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Vous avez entendu quelquefois de ces immenses montagnes toutes couvertes de noires forêts et qui baignent dans une mer bouillonnante; vous avez entendu ces sourds mugissements des vents à travers les arbres et qui semblent être les derniers du tigre mourant.

C'était un jour de la Toussaint. Le soleil s'était caché derrière de gros nuages grisâtres qui roulaient rapidement dans les airs; la nature s'était couverte d'un voile de deuil. Je suivais la rive du fleuve, ayant d'un côté des montagnes qui se perdaient dans les nues, de l'autre une mer orageuse toujours prête à m'engloutir. J'entendais le tintement de la cloche qui appelait les hommes sur le bord des tombes, et toujours ce vague mugissement des orages, le craquement des arbres qui pliaient, résistaient et finissaient par rouler avec fracas sur la pente des montagnes.

Je me rendis au champ des morts !...

Quand je voyais tous les hommes s'incliner le front dans la poussière, devant la croix rongée des tombeaux; quand j'entendais le pasteur prier pour les âmes de mes ancêtres ; quand je voyais le vieillard se pencher sur la terre qui devait bientôt l'ensevelir dans son sein, la jeune fille pleurer sur l'urne qui lui avait dérobé ses plus tendres espérances, le jeune homme embrasser le marbre froid qui lui retraçait ses plus beaux souvenirs, hélas! mon cœur était sous l'influence de ces impressions sombres et terribles qui bouleversent et accablent.

Triste fatalité! aujourd'hui je pleure l'homme qui n'est plus, et demain l'homme qui vit me pleurera à son tour !.... Et puis le jour de deuil passait! Le glas de la mort cessait; tout était fini, jusqu'au dernier souvenir de l'homme......

La foule cessait de fouler la cendre des morts; j'entendais le roulement des portes du cimetière qui se refermaient; je croyais voir les mânes qui se renfermaient dans leurs tombes, et puis le ver du tombeau qui continuait en silence sa tâche sur le cadavre !.....

V.

Les ruines à la campagne n'ont-elles pas une teinte de poésie sublime!......

Je ne sais si tout le monde éprouve les mêmes sensations que moi à la vue d'une de ces habitations désertes, abandonnées, environnées d'une effrayante solitude, surtout lorsque la nuit est bien noire et que l'éclair seul vient jeter sur ces ruines une lueur pâle et sinistre; lorsque les vents viennent se précipiter en sifflant dans les carreaux des fenêtres et font mouvoir rapidement sur leurs pivots les banderolles de métal fixées aux extrémités du toit, qui font entendre alors un bruit semblable aux roucoulements de l'oiseau de mauvais augure; lorsqu'enfin la pluie vient tomber avec fracas sur le toit qui craque sourdement, ou battre violemment le long des murailles disjointes.

Il m'est arrivé une fois de passer près d'une de ces misérables et antiques habitations qui devait bientôt n'offrir qu'un amas de ruines et qui avait quelque chose de grand et d'imposant dans son ensemble et dans sa construction robuste. On l'eût prise pour un ancien château, à voir ses trois grandes lucarnes en demi-cercle, ses croisées taillées en gothique, son énorme portique à colonnettes toscanes, son dôme affaissé, la haute et forte balustrade qui l'entourait, et le vieux chêne centenaire qui laissait pendre sur son toit, couvert de mousse, ses rameaux nus et sans verdure, comme s'il eût voulu encore une fois protéger cette espèce de vieux manoir des injures du temps.

Dans la belle saison, c'était le refuge de tous les chantres des bois. L'oiseau venait y chanter sur les branches du vieux chêne ou folâtrer sur la mousse jaunâtre du toit; l'hirondelle au printemps y fesait son nid sous les dales et sous les corniches des vitraux; l'écureuil y grugeait sa pâture dans le grenier, où il pouvait pénétrer par les mille ouvertures que les orages avaient pratiquées partout.

J'entrai dans cette maison. L'intérieur n'offrait rien de

mieux que l'extérieur. Vous y aperceviez le même degré de vétusté, de délabrement et de solidité. L'écho y répétait vos pas quelque légers qu'ils fussent. Les murs n'offraient plus que quelques rares taches d'un crépi sale et usé; les plafonds ne consistaient plus qu'en un ensemble dégoûtant de lattes croisées et toiles d'araignée; les portes sont disjointes et crient sur leurs gonds rouillés. Partout un air fétide et suffoquant. Les chambres sont vastes; les volets fermés y entretiennent une obscurité aussi horrible que celle d'un tombeau enfoui à dix pieds sous terre.

N'est-il pas vrai que ces habitations abandonnées ont quelque chose d'effrayant et de grand à la fois? Ne ressentez-vous pas en les approchant une crainte vague, une sueur froide, qui vous fait trembler?

Et lorsque le soir vous y apercevez quelques-uns de ces météores enflammés qui tournoient, ne croyez-vous pas voir l'esprit des ruines, les ombres de ceux qui y ont habité?....

VI.

Voulez-vous quelque chose de plus satisfaisant? Que dites-vous des veillées de campagne ?...... Une lampe à large bec jette sur les cloisons mousseuses une lumière obscure; l'homme des champs est assis près de l'âtre pétillant, entouré de son épouse filant son lin, et de ses petits enfants qui s'amusent avec des châteaux de cartes; et la jeune fille au fond de l'appartement qui rêve son avenir avec son amant.

Aux jours de fête, la grand'mère y rassemble ses petits fils et leur dit les histoires du vieux temps, les miracles des sorciers.

Oh! que j'aime ces narrations où le bon vieillard verse des larmes sur un passé plein de charmes, lorsqu'il raconte avec orgueil les premières actions de sa vie à ses petits enfants, qui sourient d'espérance en attendant le jour où ils pourront en faire autant.

J'ai passé de ces veillées bien souvent; je me suis mis en cercle avec ces bons agriculteurs, j'ai pris part à leur conversation.

Quelquefois, dans les grandes chaleurs, nous allions sur le seuil de la porte voir l'étoile briller au ciel, entendre le bruissement de la chauve-souris, quelquefois la voix du berger qui chantait ses amours en reconduisant son troupeau. Ah! que ces chants du soir étaient poétiques! que j'aimais ces accents passionnés qui s'éloignaient insensiblement dans les bois !......

Et puis quand l'heure du sommeil sonnait, je voyais la famille se prosterner devant l'image de Dieu, et le vieillard de sa voix tremblante bénissait le ciel pour le jour qui venait de finir et l'implorait pour le lendemain.

Et quand la prière était finie, chacun se signait avec le buis bénit et attendait le matin dans un sommeil paisible....

VII.

Quand vous êtes à la campagne, aimez-vous comme moi à bâtir des châteaux en Espagne ?

Vous croyez que je m'amuse avec ces rêves, ces images que l'ambition se forme. Vous croyez que j'aspire à un bonheur chimérique, que je désire par exemple un trône, une majesté suprême, des habits d'or, des palais superbes, des favoris flatteurs, des esclaves enchaînés, des richesses immenses, un nom brillant!.... O mon Dieu, non; ce qui me charmerait, ce qui me procurerait ce bonheur que je rêve si souvent, ce serait une jolie petite maison de campagne, couverte de chaume, proprement blanchi, entourée de pins touffus; j'aimerais que l'oiseau y chantât toujours; je désirerais une modeste aisance, une épouse chérie pour la partager avec moi, et deux véritables amis pour toute société.

S'il ne tenait qu'à désirer, je n'oublierais pas la petite rivière aux cascades bouillonnantes, les bocages fleuris,

j'aurais de petits troupeaux; je m'érigerais en berger; comme la houlette et le flageolet me charmeraient !.........

Il me semble que tous les jours s'écouleraient sans ennui. Je me lèverais avec le soleil ; je consacrerais ces premières heures du jour à la poésie; j'aimerais par exemple à saluer dans mes vers ce beau soleil qui se réfléchirait comme une teinte d'or sur les rideaux blancs de mes fenêtres, à dépeindre ces belles scènes de la nature de ma chère patrie !...

Au milieu du jour j'irais dans les champs voir le moissonneur et ses fils chargés d'épis dorés; je partagerais leur collation frugale.

Sur la fin du jour, j'irais dans les bois poursuivre le lapin, abattre le gibier; et au crépuscule j'irais chez mes amis raconter les plaisirs de la journée.

Mon Dieu! tout ceci n'est pas impossible pourtant.

J'y pense souvent; je m'amuse avec l'espérance de pouvoir réaliser un jour mes vœux.

Cette espérance seule me fait vivre et charme mon existence.

Voilà tous mes châteaux en Espagne.

EUGÈNE L'ÉCUYER (1).

1844.

LA MORT DE LA JEUNE FILLE.

Elle n'est plus la jeune fille;

Mais aux cieux son étoile brille!

L'église du hameau

S'ouvre pour le cortége,
Voile plus blanc que neige
Couvre un pieux fardeau.
A la lueur du cierge,
Le vieillard du saint lieu
Vient recevoir la vierge
Qu'il fiance à son Dieu!

(1) M. L'Ecuyer est notaire à Québec.

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