

Il ne goûtera plus des caresses d'un père...
Son autre père est au sublime lieu!
Adoré de deux cœurs qu'il comblait de délice,
Ce séraphique enfant

A consommé déjà son trop court sacrifice,
Sacrifice innocent!

Tendre frère des anges,
Je n'ai pas de louanges

Pures comme tes ans :

Je me plaisais en vain à rêver ton printemps,
A sourire aux projets de la plus tendre mère,
A bénir tes succès devant ton pauvre père !
Le ciel a moissonné son jeune lys en fleur,
Et c'est au ciel aussi qu'est fixé ton bonheur !..... ́

J. G. BARTHE.

1838.

À L'HONORABLE L. J. PAPINEAU.

Hélas! déchu de ton sublime espoir,

Ma muse te suivra sur la terre étrangère,
Où l'ombre te grandit comme l'astre du soir!
Elle honore ton nom, car mon cœur le vénère.
Ta grande âme s'épure au creuset du malheur,
Et ton cœur se nourrit de souvenir d'honneur!
O fils aîné de ma patrie!

O toi! de ton pays et l'orgueil et l'espoir!
Evoque ton passé comme un vivant miroir.

Un monument s'élève à ton génie,

Ce monument est immortel:

L'amour te l'érigea dans l'âme de tes frères

Comme on bâtit un saint autel

Pour transmettre à nos fils le culte de leurs pères !...

Qu'importe que mes pleurs suivent ton souvenir
Quand le malheur dévore un si grand avenir ?...
Ta chute, ton exil rend ma lyre muette...
Mais, c'est à te chanter que grandit un poète!
Sacré martyr de liberté !

Gémiras-tu longtemps dans ta captivité ?
As-tu vu périr ta mémoire ?

Au livre du destin ton nom a-t-il pâli?
Ne trouverait-il plus une page de gloire,
Ce nom que tu gravas au cœur d'un ennemi ?...
Tu vieillis de jours d'infortune

Pour rajeunir à la prospérité :

Ton astre a son déclin,—le soleil et la lune
S'effacent dans la nue au temps d'obscurité :
Mais leur splendeur plus pure

Rayonne la nature

Quand ils viennent tout radieux

Reprendre leur beau cours dans la voûte des cieux :
Tel, sur le Canada, comme une étoile heureuse
Renaît, en souriant, la nuit voluptueuse,

Tu reviendras, un jour, brillant de ton éclat,
Régner dans la tribune et gouverner l'Etat !
O Papineau! j'ai chéri ta mémoire

Et je ne mourrai pas sans chanter ta victoire!
Ton front n'a pas courbé sous le sceptre des rois,
A ce front plébéïen, nivelant la couronne,

Ton cœur n'adore pas le prostitué d'un trône
Ni ses serviles lois !

Les cœurs de tout un peuple ont frémi d'être esclaves
Et palpité de liberté :

A la voix de Nelson la cohorte de braves,
Sous l'immortel drapeau marchant avec fierté,
Sut mêler son sang pur à du sang mercenaire
Dont a rougi nos fers la marâtre Angleterre !
Et toi, brave Chénier, magnanime héros,
Dont la cendre sacrée éveille nos sanglots,

Ton vengeur sortira du champ où tu reposes!
Sur le tertre où tu dors, il est des lauriers-roses
Qui devaient couronner ton front...
Dans la foule des morts le trépas te confond,
Mais ces mots, à jamais, se liront sur ta tombe:
"Un martyr gît ici pour qu'une larme y tombe!"

J. G. BARTHB.

1838.

AUX EXILÉS POLITIQUES CANADIENS.

Salut! concitoyens, foulez la terre amie,

Foulez le sol sacré de la patrie!

Sur la plage lointaine, où le crime gémit,
Où le repentir pleure... un généreux proscrit,
Un Nelson, un Gauvin, un Masson, un Bouchette,
Noms de héros chantés sur la mâle trompette,
Des Rivières, Goddu, Marchessault et Viger
Dont les fronts plébéïens, ceints du noble olivier,
Devaient courber plus tard sous le faix de la gloire,
Pouvaient-ils dans la honte expier leur valeur ?
L'égide de l'honneur

Portégeait leur mémoire !...

Les tyrans ont pâli, souillés d'iniquité,

Et, près de s'engloutir sous les débris du trône,
Ils se sont moins joués des droits d'humanité ;
Ah! c'est que dans la fange ils jetaient leur couronne !

Les fils des Canadas, amants de liberté,
Perdant leur vain espoir dans un sceptre insensé
Et d'un généreux sang rachetant leur patrie,
Bravèrent dans nos champs la mitraille ennemie ;
O peuple! jette un funèbre feston

Sur leur tombeau... bats le mâle clairon!
Couvre de drapeaux sombres

Les tombeaux et leurs ombres !...

Baise leur cendre sainte au fond de leur cercueil,

Erige un monument qui fasse ton orgueil,

Leurs noms, en traits de feu, dans ta généreuse ame
Sont gravés pour jamais!

Rois, vous portes en vain et le fer et la flamme
Si loin de vos palais !

Un roi doit-il régner sur un peuple d'esclaves?
Doit-il sous un vil joug courber les fronts des braves?...

Martyrs sanctifiés par de mâles exploits,
Le trépas vous soustrait à de honteuses lois !
Le peuple honorera vos noms, votre mémoire,
Vos ombres avec lui chanteront la victoire !
O peuple! jette un funèbre feston

Sur leur tombeau... bâts le mâle clairon!
Couvre de drapeaux sombres

Les tombeaux et leurs ombres !...

Mais vous, qui, dans l'exil, consumant de beaux jours,
Avez flétri vos pas dans la fange des crimes,
Vous, qu'un fer assassin réclamait pour victimes,
Que de vils ennemis, sanguinaires vautours,
Jetaient à l'échafaud, en ignoble pâture,
Vous avez affronté le fer et la torture
Et l'homicide bras souillé de déshonneur!

La peur n'a pas molli vos âmes généreuses :
(Dans le sein des héros il bat un si grand cœur!)
Si le destin rendit vos armes malheureuses,
Si Mars vous a ravi la palme des combats,
Si vous ne fûtes point les plus heureux soldats,
Vous êtes succombés du moins avec vaillance.
Un seul fils d'Albion et sept fils de la France
Que l'honneur fit soldats,

Qu'on vit briguer la gloire en tête des combats,
Payèrent dans l'exil leur valeur héroïque :
Ceignons-leur aujourd'hui la couronne civique!
O peuple! tresse un glorieux feston,
Chante et bats le mâle clairon

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Et de leurs pas chéris, oh! baise la poussière,
Devant eux, de respect, courbe ta tête altière !

J. G. BARTHE.

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