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était pur comme l'onde argentée de la source de nos bois. Tout cela est encore passé! Te voilà à l'âge des souvenirs! Il me souvient moi-même de ma première jeunesse, de mes premiers plaisirs, de ces premières émotions d'amour qui firent battre mon cœur ; j'étais comme toi aussi, n'espérant que le bonheur tout cela a passé encore !

Il me souvient encore de ce jour délicieux où j'épousai ta mère; ce fut le plus beau jour de ma vie. Il est passé! Et ta pauvre mère, et ces amis que j'avais invités à ma table, où sont-ils, ô ma Flora? Ils sont passés !......

Et ces cheveux qui ont blanchi avec les chagrins, ces cheveux passeront comme tout le reste; car tout passe dans la vie !........

Dieu! il est donc vrai :

Tout passe dans la vie !

Et si tout passe, que sommes-nous donc, nous autres, sur la terre?

Laissons de côté, pour un instant, les pensées du siècle; abandonnons, pour un instant, ces espérances qui nous bercent, ces folles illusions que nous nous formons comme les chimères dont l'insensé se repaît; ces faibles lueurs de bonheur et de joie qui passent rapidement et ne nous laissent en disparaissant que l'ennui et le dégoût...... et que sera la vie?

Mon Dieu! que sera la vie?

Le pénible souvenir du passé... la vaine espérance pour l'avenir...... et puis...... la mort!......

EUGÈNE L'ÉCUYER.

AU SECOND VOLUME (1).

1734.

LE TABLEAU DE LA MER.

Votre raison se perd, les dangers, la tempête,
Ne vous peuvent sortir ce dessein de la tête :
Vous voulez voir la mer et ses tristes hasards,
Courir au précipice ouvert de toutes parts.
Elle est calme à ses bords, mais quittant le rivage,
Souvent vous rencontrez la tempête et l'orage.
Si vous ne craignez point les injures de l'air,
Songez que vous devez un tribut à la mer,
Son agitation n'en exempte personne.
Enfin, si tout cela n'a rien qui vous étonne,
Allez si vous avez le courage assez fort,
Le navire est tout prêt à sortir hors du port,
Ses canons sont montés, ses manœuvres rangées,
Il a près de son bord dix chaloupes chargées.
On l'arme par les soins d'un maître vigilant,
Trois cents hommes rangés halent sur le palant,
Ils travaillent sans cesse et d'une force égale.
Ses vivres sont déjà placés à fond de cale.
Chaque cable est garni, sur son ancre appliqué;
Son eau est dans la cale et son bois embarqué;
Dans la fosse aux lions, on arrime, on arrange
Etoupes, suif, gaudron, manœuvres de rechange ;
En un mot tout est prêt, le navire va sortir.
Mais apprenez encore avant que de partir,
Ce que l'on fait dedans, soit en paix soit en guerre,
Quand la voile et le vent l'éloignent de la terre.
L'humeur des gens de mer, leur occupation,
Et quel ordre requert la navigation.
Vous entendrez parler un langage barbare,
De ride, barde, largue, affale, bosse, amarre,
Vire, lesse le lof, arrive, brasse au vent,
Hale avant la bouline, aux drisses main-avant.
S'il faut être brutal, la marine l'enseigne,
C'est là qu'avec excès la brutalité règne.
Fermez donc votre oreille aux ridicules mots,
Adressés aux soldats, ainsi qu'aux matelots.

Leur humeur est bizarre, incommode, farouche;

Un mot, s'il n'est choquant, ne sort point de leur bouche.
Bien plus cette humeur brusque est reconnue encor,

Dans l'officier superbe avec son galon d'or:

(1) Nous plaçons dans cet Appendice deux morceaux littéraires inédits que l'on nous a transmis après l'impression de la littérature de ces époques Nous avons ajouté à ces pièces, deux écrits qui nous avaient échappé dans nos recherches.

Vous verrez un enseigne avec sa froide mine,
Qu'on a vu, cet hiver, pauvre garde-marine,
Vouloir trancher du grand et dire à tout propos,
Je veux traiter de gueux, soldats et matelots;
Commander sans savoir, faire une loi nouvelle
Et d'un fier lieutenant se faire le modèle.
Voyons le capitaine et comme son pouvoir
Fait ranger à sa voix chacun à son devoir.
Il parle, on obéit; mais disons davantage,
Il fait d'un seul regard trembler tout l'équipage.
Absolu sur la mer, comme à terre le roi,
Ses ordres prononcés passent pour une loi.
Il fait tout ce qu'il veut, il punit, il pardonne,
Et souvent il ne rend de justice à personne.
Qu'un commis s'aille plaindre, il l'écoute d'abord,
Et tel sera coupable à qui l'on a fait tort.
Le voleur se le rend en tout temps favorable,
Par de petits présents, qu'il fournit pour sa table
Un écrivain de roi, dans le fait, trempe un peu,
Et sait très bien tirer son épingle du jeu.
Après les officiers, faisons passer le maître,
Son sifflet suspendu le fait assez connaître.
Le portant à la bouche, et la canne à la main,
Lorsqu'il faut manoeuvrer c'est un signal certain.
Commandant, il n'est pas bon maître s'il ne crie;
Il frappe en menaçant, son bras suit sa furie,
C'est ce qui le fait craindre et fait qu'aux premiers mots
Sur les aubans ridés volent les matelots.

Son sifflet fait mouvoir un chacun qui l'écoute,
Soit pour virer de bord, ou border une écoute,
Eventer la mizaine, ou l'amarrer tout bas,
Haler une bouline, ou passer sur lesbras.
Lorsqu'un nuage obscur vient couvrir les étoiles,
Il fait tout à la fois carguer les basses voiles.
Amener perroquets, les huniers tout d'un temps,
Mettre le vent dessus, prendre les ris dedans.
Tout le monde à sa voix, la main sur les cordages,
S'occupe avec ardeur à ces divers ouvrages:
Agissant de concert, et s'empressant beaucoup,
Un travail commencé s'achève tout d'un coup.
Le navire au milieu de l'eau qui l'environne
A pour guide un pilote auquel on s'abandonne.
La voix au gouvernail en fait le mouvement,
Les yeux sur la boussole arrêtés fixement.
Il parle au timonier à l'oreille attentive,
Tantôt il dit, au lof, tantôt il dit, arrive;
Tantôt, droite la barre, ou tribord, ou basbord;
Tantôt, pas plus avant, gouverne droit au nord ;
Il a toujours en main le compas ou la carte,
Pour voir s'il est en route ou bien s'il s'en écarte;
Il corrige, il estime, et par sa route il sait
Dans quel endroit il est et quel chemin il fait.
S'il craint à tel degré les funestes approches

Des bancs cachés sous l'eau, des écueils ou des roches,

Il s'instruit par la sonde, il observe de plus
Les rapides courants des flux et des reflux.
Savant dedans son art, les yeux sur la boussole,
Il ira sans danger de l'un à l'autre pôle.

Mais que fait l'équipage et quel est son travail ?
Je vais en peu de mots en faire le détail :
L'on a réglé le quart qui nuit et jour se change,
Les postes sont marqués, tout le monde s'y range,
Les quartiers-maîtres sont postés en chaque lieu
Agissant sur l'avant, sur l'arrière, au milieu.
Aussitôt que le jour recommence à paraître,
On entend sur l'avant crier un contre-maître :
Aux grattes, aux balits, aux faux-berts, matelots,
Les bailles sur le pont, les chauffaux et les sceaux.
Au commandement tout le monde en haleine,
Se recueillant d'abord, va travailler sans peine.
Les uns grattent le pont, les autres tirent l'eau,
En dedans, en dehors on lave le vaisseau,
On sèche le tillac avecque diligence.
Après cet exercice, un autre recommence :
L'on trouve rarement du repos dans un bord.
Les uns sont occupés à faire du bitord,

Les autres des tourons, des manœuvres défaites;
Ceux-ci font des rabans, ceux-là font des garcettes;
Tantôt il faut garnir une écoute, un écouët,
Ou rider des aubans sur des palangs à fouët.
Rider un grand étay, changer des enfléchures,
Aux cordages rompus faire des épissures;
Tantôt il faut gratter et roussiner les mâts,
Travailler dans la hune, aux manœuvres d'en bas;
Enfin toujours agir, s'occuper sans relâche,
Et c'est à ce devoir qu'un matelot s'attache.
Cependant il s'en fait coutume en agissant
Qui lui rend son travail plus doux et moins pesant.
Mais pour lever une ancre attachée à l'argile,
C'est ce qui fait gémir et le plus difficile.
Qu'on vire au cabestan soit le jour ou la nuit,
L'on voit cet exercice accompagné de bruit :
Soldats et matelots placés sur chaque barre
Font de confuses voix un furieux tintamarre.
L'officier les pressant les anime à pousser
Et la canne à la main les force à s'efforcer."
Un sergent fait du bruit, un quartier-maître crie:
Vire, enfants, vire, vire, un moment de furie.
En entendant crier, tous poussent à l'instant
La barre de l'épaule et s'efforcent d'autant.
Des matelots, les uns, tels que l'on veut élire,
Ont les bras étendus dessus la tournevire;
D'autres en la traînant, la font d'un même accord
Passer à chaque tour de l'un à l'autre bord;
D'autres à l'écubier avec leurs mains sujettes
Au cable et tournevire appliquent des garcettes.

Lorsque l'ancre est levé un seul coup de sifflet
D'abord au cabestan fait mettre le linguet.
Chacun prenant haleine abandonne la barre.
Alors le bossement sur l'avant se prépare,
Et sautant de sur l'ancre élevée à fleur d'eau
Fait le croq du capon, passé dans l'arganeau.
Ce garant alongé tout le monde caponne,
Mesurant chaque fois à la voix qu'un seul donne.
Ainsi chacun s'emploie et souvent on n'a pas
Un moment de repos pour prendre son repas.

Cette heure étant venue, une cloche sonnée,
L'équipage l'entend trois fois dans la journée.
Alors le travail cesse, et ce chéri signal
Excite un mouvement confus et général,
Tout le monde s'empresse à ce son qui l'appelle
Chacun court audevant avecque sa gamelle.
Un visage enfumé que l'on appelle coq,
Qui quitte rarement sa cuillière et son croq;
Un mal-propre, un vilain qui sans cesse se gratte,
Dont les yeux larmoyant sont bordés d'écarlatte;
Qu'on voit le plus souvent mains et bras charbonnés,
Une pipe à la bouche et la roupie au nez;

Un homme qu'on prendrait pour le diable à sa mine,
Cet élégant mignon préside à la cuisine:
Il descend la chaudière et la cuillière en main,
Attend avec son rôle un crasseur d'écrivain,
Qui vient environné d'une nombreuse troupe,
Et nommant chaque plat leur fait donner la soupe.
L'un crie à pleine tête, il m'a brûlé les doigts,
L'autre, il ne fait jamais cuire à demi les pois;
Celui-ci, j'ai trop peu de soupe en ma gamelle,
Celui-là lui veut rompre et casser la cervelle.
Ainsi ce pauvre coq a l'esprit à l'envers.
Cependant bien qu'il soit de tous vu de travers,
Il agit jusqu'au bout, l'un après l'autre passe
Et de l'œil sur le pont va choisir une place.
Les autres en courant vont assaillir en bas
Un avare commis qui ne s'étonne pas.
On voit sur l'écoutille une troupe rangée,
La tête à fonds de cale et la main alongée.
Le commis lit son rôle et chaque plat de sept
Reçoit biscuit et vin d'un grand maître valet.
Cet insigne voleur aussi bien que son maître,
Ce scélérat fripon qui fait gloire de l'être,
Ce rat de fonds de cale, cet ivrogne achevé
Donne pour du vin pur du vinaigre roué.
Il trompe, quand il peut, à la faveur de l'ombre,
Rognant un peu partout, il gagne sur le nombre.
Tout le monde en murmure et le menace en vain :
L'un le veut assommer un boulet à la main,
L'autre qu'on fait attendre a la sienne aussi prête
Pour lui laisser tomber son bidon sur la tête.

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