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Nos regards tournés vers la patrie
Ne sauraient fixer d'autres objets;
Et toujours son image chérie,
En fuyant excite nos regrets.
O soleil! prodigue ta lumière,
Vainement sur nos têtes tu luis!

Il fait sombre à la terre étrangère,
Nos plus beaux jours sont d'éternelles nuits.

Les saisons en vain se renouvelleut,
Nos printemps sont changés en hivers ;
Les oiseaux par leurs chants nous appellent,
Nous restons sourds à tous leurs concerts.
Le spectacle offert par la nature
Semble, hélas! aggraver nos malheurs;
Seul attrait! au ruisseau qui murmure
Il nous est doux d'aller mêler nos pleure.

Nous pourrions nous consoler encore
S'il était un terme à ce malheur;
Chaque jour nous saluerions l'aurore
Qui viendrait hâter notre bonheur.
Vain espoir! trop cruelle souffrance!
O! martyre, hélas! toujours nouveau!
Si pour nous il est quelque espérance,
Cette espérance erre autour d'un tombeau !

Loin de toi, douce, aimable patrie,
C'en est fait, il faut vivre et mourir !
Pour charmer le deuil de notre vie,
Il nous reste au moins ton souvenir.
Souvenir... triste et dernier partage!
C'est lui seul, lui qui nous fait mourir ;
Avec nous, terre de l'esclavage,
Puisse ton sein bientôt l'ensevelir!

Quelle voix soudain se fait entendre ?
Son écho retentit dans nos cœurs.

Doux espoir! pourrions-nous nous méprendre,
Elle a dit: séchez, séchez vos pleurs...

Du malheur victimes passagères,

Dieu pour vous a des soins paternels;

Vous verrez les foyers de vos pères...

Vous bénirez ses décrets éternels...

O bonheur ! douce vicissitude!
Est-ce un songe abusant notre cœur?
Voudrait-on de notre gratitude,
En jouant, sonder la profondeur?
Non! croyons à des jours plus prospères,
L'espérance est rentrée en nos cœurs;
Le deuil fuit, nos chaînes plus légères
Ont de l'exil adouci les rigueurs !

O Bagot! toi que notre patrie
A nommé son père, son sauveur;
Dans l'exil notre vie est flétrie,
Toi seul peux lui rendre sa fraîcheur.
Tendres fils, épouses éplorées,

Bons amis, tous nous tendent les bras...
Dans tes mains tu tiens nos destinées,
Rive nos fers... ou ne les trompe pas !

Adoré sur la terre étrangère,
Entouré de tes nobles enfants,

Dans les bras d'une épouse bien chère,
Tu reçois leurs doux embrassements.
Hélas! nous, sans enfants, sans compagnes,
Dans l'exil nous vivons sans amis:
Et l'écho de nos tristes montagnes,

En se moquant, nous appelle proscrits !

Fais cesser cette ignoble souffrance,
Sois sensible à la voix du malheur;
Embellis notre courte existence
Trop longtemps étrangère au bonheur.
C'est le vœeu, l'espoir de la patrie,
Tu la vois... elle nous tend les bras!
Rends-nous donc à sa terre chérie,
Arrache-nous à l'exil..... au trépas !

Ce sont là les durables trophées
Que tu peux t'ériger dans les cœurs.
Vers le soir de tes belles années,
Le trépas te sera sans horreurs.
Tu diras: J'ai vécu dans la gloire,
Mais la mort va flétrir mes lauriers,
Je vivrai du moins dans la mémoire
Des exilés rendus à leurs foyers!

PIERRE LAVIOLETTE.

1843.

ÉTRENNES DU JOUR DE L'AN.

Je ne sais si je dois ou pleurer, ou sourire,
Si de crêpe ou de fleurs je dois orner ma lyre,
Si l'aurore du jour les promet tous sereins.
Si le passé s'éclipse auprès de nos destins!
Dans le livre de Dieu dois-je lire en prophète ?
Peut-elle errer en paix mon âme de poète ?

Les ans qui sont coulés comme un fleuve à nos pieds,
Avenir inconnu, devant eux tu t'assieds...

Et ma muse à genoux est là, qui t'interroge,
Car chaque jour, hélas! au précédent déroge:
O terre, tu dépens de la pitié du ciel!
Ce sol où ruisselait et le lait et le miel,
On l'a vu féconder par du sang de martyre,
Et sa poudre autrefois qu'idolâtrait zéphyre,
L'hiver la lui ravit sous ses pâles flocons;
Globe chrysalidé dans le sein des saisons,
Le caprice du temps t'enrichit ou te vole:
Caméléon du temps, voilà ton vrai symbole !
Hors de Dieu, point de lois pour l'ordre d'univers :
Le printemps et l'été, l'automne, les hivers
Sont mesurés par lui: sa main a marqué l'heure,
De l'instant qu'il accorde à chaque être qui meure!
Amis, puisque des cieux sont tombés d'autres jours,
Ouvrons tous au bonheur chacun de nos séjours,
De vertueux plaisirs embellissons la terre:
Ce globe est pour nous tous un immense parterre
Où chacun vient jouir du théâtre du temps,
Cette scène qui change avec tous les instants,
Où tout dès le début paraît digne d'envie,
Où luttent chaque jour la mort avec la vie,
Car l'existence, hélas! n'a rien qu'un dénoûment,
La mort baisse la toile après le long tourment!
Avant qu'il soit tombé ce rideau diaphane,
Et qu'il ait dérobé son mystère profane
A nos regards déçus, remplissons nos destins;
Nous conrons tous à Dieu comme des orphelins,

La fin n'est pas pour nous dans ce séjour terrestre ;

L'homme est né pour les cieux, son cœur entend l'orchestre

Qui l'appelle là haut à ce monde éternel

Où le bonheur du moins s'est dressé son autel.
Là, plus de temps, de mort, de limite ou d'espace,
Devant l'éternité toute chose s'efface,

Le sort est immuable et la vie est sans fin,

C'est d'un décrêt de Dieu qu'est tombé ce destin!
Les siècles ont coulé comme un torrent rapide;
Qu'a laissé le passé qui nous serve de guide
Au champ de l'avenir? Géant de la raison,
As-tu descendu Dieu du trône de Sion?
Ton farouche penser en reniant son être,
A-t-il pu s'affranchir du domaine d'un maître?
Déplace aussi la mort, détrône le trépas,
Car plus impuissant qu'eux, je ne te croirai pas!
Quand je vois les saisons dans leur péripétie
Changer quatre fois l'an de soleil et de vie,
Au début de chaque an le givre et les frimas
Christaliser le chaume où je perdais mes pas,
Nature revêtir son pur manteau de neige

Et cette nappe blanche, au printemps arrivé-je,
S'enlever sous mes yeux qui regardent verdir
Les prés et les côteaux où vient régner zéphyr:
Et quand arrive après le temps de la vendange:
Quand se jaunit l'épi, que se dore l'orange,
Que Pomène cueillit ses suaves moissons,
Que partout les pastours soupirent leurs chansons,
Que le troupeau bondit si joyeux dans la plaine,
Que de tresses de fleurs la nature s'enchaîne,
Mon cœur sent le besoin de monter jusqu'au ciel,
La prière qu'il fait est un rayon de miel!
Mon âme monte à Diou, c'est en lui qu'elle espère,
Lui seul a tout créé, lui seul est notre père!
Ces jours il nous les donne, ah! je veux en jouir,
Pour vivre avec vous tous, amis, avec plaisir,
Pour remplir mes destins, pour aimer ma patrie:
Et mon dernier refrain sera pour mon amie!
Aujourd'hui, citoyens, que s'épanchent les vœux
Et que du moins un jour dans ces terrestres lieux
Doit tout être au bonheur: au nom de la patrie
Laissez-moi saluer les phâses de la vie,
Honorer des vieillards les cheveux argentins
Qui penchés vers la tombe achèvent leurs destins.
Ils ont frayé pour nous le sentier de ce monde :
Nous précédant aux cieux, que leur paix soit profonde!

Et vous, foulez longtemps la poudre de ce sol
Avant que jusque-là dirigeant votre vol,
Vous devrez aussi vous, amis, suivre vos pères;
Ce globe qui végète entouré de mystères,
Qui roule sous les cieux par d'immuables lois
Il fut créé pour vous, vous en êtes les rois ;
Que le bonheur vous tresse une égale couronne,
Qu'autour de votre front sa lumière rayonne!
Infirme rejeton de la tige tombé,

Qu'ai-je à part de sonhaits qui puisse être donné ?
Dans le giron du pauvre haletant sur la route,
Riches, ouvrez la main, oh! oui, versez la toute!
Son cœur est gros d'amour et ses yeux gros de pleurs,
Riches, il se mourait... vous êtes ses sauveurs!
Ses enfants rediront vos noms dans leur prière,
Dieu les écoutera mieux que vous sur la terre!
Et toi, pauvre jeunesse, à qui je suis encor,
Toi, qui de ton pays est le plus beau trésor,
Regarde l'avenir devant toi se déroule,

:

Tu ne t'appartiens pas, tu naquis pour la foule!

Toi seule tu survis au torrent du passé,

Ton avenir, amie, au pays est donné.

Nous partirons ensemble, un jour, pour d'autres sphères
En laissant après nous les neveux de nos pères
Pour hériter nos champs, nos villes, nos autels,
Et subir à leur tour le destin des mortels:
Te perpéturas-tu, Canada, ma patrie?
Citoyens, c'est à vous à lui donner la vie !

Que tous dans un même hymne écouté dans les cieux
Appellent un miracle en ces terrestres lieux,

Et sauvent de Bagot la si noble existence :
Tombeau, tu n'es pas fort comme notre espérance!
Vœux d'amour, de bonheur, souhaits du nouvel an,
Oh! mêlez votre ivresse aux rigueurs de l'autan;
Des plus charmants plaisirs que chaque front rayonne,
Que chaque âme aujourd'hui comme la main soit bonne !
Qu'en la coupe le vin pétille, et que le cœur

Se sente remuer d'un suave bonheur.

Aux amants de doux yeux, aux époux des tendresses.
Aux enfants plus jolis pastilles et caresses,

Et qu'un monde joyeux autour d'un doux banquet
Puisse ravir au ciel le bonheur, son secrêt !

J. G. BARTHR.

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