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1843.

À SAINT JEAN-BAPTISTE.

Noble patron dont on chôme la fête,
Vois tes enfants devant toi réunis;
Sous ton drapeau qui flotte sur leur tête,
Que par ta main leurs destins soient bénis.
Comme un signal auquel il se rallie,
Le Canadien, l'adoptant pour patron,
Parmi les peuples prend un nom,
Au ciel un saint, qui pour lui veille et prie.
Par toi conduits au Canada sauvage,
Quelques Français d'abord l'ont cultivé;
Nous tenons d'eux ce brillant héritage
Par eux conquis et par nous conservé :
En rappelant leur mémoire chérie,
Le Canadien, retrouvant son patron,

Parmi les peuples prend un nom,
Au ciel un saint qui pour lui veille et prie.
Aux jours d'épreuve, où passe toute race,
Dans nos esprits tu conservas l'espoir,
Et, quand de morts la justice fut lasse,
Pour tout calmer tu guidas le pouvoir:
En retrouvant sa première énergie,
Le Canadien rend grâce à son patron,

Et pour toujours il prend un nom,

Au ciel un saint qui pour lui veille et prie.

F. R. ANGERS.

1843.

ADIEUX À UNE AMIE.

En m'éloignant des lieux qui m'ont vu naître,
Par mes ennuis je compterai mes jours;
De mes destins si j'eusse été le maître,
Auprès de vous j'aurais vécu toujours.
Quand le devoir bien loin de vous m'appelle
En d'autres lieux où n'est pas le bonheur,
Au souvenir du moins soyez fidèle
Pour un ami qui vous donne son cœur.

Du bord natal j'éprouve encor les charmes:
Bientôt vivant sous un ciel étranger,
Un triste sort exigerait mes larmes
Si votre cœur, hélas! devait changer.
Mais, bannissant un penser si funeste,
Vous m'avez dit d'espérer au bonheur :
J'ai donc assez votre amitié me reste;
Et sans regret je vous laisse mon cœur.

J. M. DEROME.

1843.

VÉRITÉ.

Près du vieux chène assis, sur la montagne sombre,
Voyageur, je contemple un spectacle changeant,
Le crépuscule noir disparaître avec l'ombre
Que semble devant lui chasser l'agile vent;
Le sourcilleux diamant, empreint sur la couronne
Du monde, à la lumière a caché son éclat...
Mille fois heureux si, content des biens que donne
Dans sa sage bonté des cieux le potentat,
Sans cesse je pouvais sourire à ces merveilles
Que produisit d'un mot le fécond Créateur...
Mais un lugubre son a frappé mes oreilles,
De la commune loi le signe précurseur :
"Marche! marche! jamais le bonheur au mortel!”
Dit l'Eternel.

La nuit succède au jour, de la nuit naît l'aurore;
Maintenant le plaisir, demain le noir tombeau !
Et dans ce changement, l'homme toujours adore
Et flatte le bonheur dans un vague flambeau!...
Mon âme, tu souris au rayon d'espérance,
Trop douce illusion que couronne la fleur
Avant l'âge arrachée au berceau de l'enfance...
O torrent du plaisir! fais couler dans mon cœur
Plongé dans l'infortune, une onde fortunée,
Sur tes bords bienfaisants naîtra le vert rameau;
A l'autel j'offrirai la victime sacrée...

Vas-tu combler mes vœux? L'avenir est si beau...
"L'avenir, ton bonheur... tout poussière! ô mortel,"
Dit l'Eternel.

J'ai fixé mes regards sur la verte campagne ;
Le soleil de ses feux jaunissait le guéret;
Lançant son rouge char du haut de la montagne,
Il dit à l'univers: "Souris au beau bosquet;
Adore ma lumière et toujours dans ma course
Tu verras mon amour, j'embellirai ton sein;
Mon nom est proclamé par la limpide source;

De tes champs, des moissons la vie est dans ma main..."
Salut, astre adoré! tu ranimes mon être ;
Gloire à toi! bienfaisant, dans ta course d'un jour,
J'ai cru sentir mon cœur plus soulagé renaître
A la fois à la vie, au bonheur, à l'amour...
"Ta vie et ton amour... c'est le néant! mortel,"
Dit l'Eternel.

L'aigle d'un vol rapide a traversé la nuée;
Prêt de toucher la terre il fixe son objet;
Sur les champs plane ainsi ma rapide pensée,
Elle poursuit l'oiseau volant dans la forêt;
Elle rit au vallon où règne le silence;

Le murmure du peuple y meurt en arrivant,
Comme un son éloigné, perdu dans la distance.
Que la lumière est pure; et qu'il est doux le vent!
Oh! c'est là qu'entouré d'un tapis de verdure;
D'une retraite sûre et bornée à mes yeux

Je vais bâtir ma hutte, et seul dans la nature,
Je ne verrai que l'onde et la blancheur des cieux...
"Elle sera pour toi le tombeau... le bonheur !"

Dit le Seigneur.

Ρ. Ητοτ (1).

1844.

LA PRESSE.

Le sujet à traiter dont j'ai fait choix, pour me conformer à la règle de notre club (2), est la presse périodique politique de notre pays; sujet assez délicat, comme vous voyez, puisqu'il ne s'agit de rien moins que d'une des principales puissances de nos sociétés modernes libres; puis

(1) M. Huot est étudiant en droit à Québec.

(*) Cet écrit a été lu à une société littéraire portant le nom de Club Social.

sance dont le pouvoir est si bien établi, si bien senti, qu'on l'a appelé le quatrième état sous le système gouvernemental britannique. D'autres l'ont appelé une magistrature, un apostolat, l'associant, la comparant à ce qu'il y a de plus vénérable parmi les choses de la terre, et à ce qui nous est envoyé de plus élevé d'en haut. Et si l'on considère quelle est la mission de la presse, mot par lequel, pour plus de brièveté, je désignerai la presse périodique politique ou le journalisme, si l'on considère, dis-je, quelle est la mission de la presse, on trouvera que ces désignations ou qualifications n'ont rien du tout d'exagéré. En effet qui s'adresse à un auditoire plus nombreux, plus respectable que la presse, et qui parle aux hommes d'intérêts plus graves, plus multipliés? Qui est appelé à traiter de vérités plus salutaires, plus utiles? Qui a de plus sublimes vertus à prêcher, et une cause plus sainte à défendre, que celle de la liberté, du bonheur du monde, résumé des devoirs de la presse?

On admire et jamais on ne cessera d'admirer les grandes figures de Démosthènes, de Socrate, et de ces fiers tribuns de Rome, qui entretenaient les deux plus célèbres nations de l'ère ancienne de leurs intérêts et besoins politiques. On voudrait avoir vécu du temps de ces grands citoyens, pour avoir eu l'avantage de les entendre et les voir à l'œuvre de leur haute et sublime mission. Eh! messieurs, cette mission n'était autre que celle dont sont aujourd'hui chargés nos écrivains politiques, nos journalistes. La presse a remplacé le forum, la place publique, qui était chez les anciens le seul moyen qu'on eût de parler au peuple. Aujourd'hui l'homme animé de patriotisme harangue, agite les masses sans sortir de son étude, et sans que le peuple sorte de ses foyers. Le moyen, le procédé est changé, mais le sujet et le but sont les mêmes; c'est-à-dire que la presse aujourd'hui parle au peuple et l'entretient des mêmes choses, et pour le même objet, que le fesaient autrefois Démosthènes, Socrate et les tribuns de Rome.

J'irai même plus loin, et je crois que l'on ne me taxera pas d'exagération, lorsque je dirai que la mission du journaliste se rattache à ce qu'il y a de plus vénérable dans l'antiquité, et ici je n'entends rien moins que les prophètes du peuple de Dieu, dans ce que leur mission avait de temporel, en autant qu'elle se rapportait aux intérêts temporels. Pour s'en convaincre, il suffit de se rappeler leur sublime dévouement pour les libertés du peuple, et leurs luttes contre la tyrannie du dedans et du dehors.

Oh! ne craignons pas de trop relever la mission de la presse. Plus on sentira la dignité de l'état de journaliste, plus ceux qui y sont engagés chercheront à le bien remplir, et plus les peuples seront exigeants sur les qualifications de ceux qui se mettent à la tête de la presse. Et peut-on l'être trop, quand on réfléchit à l'influence immense de l'engin puissant de la presse sur les destinées des nations? Et l'a-t-on été assez dans notre pays depuis trente à quarante ans que la presse a pris un rôle dans nos affaires politiques? et c'est là que j'en voulais venir. Cette haute magistrature, ce sublime apostolat, ce quatrième état dans le gouvernement, entre quelles mains se sont-ils trop souvent trouvés? Ici ma tâche devient pénible, mais j'aurai le courage de dire ma pensée. Heureux si je puis contribuer tant soit peu à une réforme, à laquelle on n'a pas encore pensé, et qui est peut-être la plus importante de toutes, la première à faire; celle qui doit former le fondement de toutes les autres; celle sans laquelle les autres ne pourront que difficilement s'opérer. Cette réforme est d'autant plus pressante que nous entrons sous un nouvel ordre de choses, sous un système de gouvernement régulier, et cela après ce qu'on peut véritablement appeler une révolution. Pendant un demi-siècle nous nous étions trouvés dans une position telle que nous n'avions d'autre alternative, d'autre devoir, presque, que de faire au gouvernement une opposition constante et systématique, opposition sur tout, opposition partout, opposition toujours. Il s'agissait d'user, de détraquer un système de gouvernement

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